mardi 26 juillet 2016

«J’ai le droit de critiquer ce que je veux»

Suite à une tribune parue dans le journal français Le Monde le 18 juillet, l’écrivain Boualem Sansal se trouve au cœur d’une farouche polémique. Contacté, il réagit dans ce court entretien. Dans l’article que vous avez publié dans Le Monde, vous faites un parallèle inapproprié — pour ne pas emprunter les qualifiants utilisés jusqu’ici par des centaines de lecteurs —entre le conducteur du camion de Nice et Zohra Drif, entre la promenade des Anglais et le Milk Bar d’Alger… C’est rigolo : le seul pays au monde où on me fait des polémiques c’est... l’Algérie. Les amis chicaneurs et censeurs oublient que c’est mon pays, que j’y vis et que, comme chacun, j’ai le droit de critiquer ce que je veux : la politique du gouvernement, l’équipe nationale, le comportement des commerçants, les programmes de télé et le reste. S’il y a des choses qu’il est interdit de critiquer, qu’ils fassent des lois pour nous dire lesquelles et on cessera de les critiquer. Franchement, en comparant un terroriste à de vaillants moudjahidine, vous ne vous attendiez sûrement pas à ce que ce raccourci passe inaperçu ? Ecoutez, les polémiques ne me dérangent pas, elles participent du débat national, ça peut être utile. Mais là, il s’agit de procès en sorcellerie, on a allumé un bûcher, on hurle déjà à la mort. Si ça servait à quelque chose, je le ferais, j’expliquerais et je démontrerais que les accusations qu’on me fait n’ont pas de raison d’être, mais ça ne sert à rien. Aujourd’hui, tout ce qui est publié, même écrit par le pape ou Dieu lui-même, donne lieu dans la minute qui suit à un déluge d’insultes, d’accusations, d’insanités, de mensonges, de condamnations à mort. On dirait que ces gens ne dorment jamais. Pourquoi surveillent-ils tant le monde ? Et pourquoi n’écrivent-ils pas eux-mêmes qu’on puisse à notre tour déverser notre bile sur eux, les traîner dans la boue, les pousser vers le bûcher ? C’est à sens unique, ce n’est pas juste. Vos propos dépassent peut-être la critique, ils vont à l’encontre de la morale aussi… ? La critique est normale et souhaitable, chacun a le droit de s’exprimer comme il l’entend, sur tous les sujets, c’est le principe de base de la démocratie. Le champ de l’expression et de la critique est ouvert à l’infini et personne, sauf la loi, n’a à se poser en gardien de quoi que ce soit, dogme sacré ou vérité supérieure. Il s’expose à l’interpellation : qui t’a fait gardien ? D’où tires-tu ce droit ? La morale est la chose la plus relative du monde, en tout cas la plus élastique. Ce qui est bien ici, est mal là et inversement.

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