A l’heure où l’on assiste à des remaniements ministériels au pas de charge, il serait utile de s’interroger sur la fonction de ministre en Algérie : quel est le profil dominant de nos ministres ? Comment sont distribués les portefeuilles ministériels ? Quel est le pouvoir réel d’un «wazir» en Algérie ?
Le sociologue Nacer Djabi a consacré justement un copieux ouvrage à cette question. Il s’agit de son livre El Wazir el-djazairi, oussoul wa massarate (Le ministre algérien, origines et parcours, éditions Chihab, 2011). C’est le fruit d’un travail de recherche colossal qui s’est étalé de 1994 à 2011, et qui a amené le sociologue à interviewer plus de 130 ministres (134 noms exactement sont cités dans le sommaire).
Dans un chapitre introductif où il livre de précieuses clés de lecture, le sociologue écrit : «Le (la) ministre auquel nous consacrons cette étude n’est pas toujours important du point de vue du pouvoir de décision dont il jouit à l’intérieur du système politique algérien — et qui est caractérisé par une domination manifeste de l’institution sécuritaro-militaire — quand cela porte sur les décisions cruciales.»
Nacer Djabi atteste que dans la majorité des cas, c’est même une position bien modeste que celle du ministre algérien, dans l’architecture du pouvoir. A telle enseigne que «plus d’un ministre a déclaré qu’il souhaitait oublier cette expérience». Disséquant les critères qui président à la nomination aux postes ministériels, le sociologue évoque, entre autres, le poids du régionalisme dans le jeu des désignations.
«On peut dire que tous les gouvernements, avec des fortunes diverses, ont tenté de préserver une sorte d’équilibre régional, mais souvent, cela penchait in fine en faveur de la région du président de la République, et cela ne se traduit pas seulement par la quantité des nominations mais aussi qualitativement, par les postes de souveraineté», note le sociologue. Il cite, à l’appui, la prédominance des ministres issus de la région de Tlemcen sous la gouvernance Bouteflika.
Concernant le niveau d’instruction, le sociologue indique que la majorité des ministres qu’il a rencontrés sont titulaires d’un diplôme universitaire. «Ces ministres hautement qualifiés ont ‘ troqué’ leur qualifications scientifiques contre des postes ministériels, sans ambition d’avoir une grande influence sur la décision politique», relève l’auteur. M. Djabi fait nettement le distinguo entre «ministres politiques» et «ministres technocrates» en faisant remarquer que ces derniers agissent «comme des fonctionnaires, des commis de l’Etat, dans le système, exécutant ce qui leur est demandé, sans plus». Nacer Djabi affirme, par ailleurs, que «le haut fonctionnaire, le cadre supérieur ont de fortes chances de rejoindre l’Exécutif (…)
A la tête de cette catégorie, les secrétaires généraux des ministères». Il y a également les walis : «Les walis qui ont dirigé les grandes villes comme Alger, Oran, Annaba, Constantine ont aussi de fortes chances d’arriver au gouvernement.» L’APN est, elle aussi, pourvoyeuse de carrières officielles, selon M. Djabi : «Le député qui a longtemps occupé des positions privilégiées au sein de l’APN (chef de commission ou rapporteur) a toutes ses chances de siéger dans l’instance exécutive.»
Autre vivier : le corps diplomatique, les grandes entreprises comme Sonatrach, Sonelgaz, etc.Nacer Djabi rattache la «longévité» de tel ou tel ministre à la position qu’il occupe au sein du «noyau du » du pouvoir. Il cite, à ce propos, plusieurs noms qui étaient loin d’être de simples figurants au sein de l’Exécutif, à l’instar de Belaïd Abdeslam, Cherif Belkacem et Ahmed Taleb Ibrahim sous Boumediène ou Larbi Belkhir sous Chadli et Bouteflika. Si bien, dit-il, que «le rang de ministre était un ‘rabaissement’ de leur rôle politique effectif» au cœur du système. Mais force est de constater que la catégorie dominante est celle des ministres éphémères, précaires, au pouvoir de décision limité.
Nacer Djabi analyse, à ce propos, les protocoles de désignation et d’éviction comme indicateurs de pouvoir.
Certains ministres sont désignés sans leur laisser le temps de réfléchir. «Mais les circonstances de l’éviction confortent encore davantage cette modeste position qu’occupe le ministre algérien», observe le sociologue. «Un ministre peut être remercié par téléphone, ou bien être démis de son poste en pleine visite officielle à l’étranger, ou en visite de terrain» et, pis encore, il arrive même «qu’il l’apprenne par la télévision, comme lorsqu’il avait appris la nouvelle de sa nomination».
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