vendredi 7 juillet 2017

Cessons de donner des raisons divines aux actes de violence

Pour la violence qui est enracinée dans notre société, la sociologue donne des raisons mais aussi des propositions de solution et surtout explique le rôle de l’élite. - Comment expliquez-vous, aujourd’hui, cette violence de la société ? Pourquoi aujourd’hui? Parce qu’elle est récente. La société a toujours produit et vécu des violences. La différence réside dans la visibilité, ou dans la volonté de rendre visibles ou non, les victimes de cette violence. Comment peut-on formuler, ainsi, la question, alors que le sang et les larmes des centaines de milliers de personnes n’ont pas encore séché? Des Algériens, quelles que soient leur appartenance, leurs commanditaires, leur idéologie, ont égorgé par lots de plusieurs centaines leurs parents, voisins, il y a à peine quelques années. Depuis toujours, les femmes sont victimes de violences, mais il est généralement admis qu’elles doivent subir leur sort. Lorsque les députés ont refusé de voter la loi contre les violences faites aux femmes, l’opinion n’a pas été choquée. Or, ce refus est une aggravation des violences. L’unanimité est faite autour de la protection des auteurs de violences et non celle des victimes. Tuer des filles qui ne sont plus vierges ou des filles-mères est considéré comme un crime d’honneur qui jouit de la quasi impunité. Allez porter plainte pour agression verbale, pour attouchements ou même pour des coups et blessures. Je peux affirmer que très peu de postes de police iront plus loin que la main courante même si vous insistez. On vous demande de prouver que vous n’en êtes pas la cause. Même au tribunal, vous devez prouver que vous n’avez pas mérité «la correction» que vous avez reçue. Si cela se passe dans l’espace public, il est évident que vous soyez harcelée, car vous n’êtes pas à votre place. Si vous êtes battue par votre conjoint, ou autre parent, vous n’êtes pas une bonne épouse ou une bonne fille de famille, obéissante et irréprochable. Et les milliers d’enfants abandonnés, stigmatisés à vie, car nés d’une femme non mariée souvent victime de viol incestueux ? Les femmes qui sont répudiées, car elles ne «donnent» pas de garçons. Celles qui sont abandonnées dans les hôpitaux, car elles sont atteintes d’un cancer ? La polygamie qui guette toutes les femmes car décide d’en épouser d’autres ? Il est impossible de dresser la liste des violences produites par la société et qui ne sont ressenties que par les victimes. Ignorées, elles sont portées et supportées par les victimes comme une tare. Elles ont même honte d’en parler car elles sont culpabilisées par le bourreau et le regard des autres qui les rend responsables des accès de colère qu’elles auraient provoqués. Le viol est considéré comme le résultat du comportement de la victime, même si les violeurs sont les pères, frères, oncles ou grands-pères. La violence n’apparaît jamais spontanément. Elle est le résultat de conjonctures qui lui sont favorables. Ce qui est nouveau ce n’est pas la violence mais le laxisme des autorités au sujet des manifestations publiques de cette violence. L’Etat lui-même régule cette violence en fonction des rapports de forces qu’il crée tout en les subissant. - Des concerts de musique ont été interrompus sous prétexte de religion. Cela n’est pas nouveau. Dans les années 1970, ce même phénomène s’est produit dans les cités universitaires. Des étudiants et leurs complices, qu’ils ont introduits dans les enceintes universitaires ont interrompu à coups de hache, de barres de fer et de chaînes, des concerts, des assemblées générales et autres activités. N’oublions pas qu’à Ben Aknoun, un étudiant a été tué durant ces années. Les violences ne doivent pas être prises en compte lorsqu’elles sont médiatisées mais les garder à l’esprit dans l’espoir de les expliquer, à défaut d’en venir à bout. Interrompre des concerts n’est pas nouveau, on a réussi à annuler des programmations, rappelez-vous, Linda de Suza qui a vu son spectacle annulé. Encore une fois, ce n’est pas les auteurs de violences qui gagnent mais l’autorité de l’Etat qui recule. C’est le laxisme de l’Etat qui permet, voire, encourage ces fauteurs de troubles. Lorsqu’on arrive à maîtriser des manifestations de milliers de personnes, comment peut-on être dépassé par quelques perturbateurs. Le délit d’atteinte à l’ordre public existe, pourquoi ne pas arrêter