jeudi 26 mai 2016

Khelil-Bedjaoui : Le Parrain et le filleul

Farid Bedjaoui est le fils que j’aurais voulu avoir.» Extrait du PV d’audition de Pietro Varone rapportant les propos tenus par Chakib Khelil. Varone est sans doute l’Italien le plus «familier» de ce couple improbable de corsaires algériens — qu’il désigne mystérieusement par «il vecchio e il giovane», «le vieux et le jeune» —, partis à l’abordage des champs pétrolifères et de la commande publique algérienne offerts aux appétits des multinationales et des requins de la finance globale. «Farid Bedjaoui, dixit Varone, m’a dit à plusieurs reprises qu’il était très proche du ministre et que celui-ci le considérait comme une sorte de fils. Bref, entre les deux, je ne sais pas comment définir cela, il y a des relations affectives, de confiance.» Présenté dans le dossier italien comme le principal «agent corrupteur», «pourvoyeur en commandes pour ENI-Saipem», Varone peut se targuer de sa connaissance avérée des rapports qui unissent les deux hommes, des «rapports d’argent», de «coopération» et surtout de «parrain à filleul». Le mariage à trois s’est révélé fécond en business miraculeux et inespérés et gros contrats obtenus en terre algérienne où le ciel pleut des pots-de-vin. Les notes de frais du Bulgari Hotel Milan, récupérées par les enquêteurs du parquet milanais, renseignent sur l’intense activité déployée par l’organisation sophistiquée mise en place par Farid Bedjaoui en bonne intelligence par les managers d’Eni-Saipem : Varone, FrancoTali et autres Tullio Orsi. Un «réseau vaste et capillaire», disent les juges italiens à propos du système de rétro-commissions mis sur pied au Bulgari Hotel pour organiser le «retour» en Italie d’une partie des commissions versée à Pearl Parteners par Saipem et ses sous-traitants (OGEC, Lead et JCC). Entre mai 2007 et mai 2012, Farid Bedjaoui et son staff composé de Nadim Kettaneh et Najum Hanif, ses deux proches collaborateurs, les frères Reda et Ryad Bedjaoui et Yam Atallah, l’avocat d’affaires parisien de Bedjaoui, chargé de la rédaction des contrats d’intermédiation Saipem, ont totalisé une quinzaine de séjours concomitants de deux nuitées maximum et une note de frais de plus de 120 000 euros. L’organisation de la filière italienne du réseau Khelil/Bedjaoui s’est étoffée au fil des retrouvailles : dans de grands hôtels à Paris, Vienne, Milan, où Khelil, Scaroni et Bedjaoui négociaient les commissions sur les gros contrats ; pendant les soirées business près de la résidence familiale des Bedjaoui, à Palma de Majorque, l’île espagnole connue pour être un refuge de milliardaires, à la Villa 30 H, Emirats Hills, le Beverley Hills de Dubaï  (aussi propriété de Farid Bedjaoui), à Bordj Al Arab, en haut des Business Tours, dans les bureaux d’OGEC, de Ryan Partners, ou au 12e étage des Twin Towers de Fujairah, siège de la Pearl Partners Ltd, la boîte écran et coffre magique qui reçoit le trésor des flibustiers constitué en amont des contrats algériens. Tullio Orsi, un des capo de la filière italienne du réseau Khelil/Bedjaoui, raconte avec menus détails une de ces rencontre avec Bedjaoui : «L’été 2009, Varone me téléphona à Alger et me dit d’aller, avec ma femme, à Palma de Majorque. ‘‘Tu vas te détendre un peu et tu rencontreras ‘le jeune’ aussi.’’ Le week-end sera payé par lui. J’y suis allé, le soir au restaurant, je rencontrais Bedjaoui et sa femme, Rania Lisa Dalloul. Le père et la mère de Farid Bedjaoui étaient là aussi. Au dîner, on a parlé de sujets conviviaux. Le lendemain, nous sommes sortis en bateau, un yacht de 43 mètres appartenant à Farid Bedjaoui. Seul avec lui dans un des salons du bateau, Bedjaoui me dit qu’il voulait que je fasse partie du groupe. Il me dit que, comme moi, il y avait d’autres personnes qu’il aidait économiquement et qu’il prenait plaisir à le faire. Farid Bedjaoui propose de m’offrir des actions dans ses sociétés, plus une gratification d’environ 10 millions d’euros. Je refusais parce que je ne voulais pas être impliqué dans ces choses.» Dans les comptes d’Orsi, le «repenti» de la filière, les magistrats découvriront 5,2 millions d’euros de tangentes versés par Farid Bedjaoui et par un de ses lieutenants. Pour rappel, la fructueuse collaboration entre Khelil et Bedjaoui n’a pas attendu les contrats italiens pour s’établir et s’affirmer. En 2003 déjà, bien avant les affaires non encore révélées au grand public comme celle en rapport à la vente de la filiale algérienne de ConocoPhillips à l’entreprise pétrolière indonésienne Pertamina.Détentrice d’un gisement à Berkine, ConocoPhillips, vendu à 2 milliards de dollars dans des conditions similaires à l’affaire FCP à Pertamina. Entre 2003 et 2008 donc, le duo Khelil/Bedjaoui opère un casse spectaculaire. Chakib Khelil confia au fonds d’investissement américain, Russel Investment, et plus précisément à sa succursale basée à Dubaï et dirigée par Farid Bedjaoui, Rayan Asset Management, la gestion du portefeuille de titres diversifiés, près d’un milliard de dollars, détenu par Sonatrach auprès des compagnies pétrolières américaines Anadarko (12 millions d’actions) et Duke Energy (16 millions d’actions). Les comptes de la BACE, la Banque algérienne de commerce extérieur de Zurich, la banque de Sonatrach, est mise à contribution, chargée de «transférer» les fonds de Sonatrach dans les caisses de la Rayan Asset Management. En avril 2010, Khelil évoquera ces placements non sans jubilation : «Les fonds ont été restitués et nous avons fait un gain de 600 millions de dollars sur un investissement d’un milliard de dollars (…). Et vous pouvez imaginer si nous avions un peu plus d’argent, nous aurions pu gagner un peu plus.» Des sources fiables au fait du dossier Sonatrach affirment que les fonds en question «n’ont pas été restitués à l’Algérie à ce jour». «Si les Algériens apprenaient le fond du dossier, ils sortiraient dans les rues», maître du barreau.

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