samedi 19 août 2017

«Réaliser la socialisation de tamazight, voilà l’objectif»

Le passage de la caravane à Témouchent en hommage à Mouloud Mammeri s’est fait sous la houlette de Si El Hachemi Assad, secrétaire général du HCA. Il a répondu à nos questions et relativement aux défis auxquels fait face cette institution. Syphax a été maltraité par l’historiographie romaine, celle du vainqueur, ainsi que par celle du dernier colonisateur en date se coulant dans le rôle d’héritier de Rome. Depuis l’indépendance, il en est ainsi. De la sorte, à l’ouest du pays, depuis la levée de la chape de plomb sur l’amazighité, on s’étonne que le HCA n’en ait eu que pour Massinissa et sa descendance alors que Syphax, qui a été tout aussi puissant que lui sinon plus, puisqu’il a été le premier monarque à frapper une monnaie à son effigie et que le territoire sur lequel il régnait constituait la presque totalité de la Numidie, Gaïa, son rival ne disposait alors que d’une portion congrue… Le processus de réhabilitation de l’amazighité a pris du temps et en prendra encore. Syphax a subi le préjudice de l’histoire. Si on a fait escale à Témouchent, c’est aussi pour cela. Tamazight est à l’école à Témouchent. Au HCA, nous sommes déterminés avec nos universitaires à accomplir le travail. Sauf qu’un colloque, cela se prépare. Il faut réunir les conditions objectives de la réussite autour d’un comité scientifique qui intègre les locaux. Je suis là aussi pour sensibiliser Mme le wali, car c’est à Témouchent que nous voulons qu’un colloque se tienne sur Syphax. On est sur la bonne voie. Le colloque va être inscrit sur notre plan de charge pour l’année 2018 et aura lieu au cours du printemps. Un certain volontarisme, certes nécessaire, pour concrétiser l’officialisation de tamazight, en particulier par la confection de lexiques, rappelle une même démarche entreprise lors de la politique d’arabisation avec les fâcheux résultats que l’on sait, une langue ne se réduisant pas à une collection de mots. Ne risque-t-on une «tamazighitisation» sur le modèle de l’arabisation ? Le mot-clé, c’est le processus. Nous n’allons pas brûler les étapes. Nous allons généraliser tamazight graduellement au niveau de nos partenaires institutionnels, l’éducation et la communication essentiellement. Mais il y a un travail de fond qu’il faut prendre en charge dès maintenant, celui de la normalisation de la langue, la standardisation de tamazight. L’objectif à atteindre, après l’officialisation, c’est la socialisation de tamazight de sorte que le non-amazighophone se sente concerné parce que c’est sa langue à lui aussi. Ce travail de fond peut se réaliser à travers l’engagement de visiter notre histoire, notre patrimoine immatériel, célébrer Yennayer par exemple. Je reviens à la question du lexique qui est un travail de spécialistes. Nous avons élaboré 17 lexiques thématiques, un premier glossaire à l’usage des institutions de la République, les ministères et tous les partis agréés. Prochainement, il y aura des élections locales. Plus aucun parti ne pourra prétendre qu’il n’a pas la maîtrise de tamazight pour son affichage. Nous avons présenté le grand dictionnaire de tamazight. C’est l’effort de plusieurs années et de plusieurs intervenants. Pour la symbolique, nous allons le valider à Témouchent. Ceux qui sont venus avec nous sont venus pour travailler. Malheureusement, ici, à la maison de la Culture, nous n’avons pas trouvé les conditions favorables. Je suis sidéré de constater une certaine indifférence des responsables locaux. Désolé, nous avons ramené la crème de nos invités. On voulait rencontrer l’élite locale. Nous allons semer ailleurs à travers le territoire national. Vous avez à gérer le défi de plusieurs inconciliables agendas, celui des politiques aux commandes de l’Etat, celui de leurs opposants comme de la société civile, des agitateurs de tous bords, de la rue et des citoyens… Enfin, vous avez à tenir compte du temps de la recherche, des spécialistes et des producteurs d’une littérature de bonne facture pour l’enseignement de la langue, ce qui est produit est pour l’essentiel le travail de thésards plus ou moins inspirés… Il nous faut imposer la sérénité. Tamazight a besoin de cela et d’engagement pour un travail sérieux en sa faveur. Depuis 1990, tamazight est à l’université. Un contingent de quelque 3000 berbérisants à été formé. Ils sont avec nous. C’est un point fort. Il suffit de leur offrir un poste de travail pour généraliser tamazight. Moi, je soutiens un système de cohérence dans l’enseignement de tamazight. On commence par la base, c’est-à-dire le cycle primaire. Le préscolaire, cela aussi, c’est un projet sérieux. L’enfant va découvrir l’autre langue si l’arabe est sa langue maternelle. C’est un projet d’avenir pour consolider l’unité nationale. Le bilinguisme est un projet possible. Cependant, la prudence veut qu’il faille mûrir les projets plutôt que la précipitation. Enseigner une langue suppose qu’il faut disposer d’une langue écrite. Une langue de haute facture parce que l’écrit, littéraire ou scientifique, c’est la complexité, la densité, du style, etc ; malheureusement, concernant tamazight, le déficit est pour l’heure énorme. Les Mohia sont peu nombreux, hélas… C’est une problématique qui n’a pas été perdue de vue par le HCA. On parle d’anthologie de textes littéraires dans le manuel scolaire. Une passerelle est établie avec le ministère de l’Education nationale. Il faut associer les auteurs. Algérianiser et réhabiliter l’algérianité. Il faut qu’on trouve dans cette anthologie Apulée, Dib, Mammeri. A ce propos, demain à Tlemcen, il sera question de Mammeri et sa contribution à la lutte de Libération nationale et d’évoquer ses œuvres majeures qui vont être traduites en tamazight. Qu’un autre partenaire s’implique avec nous. C’est le consensus qui va prendre en charge la réalité linguistique. Il faut que le citoyen de Timimoun ou de Tamanrasset ou chaoui se sente concerné. Il faut aménager cette langue et qu’il y ait en ce sens une interaction entre les variantes. On va vers l’institutionnalisation d’une Académie, un instrument qui manque à la promotion de tamazight. Moi, je plaide pour la complémentarité de ces deux institutions.  

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