La nouvelle juge pour les audiences préliminaires, Manuela Scudieri, a accueilli le recours des procureurs milanais Fabio De Pasquale et Isidoro Palma et a rendu publique, hier, sa décision de renvoyer en procès l’ancien n°1 du géant italien des hydrocarbures, l’ancien responsable pour l’Afrique du Nord du groupe, Antonio Vella et les deux sociétés (Eni et Saipem) en vertu de la loi 231 qui établit la responsabilité pénale des personnes juridiques dans les affaires de corruption. Le groupe, sa filiale Saipem et ses dirigeants sont accusés d’avoir versé le montant mirobolant de 198 millions d’euros à des responsables algériens afin de décrocher sept contrats d’exploitation de gisements de gaz en Algérie — un marché de 8 milliards d’euros — entre 2007 et 2010. Le procès pour juger sept accusés, dont le neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, et deux autres Algériens, Samir Ourayed et Omar Harbour, considérés comme les bras droits de Noureddine Farid Bedjaoui, se déroule actuellement devant la quatrième section pénale du tribunal de Milan et se trouve encore à la phase des débats. Deux procédures pénales parallèles Ce coup de théâtre crée donc une situation insolite car il y aura deux procédures pénales parallèles pour la même affaire avec presque les mêmes accusés — Scaroni qui était témoin dans le premier et devient accusé dans le second. L’ancien patron d’Eni et le groupe pétrolier seront jugés pour «corruption internationale» par cette même quatrième section pénale. La première audience a été fixée au 5 décembre prochain. Les avocats des accusés auront le temps de préparer leurs dossiers pour tenter de tirer d’affaire leurs clients. De son côté, Eni ne va pas lésiner sur les moyens pour éviter une condamnation qui pourrait lui coûter cher. Quant à Sonatrach, elle est en droit de se constituer partie civile, à condition que ses avocats préparent mieux cette démarche pour éviter d’être déboutés comme ce fut le cas dans le procès en cours, bien qu’ils puissent encore étoffer leur dossier et repartir à la charge. La position des responsables algériens cités lors des enquêtes préliminaires — surtout l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil — pourrait changer radicalement si Scaroni venait à adopter une nouvelle stratégie de défense. Chakib Khelil sous le masque d’«il vecchio» ? Rappelons que les juges ont, dans leur fascicule, le contenu de conversations téléphoniques entre l’ancien patron d’Eni et celui qui était à l’époque ministre du Développement économique, Corrado Passera, lors desquelles Scaroni reconnaissait que l’argent versé aux Algériens était «des pots-de-vin». Si lui était au courant, est-il possible que Chakib Khelil n’en ait rien su ? Et s’il est établi que Scaroni a ordonné cette opération de corruption, son vis-à-vis algérien ne peut être l’intermédiaire appelé par les Italiens «il giovane» (le jeune), c’est-à-dire Noureddine Farid Bedjaoui… mais plus probablement «il vecchio» (le vieux), adjectif utilisé par les dirigeants de Saipem pour indiquer Khelil. Et puis, il y a toutes ces révélations que la gorge profonde des enquêteurs, le seul responsable de Saipem qui a fait de la prison dans cette affaire et a accepté de collaborer avec les juges, Tullio Orso, ancien président de Saipem Contracting Algeria entre 2005 et 2010. Ce dernier avait raconté le déroulement de plusieurs rencontres entre Khelil et Scaroni à l’extérieur du siège d’Eni, dans des hôtels de luxe à Milan, Paris, Vienne… Orsi a même conclu avec le parquet de Milan une peine négociée : la condamnation à 2 ans et 10 mois de prison et la confiscation de 1,3 million de francs suisses. La juge Clemente n’a pas encore validé ce deal, qui sera désormais un obstacle pour la défense. Car même s’il n’est pas l’équivalent d’une reconnaissance de culpabilité, il jette le discrédit sur l’innocence présumée des autres responsables de Saipem et d’Eni.
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