- La question des privatisations revient à nouveau sur le devant de la scène avec, cette fois, une nouvelle formule d’ouverture du capital prévue par la loi de finances 2016. Vous qui avez travaillé sur cette question, quelles observations faites-vous de la précédente opération ? Le bilan établi sur les précédentes opérations est bien décevant tant au plan du volume des opérations réalisées que de celui, plus stratégique, de leur impact restructurant. Pour comprendre cet échec, il faut revenir à l’histoire des privatisations algériennes. Cette histoire se confond avec l’évolution des prix du pétrole. D’abord, c’est le contre-choc pétrolier de 1986 qui rappelle l’extrême vulnérabilité et la dépendance de l’économie algérienne aux hydrocarbures. Puis, au début des années 1990, l’Algérie connaît une crise de la dette extérieure. Celle-ci atteint son paroxysme en 1993 et l’Algérie ne peut plus payer ses échéances : le rééchelonnement de la dette ne peut plus être évité. Deux accords sont donc signés avec le FMI, en 1993 et 1994, et parmi les conditionnalités qui les accompagnaient figurait en bonne place l’obligation faite au gouvernement algérien de se dessaisir de ses entreprises publiques. Celles-ci sont la principale cause des déséquilibres budgétaires et à l’origine d’un déficit public abyssal. La privatisation est donc décidée dans la «douleur» avec la promulgation d’une ordonnance, en 1995, rendant éligibles toutes les entreprises publiques, à l’exception de Sonatrach ! A l’époque, le terme «privatisation» reste tabou. Ensuite, cette ordonnance a été modifiée par une loi promulguée le 20 août 2001 (relative à l’organisation, la gestion et la privatisation des entreprises publiques économiques) qui, à l’inverse, fait de la privatisation la «panacée» ! Toutes ces hésitations ont conduit à une législation lourde et contreproductive et à un droit de la privatisation confus, qui ont contribué à repousser les investisseurs préférant la «prévisibilité» et la lisibilité du droit des affaires. Enfin, dès que la situation financière globale a été plus favorable, quelques années plus tard, le programme de privatisation a été abandonné. - Moult questionnements ont été soulevés par les précédentes privatisations : opacité, bradage au dinar symbolique de certaines entreprises publiques, absence de bilan... Compte tenu des doutes ayant émaillé la précédente édition, est-ce le cas ? Ces questionnements trouvent probablement leur origine dans la législation ambiguë entourant le processus de privatisation : multiplicité des intervenants, contrôles différenciés, ambiguïté dans la délimitation du champ des privatisations. Ainsi sont vite apparus des chevauchements de prérogatives et des conflits de compétences entre les différents intervenants. Il était dès lors difficile, au plan institutionnel, de définir de manière transparente les responsabilités en matière d’exécution et de contrôle des opérations de privatisation. - Que pensez-vous de l’article 62 de la loi de finances 2016 qui prévoit l’ouverture du capital des entreprises publiques au privé résident ? Y a-t-il un risque de tomber dans le même piège des précédentes privatisations ? Le prix du pétrole est tombé cette semaine dernière sous les 30 dollars, revenant au niveau de 2003 avec une baisse de 75% sur 18 mois ! Ce n’est donc pas un hasard que «l’histoire se répète» avec un regain d’intérêt pour le sujet des privatisations. D’ailleurs, comme en 1994, le vocable «privatisation» semble redevenu tabou. Or, une des leçons des précédentes opérations est qu’il ne suffit pas d’officialiser et déclarer un programme de privatisation (même si elle est tabou) pour qu’elle ait effectivement lieu. D’abord, les entreprises retenues doivent être réellement éligibles à la privatisation, leur évaluation doit être faite et leur situation financière transparente. Ensuite, il faut trouver des repreneurs acceptant d’investir leurs ressources avec des perspectives de rentabilité. Enfin, dans le contexte de l’économie algérienne, seule une privatisation externe, c’est-à-dire réalisée par des investisseurs étrangers, pourrait introduire les contraintes d’efficacité, les technologies, le management et la connaissance des marchés extérieurs qui manquent cruellement aujourd’hui.
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