dimanche 8 mai 2016

Chakib Khelil : Pari risqué et diversion

Du démon Khelil à l’ange Chakib ? L’ancien ministre de l’Energie et des Mines est passé en deux années de l’individu le plus recherché contre lequel la justice algérienne a lancé un mandat d’arrêt international à un personnage «réhabilité» et à qui on attribue un rôle politique. Le tout est sorti d’un scénario des plus improbables qui bouscule toutes les projections. L’homme qui a failli mettre en péril le règne Bouteflika est-il en passe de devenir celui qui sauvera la maison du pouvoir ? Par un tour de passe-passe politico-judiciaire, dont seuls les décideurs algériens détiennent le secret, et par une opération magico-mystique des zaouïas, Chakib Khelil est propulsé sur le devant d’une scène politique aussi floue que criarde. La  stratégie de blanchiment de l’image de l’ancien ministre, empêtré dans des scandales de corruption dont il est difficile de se débarrasser, a été soigneusement orchestrée. Le secrétaire général de l’ex-parti unique, Amar Saadani, a été le premier à lancer l’opération en défendant «le plus brillant cadre algérien sali par les  Services spéciaux». Il a méthodiquement mené la campagne jusqu’au jour où le plus Texan des Algériens a débarqué à l’aéroport d’Oran, accueilli par les autorités locales. Sonnés, les Algériens n’en revenaient pas d’assister à ce retournement spectaculaire de la situation. Heurtés au plus haut point, mais choqués encore plus en découvrant le «mauvais feuilleton Khelil et sa tournée des zaouïas».  Les porte-parole du pouvoir sont sommés de s’exprimer publiquement pour «louer les qualités et l’intégrité» de l’ami du Président. Même Ahmed Ouyahia, pourtant connu pour son opposition à l’ancien ministre de l’Energie, a rejoint la cohorte des laudateurs. L’instrumentalisation éhontée des lieux de culte et des confréries, auxquels on veut faire jouer le rôle de «fabrique des Présidents» pour redorer l’image d’un ancien ministre honni et maudit, tourne au grotesque. La mise en scène a indigné les Algériens pour qui l’homme incarne la face corrompue du pouvoir, au point où certains commencent à s’élever et à refuser d’être enrôlés dans le dispositif. La très influente zaouïa rahmania de Chorfa, à Azazga, a vertement signifié à l’ancien ministre qu’il n’était pas le bienvenu chez elle.  Khelil marque une pause-zaouia pour se consacrer à la communication «moderne» : une apparition sur sa page facebook suivie d’«interviews» télévisées. Une opération de charme médiatique. C’est la même chaîne de télé offshore, qui traitait l’ancien ministre de «brigand», qui est chargée de lui tailler un costume d’expert international. L’homme pousse la caricature à l’extrême en affirmant avec aplomb que «seuls 500 Algériens sont contre lui, alors qu’il a 27 000 like sur sa page facebook». Et sur le même plateau, il assume aussi qu’il avait rencontré à Paris l’intermédiaire qui démarchait pour Saipem auprès de Sonatrach, Farid Bedjaoui. Lui aussi recherché par Interpol et poursuivi par la justice italienne. En livrant cette information, Chakib Khelil se rend ainsi témoin potentiel dans l’affaire en attente de jugement par le tribunal de Milan. En somme, la mécanique mise en branle par le pouvoir vise-t-elle seulement à le mettre à l’abri d’éventuels ennuis judiciaires en le réhabilitant ou bien lui prépare-t-elle une trajectoire audacieuse d’un destin national ? Peut-être les deux à la fois, car les objectifs poursuivis se complètent. Le concerné demeure ambigu sur ses prétentions politiques. «Je n’ai pas d’ambition politique, je ne suis demandeur de rien de politique ou autre, mais je suis prêt à aider le pays et si on me demande à occuper une fonction je suis prêt», assurait-il dans une déclaration à une chaîne de télé. Chakib Khelil entretient pernicieusement le mystère. Soit nous sommes en présence d’une grossière manœuvre de diversion qui vise à occuper l’opinion pendant que les décideurs s’affairent à remodeler violemment le paysage politico-médiatique en vue des prochaines échéances politiques, soit une tentative désespérée d’un régime en panne de solution qui mise sur ce qui lui reste pour vendre le pari Khelil ! A l’évidence, la seconde option comporte des risques. Le pouvoir — qui maintient le pays dans une périlleuse impasse, n’a plus les moyens financiers lui permettant d’assurer la paix sociale et de tenir ses clientèles — tente la gageure de vendre la «candidature» d’un homme dont la réapparition elle-même doit passer par une laborieuse tâche de disculpation.   

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