Membre de la commission exécutive de l’Union générale des travailleurs algériens (Ugta) et conseiller aux affaires économiques et sociales, Mohamed Lakhdar Badreddine ne considère pas l’érosion des revenus pétroliers comme une menace sur les acquis sociaux et estime que les droits des travailleurs algériens restent préservés. Dans cet entretien, il fait le point sur les droits syndicaux et parle de la Sécurité sociale et de la Caisse des retraites qui, selon lui, ne sont pas en danger… Tous ces acquis dont vous parlez ne sont-ils pas menacés aujourd’hui par la crise économique induite par la chute brutale des revenus pétroliers de l’Etat ? Je pense qu’il y a des informations erronées sur la crise économique. De manière générale, les travailleurs du secteur économique ne sont pas payés par le Trésor public. Ils sont rémunérés en fonction des bilans des entreprises. Aujourd’hui, nous pouvons dire que celles-ci sont performantes, y compris celles qui relèvent du secteur public… Ne voyez-vous aucune menace sur les acquis ? Pour moi, cette crise doit être exploitée au profit de la production et de la productivité. L’argent du pétrole a toujours été utilisé pour l’importation. Si demain nous concentrons nos efforts sur la production, nous n’aurons aucun problème, même si le pétrole atteint des prix très bas. Nous pouvons même nous passer de l’argent du pétrole. Avons-nous besoin de ramener de la mayonnaise et de la litière pour chiens ? Il ne faut pas utiliser la crise pour faire peur au peuple. Les solutions existent et elles sont entre nos mains. Il faut juste changer notre mode de consommation. Nous avons toujours appris au peuple à vivre au-dessus des moyens de l’Algérie. Avons-nous besoin d’importer à coups de devises fortes des feux d’artifice pour fêter des dates anniversaires ? Avons-nous besoin d’importer de Chine des emballages pour gâteau qui coûtent plus cher que le gâteau qu’on met dedans. Nous n’avons pas besoin de tout cela. Les Algériens peuvent vivre heureux dans la simplicité. Je suis de ceux qui feront tout pour encourager les travailleurs à booster la production et à améliorer la qualité pour satisfaire les besoins du pays. C’est ainsi que nous pourrons garantir l’avenir du pays. De plus, nous avons beaucoup de richesses non exploitées. Je citerai le phosphate qui est source de rentrées de devises. A Oued Smar, nous avons le meilleur marbre au monde. Pourquoi ne pas l’exploiter ? Il faut demander aux responsables algériens d’avoir les pieds sur terre et être en mesure de faire face à toutes les situations. Nous avons les moyens de produire ; il n’est plus question de continuer à importer d’une manière aussi exagérée… Certains évoquent des menaces sur les caisses de la Sécurité sociale. Partagez-vous cette crainte ? La Sécurité sociale n’est pas financée par l’Etat. Tant qu’il y a du travail en Algérie, tant qu’on investit et qu’on recrute, le pouvoir d’achat de l’assuré social augmente… Ne pensez-vous pas que cette crise risque de faire perdre beaucoup d’emplois ? Jamais. On doit créer des emplois. Vous dites : «On doit créer.» Sommes-nous capables de basculer rapidement vers un système économique créateur d’emplois ? L’Algérien est apte à faire face aux défis. Face à de pareilles situations, il se surpasse. Ce n’est pas un fainéant comme on aime à le dire. Ne risque-t-on pas d’aller vers une situation où les retraités, par exemple, seront de loin plus nombreux que ceux qui travaillent ? Cela nous amène à la politique des retraites. Vous savez que le président de la République a décidé de mettre, il y a quelques années, 3% de fiscalité pétrolière au profit de la Caisse des retraites. Le montant est bloqué et ne pourra être touché que si la caisse est en situation de faillite. Cela, les gens ne le savent pas. Vous semblez être l’une des rares personnes qui n’aient pas peur pour l’avenir de la Caisse des retraites. Peut-on connaître les raisons de cet optimisme ? Je le dis et le redis : la Caisse des retraites n’est pas en danger et ne peut pas être en danger. Je suis optimiste parce que c’est ma nature. Je pense que les gens exagèrent. Ils croient que c’est le pétrole qui finance cette caisse ; or, celle-ci fonctionne grâce aux cotisations des travailleurs. