jeudi 21 janvier 2016

La défense dénonce «une affaire politique»

Les deux avocats de Mohamed Meziane, lancien PDG de Sonatrach,  maîtres Nabil Ouali et Mohamed Athmani, s’accordent pour qualifier l’affaire Sonatrach 1 de «règlement de comptes, de terrorisme, d’affaire politique», utilisant tous les qualificatifs possibles pour casser l’argumentation du procureur général. Me Nabil Ouali commence par exprimer son regret de voir des cadres poursuivis par un tribunal criminel «pour des actes de gestion» et demande au tribunal de prononcer à leur profit «le non-lieu» en raison de «l’absence de plainte préalable», comme le stipule le nouveau code de procédure pénale, qui doit entrer en vigueur incessamment. Pour lui, la R15 «n’est qu’un règlement interne, dont la violation est passible de sanctions disciplinaires internes». Me Ouali affirme que l’idée d’équiper les installations en système de télésurveillance «n’est pas venue d’une stratégie diabolique, comme l’a affirmé le procureur général, mais des menaces terroristes qui pesaient sur la compagnie». Il rappelle les accidents de Skikda et les attaques contre les bases de vie à Rhourd Ennous, «qui ont fait perdre à la compagnie beaucoup d’argent et des vies humaines. En 2003, il y a eu d’ailleurs la création d’une direction de la sécurité et la sûreté interne de Sonatrach». Il cite le rapport de l’enquête préliminaire du DRS où il est fait état de l’existence de 1840 contrats de gré à gré douteux, en précisant avoir travaillé uniquement sur les cinq contrats pris comme échantillon. «Pourquoi ? Est-ce pour prendre en otage le PDG comme il l’a bien déclaré. Ces gens ne voulaient pas la tête de Sonatrach, mais celles du président et de Chakib Khelil. Ce qui les intéressait n’était pas l’intérêt du pays. C’est effroyable. Les deux enfants de Meziane en prison et lui sous contrôle judiciaire.» Me Nabil Ouali tient à rappeler que Sonatrach a connu 5 PDG depuis le départ de Meziane, tout en insistant sur la personnalité du PDG, «très occupé par son travail, pour avoir le temps de constituer une association de malfaiteurs». Pour lui, la moitié de la loi sur la corruption a été «collée à Mohamed Meziane. Mais, dans le dossier y a-t-il une seule preuve sur le fait qu’il ait accepté la corruption ? Le procureur général évoque les 10 000 euros. Mais a-t-il besoin de cette somme, lui qui gérait des milliards en devise ? Il aurait demandé à son fils de l’argent…» «Cette affaire est une pièce de théâtre» Avant de demander l’acquittement, l’avocat termine en qualifiant cette affaire de «terrorisme, qui a entraîné le pays vers la catastrophe. Regardez dans quel état se trouve Sonatrach, aujourd’hui. Il viendra le jour où personne n’achètera notre gaz et notre pétrole, parce que pollués par cette affaire. Hier, la France a ouvert une enquête sur Tiguentourine, et avant elle, la Grande-Bretagne. S’ils avaient laissé ces gens travailler, y aurait-il eu Tiguentourine qui a fait perdre au pays 6 milliards de dollars ?» Abondant dans le même sens, le bâtonnier de Sidi Bel Abbès, Me Mohamed Athmani, note l’affaire Meziane et ses enfants, et non  Sonatrach. Pour lui, l’affaire a éclaté en 2009, à la veille du 4e mandat : «Il fallait faire tomber le régime, mais à travers qui ? Mohamed Meziane et ses enfants. Toute l’affaire, depuis son début jusqu’à sa fin, est politique. L’enquête préliminaire a été un véritable abattage. Nous avons entendu des témoins nous dire que le juge les a mis sous contrôle judiciaire, et le colonel du DRS a décidé du mandat de dépôt. Ils ont présenté Meziane comme le grand ogre, qui a provoqué la crise en 1988, les événements en 1990, mis le feu au pays et assassiné même le président Boudiaf. Il fallait donc neutraliser ce fléau qu’il incarne.» Il critique, avec virulence, la constitution du Trésor public comme partie civile, mais également les propos des avocats de Sonatrach «qui ont exigé la plus