Saïd Khelil était cadre du Front des forces socialistes. Il avait côtoyé Hocine Aït Ahmed pendant une quinzaine d’années. C’est à ce titre qu’il apporte son témoignage sur le chef historique du FFS dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder. - Quelle image gardez-vous de Hocine Aït Ahmed ? C’était un homme affable, proche des militants. Il n’était pas ce chef distant et cassant. Son charisme suffisait pour exercer l’autorité. Humainement, il était très communicatif, du moins durant la période où on a travaillé ensemble. Il communiquait beaucoup et avait une capacité d’écoute rare. Il posait des questions et écoutait et cela l’aidait d’ailleurs. A l’époque où il dirigeait la direction nationale en Algérie, il y avait beaucoup de collégialité dans la prise de décision. C’était un homme attachant, remarquable et bienveillant. - Dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré ? A l’époque, on militait au sein du FFS, une organisation clandestine. J’ai rencontré Hocine Aït Ahmed après les événements de 1980 (Printemps berbère, ndlr) et en 1985 lors d’un passage à Paris. C’est Mouloud Naït Maouche qui m’a fait rencontrer à la fois Ali Mécili et Hocine Aït Ahmed qui me connaissait en tant que militant. J’avoue que j’étais curieux de lui parler de vive voix. Sans prétention, je devrais dire que c’était une découverte mutuelle. J’ai découvert un mythe personnifié. Cela correspondait à ce que j’imaginais. Il rayonnait, il débordait, il était très expressif. Puis, on est rentré dans le vif du sujet. La discussion tournait autour de la situation politique du pays suite aux arrestations des amis, militants de la Ligue des droits de l’homme en 1986. Il n’avait pas donné d’instructions, mais plutôt des échanges. Pour nous, il était une source d’inspiration, d’idées. - Et la dernière rencontre ? Des années sont passées et avec le terrorisme, des divergences sont nées et j’ai dû quitter le FFS. Mais franchement, j’aurais traîné une grosse frustration de ne pas le rencontrer et le saluer avant la rupture. Il a fallu attendre 2010 pour qu’enfin j’eue l’opportunité de le revoir à l’occasion d’un hommage à Mécili. Djamel Bensbaâ, ancien membre de la direction nationale du FFS, et moi-même étions partis pour le saluer. Il nous a reçus chaleureusement. On a discuté longuement, et c’est dire la grandeur de la personne. J’étais conscient que ça allait être la dernière rencontre. J’étais soulagé, car j’ai revu Hocine Aït Ahmed, ce grand dirigeant. - Quelle a été sa pédagogie politique envers les militants ? Il était très accessible, il était dans un esprit d’échanges, même contradictoires. Mais, je dois avouer que quand il était loin du pays, la prise de décision était compliquée. Aït Ahmed avait une immense stature, c’était un père de la Révolution, mais aussi un intellectuel qu’on écoutait avec délectation. On était dans une vulgate révolutionnaire, où les slogans sonnent avec l’action politique. On était aussi dans des échanges intellectuels. Le FFS était un creuset de réflexion, il y avait des universitaires de renom comme Benissad ou encore Bencheikh, sans oublier ceux qui sont dans la direction nationale comme Bouhadef et Lahlou. Au FFS, il y avait des activistes et des universitaires. La mayonnaise avait bien pris, mais les événements douloureux qu’a connus le pays ont fait que cela n’a pas abouti. Après son départ du pays, il y a eu la formule magique de la SGPI (secrétariat général par intérim). A Tizi Ouzou, il y avait Hamdani, Halet, Hamid Lounaouci et moi-même et à Alger, il y avait Bouhadef, Debaili, Djedai, Ali Rachedi et Daoud. Il y avait aussi Djamel Bensbaâ et Brahimi. C’était une gestion qui avait ses limites. J’ai une pensée pour Mahiou, victime de son dévouement, et aux martyrs de la démocratie. - On prête souvent à Aït Ahmed des propensions au «zaimisme», à l’évacuation de la contestation au sein du FFS. Est-ce vrai ? L’heure est au recueillement, à l’hommage et à la méditation. L’histoire d’Aït Ahmed est liée à l’histoire de la nation dont il est l’un des pères fondateurs. Outre son apport à la Révolution, il faudra noter que les années 1990 étaient une période trouble, complexe sur le plan politique et social. Il n’y a pas eu une adaptation à toutes ces évolutions. On avait en plus connu un désert politique de trois décennies et on était exigeants envers ce dirigeant. En tout cas, il était un homme avec ses forces et ses limites. Il a irrigué de ses idées et de sa démarche une scène politique indigente face à un système monolithique, fermé. On s’était retrouvé dans une impasse génératrice de crises et pour ne pas éluder la question, je dois dire que l’environnement politique de l’époque n’a pas permis une évolution sereine de transition au sein du parti, de mon point de vue, depuis son éloignement. - Aït Ahmed sera enterré dans son village natal. Qu’est-ce que cela symbolise pour vous ? Cela ressemble au personnage. Jusqu’à la dernière minute, sa relation plus que mouvementée avec les autorités sera marquée par un dernier affront en refusant El Alia. C’est un juste retour des choses, ramener l’histoire à sa source, c’est-à-dire d’où il est parti.
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