Le Premier ministre fait l’objet depuis quelques jours d’une campagne féroce menée, notamment, à travers les médias. La confusion reste totale d’autant qu’aucune voix officielle ne vient mettre un terme aux spéculations. Inédite confusion au sommet de l’Etat. Jamais un Premier ministre n’a été soumis à des attaques aussi violentes que celles que connaît depuis quelques jours Abdelmadjid Tebboune. Elles sont aussi étonnantes que déroutantes, d’autant qu’elles proviennent des cercles du pouvoir et leurs relais. Distillées de manières informelles et clandestines, ces attaques visent à jeter la suspicion sur l’action du Premier ministre pour le pousser dans ses derniers retranchements. Au mieux, le contraindre à reculer, à abandonner, au pire le pousser à jeter l’éponge. Tenue en haleine, l’opinion publique s’interroge et se demande quelle va être l’issue de ce bras de fer violent. Abdelmadjid Tebboune, qui a pris l’engagement public et devant la représentation nationale de «séparer» les forces mercantiles du politique, pourra-t-il résister à la bourrasque qui s’abat sur lui ? Pour le moment, il affiche une attitude sereine. Il tient face à la tempête. Mais jusqu’à quand ? Dispose-t-il du soutien nécessaire au sein des appareils de l’Etat, lui qui assurait que la politique qu’il mène «découlait directement d’une feuille de route fixée par le chef de l’Etat». D’évidence, il n’entend pas reculer. Ce qui explique vraisemblablement l’escalade dans les attaques qu’il essuie. Une campagne politico-médiatique systématique, instrumentée pour abattre cet homme qui aurait «l’audace» de déranger d’énormes intérêts, de mettre la main sur des dossiers gênants et mettant en cause des intérêts de groupes économiques influents en collusion douteuse avec les centres de décision politique. Dès sa prise de fonction, le patron du palais Docteur Saâdane s’est employé à redéfinir les frontières entre l’Etat et ses partenaires économiques et sociaux. Une démarche qui devrait passer nécessairement par redonner de l’autorité aux institutions de surcroît affaiblies, reprendre le contrôle sur les politiques publiques et permettre à l’Etat de redevenir l’acteur central dans le jeu politique. Une tâche aussi complexe que dure à mener dans un contexte politique marqué par la prééminence de l’informel. Trois principaux dossiers auxquels le Premier ministre s’est attaqué et qui ont vite fait réagir des groupes influents, certains visibles incarnés par le Forum des chefs d’entreprise, et d’autres tapis dans l’ombre du «palais» : le foncier industriel et agricole, les licences d’importation et les crédits bancaires. Arrivant au palais du gouvernement, le Premier ministre découvre l’ampleur du siphonage des capitaux publics par une minorité d’hommes d’affaires pendant que la majorité des Algériens est promise à l’austérité annoncée. Chargé de mettre de l’ordre dans la «maison», Abdelmadjid Tebboune savait qu’il allait être confronté à une résistance qui viendrait de l’intérieur. Il prend le risque de s’exposer à une contre-offensive menée par le patronat privé et le syndicat officiel coalisés. Son autorité est défiée, mais il ne cède pas, même s’il est poussé à «calmer» les tensions au risque de provoquer une déflagration. Le pouvoir ne peut s’autoriser le luxe d’une crise interne dans un moment politique extrêmement sensible et à la veille d’une échéance politique à laquelle il ne s’est pas encore préparé. Après les répliques aux mises en demeure du président du FCE, Ali Haddad, qui en réalité confirme le rôle politique du patron du groupe ETRHB que conteste justement le numéro deux de l’Exécutif, vient un curieux message attribué au chef de l’Etat distillé de façon informelle — une fois de plus — par voie médiatique, qui sème le doute et la confusion. Se trouvant en vacances à l’étranger, le Premier ministre aurait été destinataire d’une «mise en garde» présidentielle. C’est tout de même curieux pour le fonctionnement d’un Etat et à ce niveau de responsabilité. Ni les services du Premier ministère ni ceux de la Présidence ne confirment ni infirment l’existence d’une correspondance recadrant le Premier ministre. Par ailleurs, des sources concordantes assurent que «le chef de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, aurait ‘‘instruit’’ le Premier ministre, depuis quelques jours déjà, de mettre un terme à la situation née des décisions du gouvernement» ! Difficile à vérifier. Ce qui est certain par contre est qu’entre Ahmed Ouyahia et Abdelmadjid Tebboune le courant ne passe pas depuis longtemps. Les deux hommes n’ont jamais fait bon ménage. Une guerre larvée oppose les deux responsables qui remonte à la surface au lendemain des élections législatives. Le secrétaire général du RND n’aurait pas «apprécié» la nomination de l’ex-ministre de l’Habitat à la tête du gouvernement. Une tâche complexe En colère, M. Ouyahia n’a pas non plus vu d’un bon œil le choix de l’équipe gouvernementale dans laquelle ses «hommes de confiance» ne figurent pas. Mais, les divergences entre le Premier ministre et le chef du cabinet de la présidence de la République ne sont pas seulement d’ordre politique liées aux ambitions de l’un et de l’autre. Elles ont à avoir avec l’action que mène M. Tebboune dans la reddition des comptes des milieux d’affaires. Ce «coup tordu», s’accompagne de la séquence soigneusement mise en évidence lors des obsèques de Redha Malek, où le frère cadet du Président, Saïd Bouteflika, aux côtés de Ali Haddad et Abdelmadjid Sidi Saïd «narguant» le Premier ministre qui semble encaisser le coup. Sujet à spéculation, l’image du «trio» a été excessivement instrumentalisée dans le but d’«assassiner» moralement Abdelmadjid Tebboune. Mais pour l’opinion, c’est l’effet inverse qui s’est produit, si vraiment c’était l’objectif rechercher, à savoir «sauver le soldat Haddad». De toute évidence, le frère cadet du Président s’est pris l’arme chimique à la figure. En somme et dans les deux cas, rien de très rassurant pour la conduites des affaires publiques. En effet, ce clair-obscur dans lequel se livre une guerre interne au sérail ne présage rien de rassurant, du moins pour le bon fonctionnement de l’Etat qui se trouve depuis longtemps affaibli, discrédité et avili. Abdelmadjid Tebboune ne se prend pas pour «Zorro». Loin s’en faut. Il tente seulement d’assumer le rôle pour lequel il a été désigné. Il se heurte à une opposition frontale qui avance souvent à visage masqué et qui lui assène des coups de toutes parts. Et c’est l’institution qui en prend pour son grade. Cette situation confirme la profondeur de la crise politique du pouvoir, aggravée par un quatrième mandat présidentiel problématique. Le contexte commande urgemment d’éviter au pays l’irréparable et ensuite lui donner la possibilité de se doter d’institutions solides, crédibles et justes. Sortir définitivement de l’informel, qui le prend en otage, pour parvenir à terme à un Etat de démocratie véritable.
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