Jamais un leader politique national n’a été aussi porté au panthéon de l’histoire comme c’est le cas de Hocine Aït Ahmed. Les valeurs de résistance, de liberté, de démocratie et de réconciliation fondant le socle de son engagement n’ont jamais été autant célébrées. Le pays vit une semaine très émouvante remplie d’hommages et de gratitude populaire à l’égard d’un homme à part. Son parcours, son combat, sa figure sont sanctifiés dans un moment de communion nationale. La disparition de cet impénitent combattant est aussi un acte hautement politique et d’une immense portée historique. Cela lui ressemble superbement. Transcendant tous les clivages politiques, idéologiques, historiques et générationnels, le peuple s’est réapproprié les combats et les causes du chef historique et de l’irréductible opposant à l’autoritarisme. Il aurait aimé vivre ce moment rare et voir son combat triompher dans l’esprit et les cœurs de ses compatriotes. L’enfant de Aïn El Hammam est définitivement entré dans la légende. Comment alors ce leader politique, qui durant sa vie militante a été farouchement combattu, emprisonné, condamné, exilé, persécuté, est redevenu soudainement une icône, une source de fierté nationale retrouvée ? Il est indéniable que l’inspirateur du combat révolutionnaire contre l’occupation coloniale assumait des valeurs de liberté, de démocratie et du respect des droits de l’homme dans les pires moments de l’Algérie indépendante. Historique, révolutionnaire, combattant permanent en faveur de la démocratie, intellectuel, chef politique charismatique hors pair. Hocine Aït Ahmed est un militant aux multiples légitimités qui font de lui un homme d’exception. Un confluent de légitimités. Un liant national. Un des pères fondateurs, le dernier, le plus fougueux parmi eux. L’homme de l’Organisation Spéciale est resté jusqu’au bout un véritable OS. D’évidence, sa disparition vient rappeler aux Algériennes et Algériens la fin d’une génération qui se confondait avec une époque glorieuse. La perte d’un père au moment même où le pays n’en finit pas de se chercher, où les Algériens sont en quête permanente d’une Algérie tant rêvée. «Au-delà de la compassion, du deuil qui sied à la circonstance de recueillement, avec la disparition de Hocine Aït Ahmed, il s’est exprimé une demande nationale et le besoin d’un leader qui transcende et qui incarne l’idée nationale. Et qui mieux qu’un Aït Ahmed pour l’incarner», analyse le sociologue Nacer Djabi. Faute d’avoir produit des nouvelles figures après l’indépendance nationale, les Algériens «se tournent vers celles du Mouvement national qui ont engagé une lutte victorieuse. La mort d’Aït Ahmed est celle d’un père. C’est la fin d’une génération et ce moment nous interpelle en tant que société, mais surtout en tant que système politique à créer les conditions historiques pouvant permettre la production de nouveaux leaders», poursuit le sociologue qui scrute le mouvement de la société. Cependant, dans cet élan unanime, Nacer Djabi y décèle «la manifestation d’un sentiment de culpabilité à l’égard d’un homme, le refus d’assumer la citoyenneté portée et donnée par les hommes comme Aït Ahmed, on veut la reprendre maintenant qu’il est parti». Dans cette expression populaire, point de culte de personnalité contre lequel Aït Ahmed s’est toujours dressé, mais une adhésion à un idéal, un rêve, une utopie pourtant réaliste et réalisable. Dans ce mouvement spontané de réappropriation de l’idée du combat libérateur et sa continuité durement assumée par Aït Ahmed et bien d’autres parmi ses compagnons s’exprime aussi un fort désir d’émancipation. Le rapport à l’Etat et à la nation se désarticule à mesure d’usurpation, de détournement de souveraineté et d’injustices commises au nom même de cet Etat et au nom d’une légitimité historique. La désillusion a eu des conséquences fâcheuses sur le lien national. Le désespoir a été à la mesure de l’énorme rêve indépendantiste brisé. «L’Etat représentant, incarnant et défendant les intérêts du peuple et les aspirations de la société dans sa diversité, a été confisqué par une caste prédatrice et ne répond plus aux aspirations du peuple et de la société», regrettait Aït Ahmed dans un de ses discours célébrant l’anniversaire de la création du Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne (GPRA). La disparition du dernier des historiques a eu un effet d’électrochoc au sein de l’opinion qui montre et démontre son attachement viscéral à une certaine idée de l’Algérie, d’un Etat moderne, universel, dynamique qui exprime légitimement la souveraineté et les aspirations citoyennes, celui que Hocine Aït Ahmed n’a eu de cesse de revendiquer. Mais au même moment, elle réveille un sentiment de peur et des inquiétudes de ne pas voir émerger des figures nouvelles en mesure d’incarner cet esprit d’un Etat-national au service des citoyens. Pourtant ces femmes et ces hommes existent, certes, écrasés par des attitudes arrogantes des détenteurs du pouvoir de l’Etat. Ils se saisissent de ce moment historique et envoient un fort message pour briser ce cercle de défaites permanentes dans lequel est enfermé le pays.
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