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Même dans une situation normale, il faut toujours penser à un équilibre entre le nombre des cotisants et celui des retraités. Il peut y avoir des aides de la Caisse de la sécurité sociale pour rééquilibrer. Moi, je ne fais pas de différence entre les caisses puisqu’avant il n’y en avait qu’une seule. Je pense qu’il faut réorienter tous nos efforts vers la prise en charge des problèmes économiques pour basculer rapidement de l’importation à la production. Il faut que la société civile soit totalement mobilisée autour du développement de l’économie de notre pays. Nous pouvons nous passer du pétrole. Il suffit de développer l’agriculture saharienne. Des experts disent, si je ne me trompe pas, que la Californie avec ses 3000 hectares de terres supérieures fait vivre les Etats-Unis. Au Sud, nous avons 32 000 hectares de la même terre. Il suffit que l’Etat s’oriente vers elle pour faire des miracles. Il faut une politique qui dirige les grandes entreprises vers l’agriculture. Sonatrach avait tenté une expérience dans ce genre à El Gassi, et les résultats étaient très satisfaisants. Pourquoi d’autres sociétés ou les banques n’investissent-elles pas dans les domaines porteurs que sont l’agriculture et le tourisme sahariens ? Vous encouragez l’entrepreneuriat et l’investissement privés, mais vous savez qu’une grande partie de ce secteur ne respecte pas les lois du travail. Pourquoi ? Nous avons besoin de tout le monde pour développer le pays. Nous sommes là pour aider. Mais c’est vrai qu’il y a un problème de mentalités. Certains de nos hommes d’affaires ne sont pas de véritables industriels. Ils manquent d’esprit de management et ne permettent même pas à leurs travailleurs de s’organiser autour d’un syndicat. Vous vivez un exemple concret au niveau de certains organes de presse où les journalistes qui défendent les travailleurs sont eux-mêmes interdits de représentants syndicaux. Plus grave, ils n’ont pas leurs droits garantis par la loi, comme les œuvres sociales et le comité de participation. Nous ne sommes plus devant un problème d’organisation syndicale, mais d’infraction à la loi. Mais je reste convaincu que cela va venir parce que je ne pense pas qu’ailleurs ils ont commencé par un haut niveau. Les entreprises finissent par améliorer leur organisation.. Selon vous, n’est-il pas plus urgent de faire en sorte que les employeurs, notamment privés, déclarent leurs employés pour faire en sorte que le déséquilibre entre les caisses ne se creuse pas ? Nous avons un engagement du syndicat de ces employeurs. Il faut que les contrôleurs des caisses sociales fassent leur travail dans les wilayas du pays pour que les réfractaires soient sanctionnés. N’est-ce pas la conséquence de l’absence de représentation syndicale au sein de ces entreprises ? C’est dû plutôt à une mentalité. L’exemple le plus flagrant est celui des commerçants qui sont nombreux à ne pas se déclarer. Mais, je pense que c’est une question de temps. Je suis convaincu que même nos patrons vont s’améliorer et s’intégrer dans le processus. Pensez-vous que le secteur des médias est suffisamment représenté syndicalement parlant ? Nous avons deux fédérations de l’information. L’une du secteur public, liée surtout aux médias lourds, l’autre fédération concerne le reste du secteur, notamment la presse écrite, marquée par un certain dynamisme. Il faut leur faire confiance et leur donner du temps. Organiser des entreprises de presse n’est pas aussi facile que certains le pensent. Avez-vous été interpellé sur des situations de violation de la réglementation du travail au niveau des organes de presse ? En fait, c’est un énorme problème. Nous ne savons même pas combien de chaînes de télévision activent sur le terrain. Ce n’est pas le fait que les responsables ne déclarent pas leurs employés qui m’inquiète mais plutôt le fait que certaines de ces chaînes transmettent des messages très dangereux. Elles recèlent des compétences, elles ne doivent pas véhiculer la peur et la terreur. Il faut que l’Agence de régulation joue son rôle. Il faut aussi libérer la presse, mais non pas la livrer à l’anarchie. Il faut de la responsabilité. Il faut se regrouper autour de l’essentiel. Selon vous, cette situation est due au manque d’engagement des professionnels des médias ou plutôt aux réticences des responsables des organes de presse ? La création d’un syndicat relève d’abord de la volonté des travailleurs. Un droit s’arrache… Est-ce que l’Ugta a du mal à investir le secteur privé ? Je ne dirai pas qu’elle a du mal, mais il y a eu tellement de problèmes qu’elle n’a pas accordé une importance au secteur privé. Mais cela va se faire. Nous avons déjà signé des conventions avec des employeurs du secteur privé. D’autres viendront, jusqu’au moment où nous organiserons une grande partie du secteur privé… Beaucoup