lourde peine contre les accusés, alors qu’ils disent éviter toute demande de réparation parce qu’ils n’ont pas fait d’expertise d’évaluation du préjudice. Nous sommes face aux libertés des citoyens. Apportez les preuves de vos accusations. Le juge doit écouter, nous écouter parce que ‘‘hagrouna’’ ( ils nous ont fait du mal). Ils ont été entendus sous la menace du pistolet. Notre seul refuge c’est le tribunal». L’avocat aborde le délit de passation de marchés et affirme, lui aussi, que Sonatrach n’obéit pas au code des marchés publics, mais plutôt à des règlements internes. Pour lui, le parquet général s’est rarement référé aux textes de loi. «Il s’est contenté de faire des suppositions sur des liens par-ci par-là, pour construire les faits d’association de malfaiteurs. Cette affaire est une pièce de théâtre.» A propos du délit de corruption, il revient à la définition, avant de lancer : «C’est la connexion entre l’argent sale et la politique. Cela veut dire que l’argent des Meziane est entre les mains des hommes politiques, est-ce le cas ? Le parquet n’a même pas évoqué le crime lié à la direction d’une association de malfaiteurs.» Il explique en outre que le blanchiment d’argent est lié à la dilapidation des deniers publics, qui n’est pas clairement défini par la loi. «Est-ce que l’argent de Sonatrach était entre ses mains et qu’il l’a dilapidé ? Ceux qui dilapident cet argent  sont ceux qui financent les clubs de football, pour ne citer que ceux-là», affirme-t-il, en notant que les enquêteurs «semblent ignorer» la loi, en disant que le holding est illégal. «Sonatrach est une affaire de personne. C’est un règlement de comptes. Si la partie civile dit qu’elle n’a pas évalué le préjudice, pourquoi sommes-nous ici poursuivis pour dilapidation de deniers publics et surfacturation. Puis arrive Abdelhamid Zerguine, qui tombe du ciel, pour affirmer que les prix étaient de 350 000 euros pour le mètre linéaire d’un pipe de 48 pouces. Nous savons tous qu’entre Zerguine et Meziane, il y avait un différend. La directrice des ressources humaines dit que la promotion du fils de Meziane a été trop rapide. Meziane ne gère pas le recrutement. La compagnie a bel et bien recruté Réda Hemch qui faisait la pluie et le beau temps à Sonatrach. Le PGD reçoit des directives et des menaces de son ministre et tout le monde trouve cela normal.» Il conclut en demandant au tribunal de répondre «non» à toutes les questions qu’ils vont poser à propos de Mohamed Meziane. Mais avant cette plaidoirie, Me Miloud Brahimi, avocat de trois accusés, Nouria Meliani, patronne du bureau d’études privé CAD, Chawki Rahal, ancien vice-président de l’activité commercialisation et Mustapha Cheikh, ouvre les plaidoiries. Il qualifie de «sévère» le réquisitoire du parquet général, auquel il précise qu’il «ne représente pas le peuple mais le pouvoir exécutif et rien d’autre». Il s’attaque également à la plaidoirie de la partie civile qui a été, selon lui, aussi sévère, alors que les accusés «bénéficient de la présomption d’innocence tant qu’ils ne sont pas condamnés». Me Brahimi rappelle au tribunal qu’il a été le premier avocat à avoir été sollicité pour défendre les cadres de Sonatrach. «A cette époque, Sonatrach disait qu’elle n’avait subi aucun préjudice et, depuis juillet dernier, le nouveau code de procédure pénale prévoit que toute poursuite contre un cadre doit être précédée d’une plainte préalable. Laquelle des Sonatrach est aujourd’hui ici. Celle d’il y a 6 ans, ou celle d’il y a quelques mois ?» lance l’avocat avant d’évoquer l’affaire Sonatrach 2 qui, d’après lui, est plus «grave». «Maintenant que le procureur général d’Alger, Belkacem Zeghmati, a été relevé, et que l’affaire est à l’arrêt, quelle est la position de la partie civile et du parquet ?» se demande Me Brahimi avant de lancer : «Si en défendant une EPE, vous parlez au nom du peuple, moi, je parle au nom de la loi.» Une