ces individus ? Evidemment, il est plus facile de s’attaquer à des couples, des personnes qui mangent pendant le Ramadhan que de faire respecter la loi et assurer la sécurité des citoyens. - Y a-t-il encore l’inquiétude d’un islamisme des jeunes ? Cette question est inappropriée dans le contexte algérien. Je comprends que les Occidentaux s’inquiète d’«un islamisme», mais les Algériens ont toujours été, dans leur majorité, musulmans. Ils étaient bien plus convaincus, mais leur foi laissait place au discernement et à la tolérance et l’acceptation des différences. Les auteurs des actes de violence et des incivilités ne sont pas forcément motivés par la religion mais plutôt par le climat de tolérance à leur égard, l’impunité et leur légitimation en leur attribuant des justifications liées à l’islam. Pensez-vous que s’ils n’étaient pas pratiquants, ils seraient plus respectueux vers autrui ? Arrêtons de donner de bonnes raisons à l’incivisme ! - La société se cherche encore. Nous avons l’impression que la jeunesse perd de plus en plus ses repères... Cette phrase est reproduite de génération en génération. De quels repères parle-t-on et de quelle jeunesse au singulier. C’est comme parler de la femme au singulier  ; Les jeunes sont pluriels, chacun a ses repères, ensuite les groupes ou les catégories se forment en fonction des attentes, des affinités, des idéologies, etc. Il n’y a pas de société uniforme. Même les pires dictatures et les Etats les plus totalitaires avec leurs révolutions culturelles n’ont pas réussi à former des individus identiques. Pourquoi voudrait-on que les jeunes Algériens soient conformes et aient les mêmes repères ? Même pendant la guerre, les jeunes n’avaient pas tous les mêmes repères, encore faut-il les définir. Par contre, ce qui leur est commun, c’est l’inculture qu’on leur a inculquée à travers le vide de l’éducation comblé par un endoctrinement qui se voulait religieux mais qui a été vidé de son aspect civique. - L’élite qui doit jouer le rôle important dans l’orientation des jeunes et l’éducation semble quasi perdue dans des conflits religieux et identitaires... Une élite ne peut être considérée en tant que telle que dans une société où la connaissance, le savoir, le civisme, la culture sont reconnus et respectés. Or, il s’avère que l’opportunisme politique, le gain facile, l’absence totale du respect des études et du travail se sont malheureusement érigés en règle et en standard de la réussite sociale. L’élite, qui est censée être un modèle, n’est pas celle qui est sous entendue dans la question, mais celle qui a réussi à s’enrichir sans scrupules ni morale. Quant à être perdue dans des conflits religieux et identitaires, l’épisode R. Boudjedra est significatif. Bien sûr, qu’il fallait réagir face à l’ineptie de ces animateurs qui se croyaient drôles, mais que dire de la «victime» qui accepte de faire une profession de foi, de répéter autant de fois «Allah Akbar» et se justifier en affirmant qu’il avait islamisé son épouse ? Le rôle de l’ «élite» n’est pas d’aller faire des discours mais de ne pas céder à ce genre d’intimidations. Et là, j’en parle en connaissance de cause. J’ai moi-même été confrontée à des énergumènes dans ma vie privée, dans des émissions radio ou des débats télévisés où l’on m’a accusée d’athéisme et exigeant que je déclare ma foi  ; Je n’ai pas hésité, ne serait-ce qu’une seule fois, à répondre que cela était une affaire personnelle et qu’ils n’étaient pas mandatés par Dieu pour vérifier mes convictions religieuses. L’«élite» n’a pas à donner de leçons mais à avoir des attitudes qui bousculent les mœurs, sans toutefois heurter ni agresser les croyances d’autrui. Sans faire de discours, on peut introduire des pratiques du respect des convictions sans affirmer son athéisme ni proclamer sa foi. - Est-ce que nous sommes devant une islamisation de la société ? La société a été islamisée quelques décennies après l’avènement de l’islam, ne l’oublions pas ! Elle a fonctionné avec des mondes parallèles. Chaque individu, ou chaque groupe, vivait dans son monde en acceptant, de gré ou de force, la vie des autres. Sans compter la surpopulation, avec le nombre augmente la délinquance. Mon but n’est pas de défendre la religion, mais il est temps de cesser de donner des raisons divines aux actes de violence, d’incivisme et de non-respect d’autrui.

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