Le conflit entre les deux parties risque de se durcir davantage d’ici dimanche prochain, à défaut d’une réponse favorable de l’employeur.
Contrairement à ce qui se dit çà et là, la Gendarmerie nationale n’a pas usé de la force ni déployé un important dispositif pour libérer les accès du complexe. Les travailleurs ne sont pas des sauvages ou des hors-la-loi. Nous nous sommes conformés à la décision de la justice. Mais que l’employeur sache que nous tenons plus que jamais à nos revendications socioprofessionnelles et sommes déterminés à aller jusqu’au bout, quitte à paralyser de nouveau l’ensemble des unités du complexe. Néanmoins, les portes du dialogue avec la direction générale ne sont pas closes.» C’est ainsi que s’est exprimé Lotfi Farah, secrétaire général du syndicat d’ArcelorMittal pipes et tubes Algérie (Ampta), hier matin, lors d’une entrevue à la sortie d’El Hadjar.
Les sites de l’usine sidérurgique ont été évacués, après deux jours d’arrêt total, dû au mouvement de protestation observé par les 350 salariés de l’ex-Tuberie sans soudure (TSS), filiale dont le capital est détenu par le géant mondial de l’acier ArcelorMittal à hauteur de 70%, le reste revenant au groupe public Sider. Le conflit entre les deux parties, à défaut d’une réponse favorable de l’employeur, risque de se durcir d’ici dimanche. Un ultimatum est donné par les travailleurs à la direction de l’entreprise, met en garde M. Farah.
Le conflit est né en avril dernier, lorsque la direction générale avait opposé un niet catégorique à la demande des travailleurs : une révision «sans impact» de certaines primes. «Notre revendication est à la portée de l’employeur : à peine 200 DA/j par travailleur, représentant le total de l’augmentation des primes que nous revendiquons. Elle est également légitime. Alors que nous étions en négociation, le staff dirigeant s’était offert des augmentations conséquentes oscillant entre 7000 et 15 000 DA.
Pourquoi cette politique des deux poids, deux mesures ?» s’indigne le représentant des travailleurs qui se félicite, par ailleurs, de la levée, par la direction générale, de l’interdiction d’accès à l’usine dont il a, trois mois durant, fait l’objet, et ce, au même titre que Abdelghani Atil, président du Comité de participation (CP). Les deux leaders syndicaux, bien qu’ils aient été, dans un premier temps, suspendus de leurs fonctions puis licenciés (en juillet dernier), affirment être résolument décidés à défendre la cause des 350 pères de famille. «L’employeur campe sur sa position, prétextant les difficultés financières auxquelles fait face l’entreprise. Qu’il nous fournisse des preuves palpables de ce qu’il avance.
Car à notre connaissance, la tuberie se porte mieux depuis la conclusion du contrat avec Sonatrach», assure notre interlocuteur. Un contrat et non des moindres, renchérit-il : environ 420 km de tubes en acier sans soudure (pipe-lines) de 10 pouces destinés au gazoduc pour l’alimentation en gaz naturel des villes d’Illizi et Djanet. Aussi, des négociations, en cours avec Sonelgaz et Naftal, sont en passe d’être finalisées pour la livraison de plusieurs centaines de kilomètres de tubes de différents diamètres, ajoute le syndicaliste.
Plaidoyer pour une renationalisation
Ce qui devrait, toujours selon M. Farah, permettre à l’ex-TSS de conforter sa position de leader national incontesté dans ce type de produits tubulaires, appelant, dans la foulée, les pouvoirs publics à la réouverture impérative du dossier de reprise par l’Algérie de la majorité des actifs de l’entreprise. D’autant que, à l’instar du complexe d’El Hadjar et des mines de Ouenza et Boukhadra (ArcelorMittal Tébessa), cette dernière était également incluse dans l’accord stratégique d’octobre 2013 portant reconfiguration du tour de table suivant la règle des 51/49%. Or, à ce jour, rien n’a changé sur le terrain.
ArcelorMittal contrôle toujours la majorité des actifs d’Ampta. Pourtant, la volonté politique de rachat par les Algériens ne date pas de 2013. «Deux années auparavant, Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, avait personnellement instruit Abdelhamid Zerguine, qui venait d’être installé à la tête de la compagnie pétrolière Sonatrach, aux fins de suivre le dossier s’y rapportant», rappelle, pour sa part, le député du Parti des travailleurs (PT), Smaïl Kouadria.
Un bureau d’études avait même été sollicité en vue d’examiner la faisabilité de l’opération, ajoute ce membre permanent de la commission parlementaire des affaires économiques, du développement, de l’industrie, du commerce et de la planification. En optant pour cette voie, explique-t-il, le gouvernement projetait d’introduire Sonatrach et Sonelgaz dans le capital de la TSS, ex-filiale du groupe Sider avant sa cession en 2007 à ArcelorMittal Tulbar Products dans le segment énergie.
Ainsi, il était question de sceller un partenariat plus solide entre Ampta et Sonatrach/Sonelgaz, ses deux principaux clients, explique le député Kouadria. En effet, durant des années, Ampta fabriquait 30 000 tonnes/an de tubes de haute qualité, destinés à l’enveloppe des puits de forage gaziers et pétroliers de Sonatrach. L’entreprise fournissait également la filière énergétique en conduites de transport de gaz et de pétrole et autres tubes de forage hydraulique. S’il avait abouti, le projet d’un nouvel actionnariat avec Ampta aurait permis aux deux groupes énergétiques de disposer de leur propre usine de fabrication de tubes.
De son côté, ArcelorMittal se serait offert le contrôle d’un vaste marché pour écouler sa production de lingots nécessaires à la fabrication de ces mêmes tubes. Et, au lieu de passer à l’acte, le partenaire indien, alors lourdement impacté par les prolongements de la crise et le cycle de retournement économique de 2008, auxquels s’était greffé le manque persistant de commandes de Sonatrach, «avait fait part en 2009 de sa volonté de céder, à titre gracieux, l’ensemble de ses parts», poursuit le député Smaïl Kouadria. Mieux, «plusieurs délégations de hauts responsables de Sonatrach et Sonelgaz s’étaient succédé à l’usine TSS. Depuis, plus rien. Le dossier a été classé pour des raisons occultes».
La production de pas moins de 6500 km de tubes à l’actif d’Ampta et les certifications aux tatillonnes normes ISO 9001, ISO 9002 ainsi que celles d’Algerian Petroleum Institute (IAP) s’étaient, semble-t-il, avérées peu convaincantes aux yeux des pétroliers, alors dirigés par Chakib Khelil. «Notre appel à la reprise par l’Etat de notre entreprise est motivé par l’absence de tout investissement de la part d’ArcelorMittal, aux fins du renouvellement de nos vieilles installations. La mise en place d’une unité spécialisée dans le revêtement des tubes est, par ailleurs, un autre engagement auquel a failli notre employeur. Sonatrach fait revêtir nos produits à Reghaïa (Alger), alors que cela peut se faire sur place et de là éviter les coûts de transport Annaba-Alger.
Sonatrach et Sonelgaz, nos principaux clients, ont les moyens de racheter l’entreprise», regrette amèrement Lotfi Farah, avant de conclure : «Après l’arrêt pendant des mois du haut fourneau et la grève d’Ampta qui dure depuis près de 5 mois et risque de se poursuivre encore longtemps, les plannings contractuels de livraison des 420 km de tubes commandés par Sonatrach se trouvent sérieusement compromis. Il était convenu que la dernière tranche du contrat nous liant à Sonatrach TRC depuis 2012 soit livrée fin juin 2015.»
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