manière d’arriver aux violations de la loi. D’abord, «le fait que les accusés soient maintenus en détention depuis 6 ans est inadmissible et inconcevable», dit-il. Me Brahimi répond encore une fois à l’avocat de Sonatrach qui a tenu, selon lui, «des propos inappropriés» à l’encontre de l’Italie, «la deuxième civilisation après celle de la Grèce, et du groupe Eni, dont le premier patron Matei était une personnalité mondiale, reconnue et respectée». L’avocat rappelle au tribunal la loi 88/01, qui stipule que nul n’a le droit de s’immiscer dans la gestion des EPE, «sauf en cas de vol ou de corruption». «Pourquoi n’avoir pas convoqué Réda Hemch»? Me Brahimi s’offusque contre la décision de la Cour suprême de rejeter tous les pourvois en cassation introduits dans le cadre de cette affaire, sous prétexte que Sonatrach est un Epic, soumis au code des marchés. «Je suis pour le droit à l’erreur, mais pas pour le droit à l’ânerie», affirme l’avocat. Il revient à ses clients, d’abord Mustapha Cheikh, qui a bénéficié d’une extinction des poursuites et qui risque une année de prison, puis Chawki Rahal, poursuivi pour deux délits risque 3 ans de prison et Nouria Meliani. Il se demande pourquoi Réda Hemch n’a pas été convoqué, comme l’a été sa cliente, Mme Meliani. «Elle est poursuivie pour ‘‘trafic d’influence’’. Où est Hemch sur lequel elle a exercé ce trafic d’influence ? Nous sommes devant une justice du tiers-monde. C’est une honte pour la justice que de maintenir ces gens plus de 6 ans en prison. Je demande l’application de la loi et seulement la loi.» «Pourquoi n’a-t-on pas entendu Chakib Khelil ?» Avocat de Chawki Rahal et de Abdelaziz Abdelouahab, Me Khaled Bourayou trouve que l’affaire Sonatrach 1 «est purement judiciaire. Mais elle a été politisée et utilisée pour régler des comptes. Ce qui est étrange, c’est que celui qui est à l’origine de ce dossier a été écarté de la scène…» Il revient aux questions de droit, en affirmant, que les accusés doivent bénéficier de l’application des nouvelles dispositions du code de procédure pénale, qui énoncent l’obligation d’une plainte préalable en cas de poursuite contre les cadres dirigeants des EPE. Il estime que la demande du parquet, d’appliquer la loi, en ce qui concerne Abdelaziz Abdelouahab, est de bon augure, mais que Chawki Rahal risque néanmoins une peine de 2 ans de prison. Il revient sur les missions de son client qui suivait à la seconde les cours du pétrole, étant donné qu’il était vice-président des activités commerciales. «Pourquoi dans chaque affaire, on s’arrête aux PDG et les ministres échappent au filet ? Est-ce parce que les ministres ne sont pas corrompus ? Les décisions ont été prises par le ministre qui est le seul responsable des actes pour lesquels Chawki Rahal est poursuivi. Pourquoi le ministre n’a-t-il pas été entendu ? Rahal est l’un de nos meilleurs cadres qui a consacré plus de 40 ans au secteur pétrolier. Il est d’une compétence inouïe. Il a eu à assumer des missions aussi importantes les unes  que  les autres.» L’avocat plaide l’innocence de son client avant de passer à Mustapha Cheikh qui, dit-il, a été réduit à un simple plongeur dans une station d’essence, parce que la chambre d’accusation lui a refusé l’extinction des poursuites que le juge avait décidées. Il rappelle que Cheikh n’a même pas négocié le contrat, et l’a remis au service juridique pour le contrôler avant d’apposer sa signature. «Comment le parquet général peut-il dire que le subordonné est aussi passible de poursuite que son chef ? Que veut le parquet ? Une rébellion du subordonné contre sa hiérarchie ? Comment peut-on dire que Cheikh a abusé de la fonction de son vice-président et de son PDG pour imposer sa volonté. C’est absurde. Faites attention, votre décision doit mettre un terme à cela..» Les plaidoiries se poursuivront aujourd’hui avec d’autres avocats.  

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