dimanche 9 juillet 2017

Moussa Camara (Guinée-Conakry) : «Il faut beaucoup de courage pour arriver ici»

Moussa Camara est un gringalet à l’esprit pétillant et au visage fripé par la fatigue. Il a 25 ans sur le papier mais une expérience, un vécu, du bagout, dignes d’un vieux routier de la vie. Moussa est originaire de Conakry, capitale de la Guinée. Nous l’avons rencontré en haut de Bir Mourad Raïs, au niveau de La Côte, sur la route qui mène vers Les Sources. Tous les matins, des dizaines de migrants subsahariens se rassemblent ici dans l’espoir d’être embauchés par des entrepreneurs pour leurs chantiers. Moussa est à Alger depuis une année. «Il faut beaucoup de courage pour arriver ici mon frère», lâche-t-il pour dire la violence de l’expédition qui fut la sienne. «Même pour entrer en Europe, on ne souffre pas comme ça. Il y a beaucoup qui meurent dans le désert.» Détaillant son itinéraire, il déploie mentalement la carte des territoires traversés : «On est allés d’abord au Mali, ensuite au Burkina parce que le Nord du Mali est dangereux. De là, on est entrés au Niger, puis on est montés vers l’Algérie. Moi je voulais partir en Angola, mais je n’avais plus d’argent, alors j’ai fait demi-tour en direction de l’Algérie. Je prie Dieu pour me donner de l’argent afin de partir en Europe. Mon vœu, c’est ça. La plupart de ceux qui sont ici, leur but est de rejoindre l’Europe.» Moussa évoque dans la foulée les terribles souffrances qui ont émaillé son périple périlleux : «Il y avait beaucoup de frontières, beaucoup de barrages, et à chaque fois, il faut payer. Quand je suis parti, j’avais 3 millions de Francs guinéens (près de 40 000 DA, ndlr). A Tamanrasset, tout était fini.» Interrogé si lui-même ou ses compagnons de route ont subi des violences, il rétorque : «On a énormément souffert mon frère. Nous étions nombreux, entassés dans des pick-up surchargés. On a beaucoup marché dans le désert, sous un soleil de plomb, car il y a des endroits où le véhicule ne peut pas rouler. Dans d’autres lieux, il faut y aller discrètement pour ne pas attirer les rebelles et les militaires. Les rebelles demandent toujours de l’argent. Chaque pays a ses rebelles. Même les militaires se conduisent comme les rebelles. Ils veulent tous de l’argent. Si tu ne paies pas, tu ne passes pas. On te frappe, on te maltraite. Tu dois appeler ta famille pour t’expédier de l’argent. Si elle n’envoie pas d’argent, on te casse la gueule.» Moussa ajoute : «Nos papiers nous ont été confisqués par les rebelles.» Autre précision de taille : «Les femmes étaient systématiquement agressées», dénonce-t-il. Souvent, les violences corporelles sont accompagnées en l’occurrence d’agressions sexuelles. «Quand je suis arrivé à Tamanrasset, il ne me restait plus que 1000 DA. J’ai juste payé le bus pour Ghardaïa, je n’avais pas de quoi manger. J’ai prié Dieu pour manger parce que c’est Dieu qui donne», poursuit Moussa. «Si tu ne risques pas, tu ne gagnes rien» A Conakry, Moussa était chauffeur de bus, un métier qu’il a exercé sept ans durant. «C’est mon père qui m’a encouragé à partir parce que quand tu rentres en Europe, tu vas bien préparer ton avenir. C’est pour ça que nous avons laissé l’Afrique. Mais ma mère ne voulait pas que je parte. Je suis le seul garçon de la famille. Quand je lui ai dit que je voulais traverser la mer, elle ne m’a pas laissé partir.» Le père de Moussa est tôlier. Lui-même a dû émigrer vers la Libye pour faire vivre sa famille. «Il est resté quatre ans en Libye, il est rentré juste avant le début de la guerre (en 2011, ndlr)», dit-il. A Alger, Moussa et ses compatriotes travaillent dans les chantiers de BTP. «Le travail, des fois tu trouves, des fois pas. Mais il ne faut pas désespérer. Quand ça ne marche pas, il faut se serrer la ceinture, c’est tout», lance-t-il avec philosophie. En guise d’abri, ils végètent dans une cité en construction. «Il n’y a personne qui accepte de nous héberger, alors que l’Afrique c’est la famille», soupire-t-il. «Les Algériens, il y a du bon et du mauvais, mais ça, c’est dans le monde entier. Tu trouves un Algérien qui t’insulte et un autre qui te donne à manger, un Algérien qui peut te rejeter, un Algérien qui peut te donner de l’argent sans travailler. Donc, je ne peux pas dire qu’ils sont tous méchants.» Moussa n’a qu’une idée en tête : se faire un peu d’argent et poursuivre sa route vers l’Europe. «La voie la plus rapide, c’est par la Libye. Mais il faut de l’argent pour ça», dit-il. En attendant, il a veillé à se signaler auprès de son ambassade «pour avoir un petit bout de papier, au moins pour informer les parents s’il m’arrivait quelque chose.» Justement, n’a-t-il pas peur d’une telle issue – à Dieu ne plaise – comme il arrive si souvent avec tous ces rafiots troués qui chavirent en Méditerranée ? «Rien mon frère !, réplique-t-il, déterminé. De toute façon, tu vas mourir, c’est obligé. Si tu ne risques pas, tu ne gagnes rien.»

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