lundi 14 août 2017

L’or rouge toujours importé

Le pic de la campagne de la tomate industrielle est passé à El Tarf. Et différemment de ce qu’on peut encore voir à Boumaïza (wilaya de Skikda), il n’y a pas eu de longues files de tracteurs à remorques et de camions pleins de tomates fraîches qui attendent leur tour pour décharger le fruit de leur labeur dans les cuves des 5 conserveries en activité à El Tarf. Que se passe-t-il donc ? Les transformateurs ont-ils pu absorber aussi rapidement la production des agriculteurs ? «Non», répondent de la même voix les principaux acteurs de cette filière, agriculteurs-producteurs et conserveurs. «C’est plus grave, c’est la crise des années 2000 qui revient à cause de la mévente du double concentré de tomate dont près de 70% de la production de la saison 2015-2016 est encore dans les stocks.» La cause : on continue à importer de Chine «l’or rouge», le triple concentré de tomate chimiquement suspect alors que la production nationale est en mesure de couvrir en grande partie le besoins et, nous assurent des transformateurs, viser l’exportation. A la direction des services agricoles d’El Tarf, on nous confirme par les chiffres le recul inquiétant des productions. Chanez Zaïdi, chef du service production agricole et appui technique, nous indique qu’il y a eu seulement 2600 ha mis en culture pour la saison 2016-2017, alors qu’elle était presque le double (4850 ha) pour 2015-2016. Les raisons ? Il y en plusieurs. Une majeure : les producteurs, dont le nombre avoisine les 400 à El Tarf, n’ont pas été payés par les transformateurs pour leurs produits de la saison passée. Comment dans ce cas se lancer dans une nouvelle campagne sans les ressources nécessaires ? D’autant plus que les transformateurs n’ont pu leur offrir l’aide financière habituelle étant eux-mêmes sans ressources à cause des stocks d’invendus. Les efforts de l’état ont permis de passer de 200 à 600 q/ha 4700 ha sont en irrigué, dont 60% par le goutte-à-goutte. La sécheresse serait aussi l’une des causes du recul de la production. Elle est réelle mais ce serait aussi un prétexte avancé par les producteurs pour expliquer leur abandon car il y a bien eu abandon. En effet, nous apprend Mlle Zaïdi, des producteurs ont fait des commandes importantes de plants dans les pépinières, puis ils se sont rétractés au grand dam de ces dernières. C’est la crise qui revient après tous les efforts consentis par l’Etat pour la surmonter ? «Pas tout à fait, nous dit la responsable à la DSA, les choses ont malgré tout évolué depuis avec la mécanisation des récoltes, le goutte-à-goutte, les nouvelles variétés et un suivi strict des itinéraires techniques. On est passé de 200 quintaux à l’hectare (q/ha) à 600 q/ha pour une moyenne nationale de 400 q/ha.» Pour 2015-2016, la production totale de tomate fraîche à El Tarf a été de 6 millions de quintaux, elle était de 600 000 en 2008-2009 avec la reprise des activités à la sortie de la crise. Elle a donné 177 000 q de concentré de tomate dont, selon des transformateurs, 70% sont encore en stock. Contestable certes, mais difficile en effet d’avoir le volume de ces stocks. On parle de tricheries sur les quantités déclarées par les conserveries pour bénéficier des primes accordées par l’Etat dans le cadre de sa politique de relance de la filière. On triche sur les quantités livrées par le producteur ce qui fait que souvent on trouve des rendements proches de 1000 q/ha et on triche sur la transformation en gonflant les volumes. A ce propos, nous disent des conserveurs que nous avons rencontrés, il serait temps que l’Onilev (Office national interprofessionnel des légumes et des viandes), chargé du contrôle des productions, rende publics les dossiers des contrôles de la saison passée où, toujours selon nos interlocuteurs, des tricheries patentes ont été constatées. Les conserveurs cachent l’origine du concentré importé Dans tous les cas, les stocks d’invendus existent et ils sont importants. Nos interlocuteurs les estiment pour les seules wilayas du Nord-Est, Tarf, Annaba, Skikda, Guelma, à 70 000 tonnes, soit presque la totalité des besoins nationaux fixés eux à 80 000 tonnes de concentré de tomate (CT). Pourquoi alors continuer à importer ? L’année dernière et au profit d’une poignée de conservateurs qui bénéficient de largesses considérables auprès des banques, 41 000 tonnes de triple concentré de tomate (TCT) ont été importées autour de 1000 dollars la tonne. C’est le prix déclaré en douane qui, on s’en doute un peu, est loin de la réalité qui elle se situe autour de 300 dollars et moins selon les régions de production en Chine. Une bouchée de pain et si on sait qu’avec 1 kg de TCT mixée à du CT national, on fait 3 kg de CT. Faites le calcul des bénéfices avec le prix de la boîte d’un kg dans votre région. Sur la boîte de concentré de tomate que vous achetez, nous indique un cadre de la direction du commerce et des prix, il n’est pas fait mention, en dépit de la loi sur l’étiquetage, de la traçabilité et que l’origine du produit est chinoise. Imaginez un peu la réaction du consommateur algérien s’il constate que le produit est chinois alors qu’il sait la valeur du produit national, même de médiocre qualité. Juteux marché. Et on comprend alors pourquoi les pouvoirs publics n’arrivent pas à s’imposer depuis qu’ils ont déclaré qu’ils allaient faire preuve de fermeté pour l’arrêt de ces importations dans le sillage des mesures prises pour pallier à la chute des prix du pétrole. Les importateurs de l’or rouge sont financés par les banques publiques Les importateurs-transformateurs sont connus sur la place de Annaba et dans tout le Nord-Est. Dans l’administration, on susurre leurs noms ou la marque de leurs produits avec le nom de leurs conserveries. Aux Douanes, on ne communique rien à leur sujet mais on les montre du doigt comme des privilégiés. Dans le milieu, on s’interroge sur la facilité - une grande injustice - avec laquelle des crédits leur sont accordés pour continuer à importer de «l’or rouge», comme on le nomme par ici. Ce ne sont pas des inconnus, l’un d’eux s’est rendu célèbre avec des céréales et des pâtes et il fait bonne figure au FCE (Forum des chefs d’entreprise), qui fait tant parler de lui ces derniers temps. Avant la crise des années 2000 due à l’importions du TCT, la filière tomate industrielle, rappelons-le, employait 100 000 personnes rien qu’à El Tarf, pendant la campagne et la moitié au cours d’année. Elle permettait à des centaines de familles de renflouer leur budget pour la rentrée scolaire et sociale. Beaucoup d’enfants étaient beaux et heureux le jour de la rentrée grâce à la tomate. Ces beaux jours étaient en train de revenir avec les aides de l’Etat et des producteurs et conserveurs qui ont repris confiance. Faut-il que cela recommence pour avantager quelques privilégiés du pouvoir en place ?  

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