reprochent au gouvernement d’accorder à l’Ugta le statut de partenaire unique excluant, de fait, les nombreux syndicats dits autonomes. Qu’en pensez-vous ? Les syndicats dits autonomes auxquels nous vouons beaucoup de respect sont des syndicats de corporation. Certains sont dans l’éducation, d’autres dans la santé, la Fonction publique, ou l’université etc. Ils n’ont pas une vocation nationale mais sectorielle. Or, l’Ugta représente toutes les branches d’activité, et ce, au niveau national. C’est la loi qui oblige le gouvernement à avoir comme partenaire un syndicat ayant au moins 20% d’adhérents parmi les travailleurs algériens. Ce n’est pas de notre faute s’ils ont choisi d’être corporatifs. Dans une tripartite, on discute avec un syndicat à caractère national, mais pas avec le syndicat d’une activité. Lorsque nous arrachons des augmentations salariales, le gain est pour tous les travailleurs et donc pour tous les syndicats. Je dirai même, et cela n’engage que ma personne, ceux qui aiment les travailleurs doivent militer pour l’unicité. Dans les pays où les syndicats sont forts, il n’existe qu’une seule représentation syndicale pas plusieurs. En Allemagne, il existe un seul syndicat. Le pluralisme syndical a échoué en France. Lorsqu’il y a une revendication, il suffit qu’un seul syndicat signe avec le gouvernement, pour que les autres n’aient plus le droit d’en discuter. En Italie, ils ont fini par créer une coordination. En Espagne aussi cela a été le cas. En Europe, le syndicat est en recul. L’ensemble des syndicats européens n’ont que 9% d’adhérents parmi les travailleurs. Qu’en est-il chez nous ? C’est pour vous démontrer que nous sommes mieux que les autres. Avec tous nos défauts, notre situation est meilleure. Nous sommes proches des travailleurs. Nous nous occupons de la santé et du logement que nous finançons grâce au Fonds national de péréquation des œuvres sociales (FNPOS). C’est quand même minime par rapport à la demande en logement des travailleurs... C’est minime certes, mais c’est une contribution à la hauteur de nos capacités. La sécurité sociale n’est pas financée par l’Etat, pourtant elle contribue à la santé publique. Si demain, il y a un problème, le choc sera subi par cette même santé publique. Nous avons une politique sociale merveilleuse qui n’existe nulle part ailleurs dans les pays arabes. Les malades chroniques sont pris en charge par l’Etat y compris ceux qui ne travaillent pas. N’avez-vous pas peur d’un déséquilibre de cette Caisse de la sécurité sociale par la chute brutale des emplois en raison de la crise économique ? Ceux qui disent que la crise économique va avoir des incidences sur l’emploi ne comprennent rien. Bien au contraire, si nous exploitons cette crise au profit du développement, nous créerons de l’emploi et nous produirons ce que nous importons. Etant donné que les administrations de l’Etat et les corps constitués sont les plus importants employeurs, ne craignez-vous pas des pertes d’emplois dans ce secteur en raison de la baisse des revenus de l’Etat ? Nous avons déjà vécu des situations où le prix du pétrole était à son plus bas niveau et il n’y a pas eu de mise en chômage… Il y a eu des milliers d’entreprises publiques fermées et aussi des centaines de milliers de travailleurs livrés au chômage… Elles n’ont pas été fermées à cause de la baisse du prix du pétrole. Elles ont été fermées parce qu’il y avait une volonté de privatiser. Lorsque nous sommes passés à l’économie de marché, des gens ont pensé qu’il fallait tout privatiser. Ils ont fermé l’Ena-brosse, où les aveugles fabriquaient des ballais, qui étaient parfois plus compétitifs que ceux importés. Vous avez été dans le secteur des hydrocarbures au sein de Sonatrach, ne pensez-vous pas que la compagnie devrait revoir sa politique et se délester de certaines de ses filiales pour faire face à la baisse de ses revenus ? Sonatrach a connu certes une période faste, mais sans pour autant changer son mode de gestion. Malgré ses rentrées importantes, elle a fonctionné avec un prix de pétrole bas. Elle n’a pas fait de folie. Sachez que Sonatrach ne garde que 15% des revenus pétroliers, le reste va au Trésor public. D’ailleurs les prix actuels ne pourront pas durer, parce que s’ils continuent, les multinationales pétrolières couleront. Toutes vont réagir et faire en sorte qu’il y ait un prix correct en faisant pression sur l’Arabie Saoudite, à l’origine de la chute des prix. Nous devons apprendre à ne compter que sur nous-mêmes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire