Nous vivons un moment extrêmement délicat dans l’histoire récente de la nation algérienne. L’avenir de la nation est très sérieusement menacé. A côté des dangers émanant de la mauvaise gouvernance, des restrictions des libertés individuelles et collectives, de la fermeture du champ politique et l’exercice démocratique et bien d’autres apparaît aujourd’hui l’élément déclencheur de la catastrophe, à savoir la pénurie des moyens de financement des activités de l’Etat et de l’économie. Pour présenter l’économie d’aujourd’hui et de demain, nous traiterons les quatre points suivants : la projection de l’environnement international, la nature du pouvoir en place et les conséquences de sa gouvernance sur l’Etat, la situation des populations, la projection de l’économie nationale. Alors, nous arriverons à la nécessité impérative de changer tout le système de gouvernance et non se limiter au changement des personnes. Il y va de la sauvegarde de la nation algérienne. 1. L’environnement international Celui-ci offre des opportunités et présente des menaces. Les opportunités se caractérisent par la démocratisation de l’accès au savoir et l’accélération du progrès scientifique et technologique. Le capital scientifique mondial double en moins de sept ans. Cela signifie que tout ce que l’humanité a accumulé comme capital scientifique depuis l’arrivée de l’être humain sur Terre jusqu’à 2010, elle accumulera son équivalent entre 2010 et 2016. Des projections signalent un doublement tous les 70 jours en 2035 ! C’est aussi le Big Data, une capacité importante d’emmagasinement de très grandes quantités d’informations dans des volumes de plus en plus petits. Egalement la convergence des nanotechnologie, biotechnologie, informatique et sciences cognitives (NBIC) pour arriver à l’horizon 2050 à la création de cellules intelligentes artificielles en accompagnement des cellules naturelles ; alors l’espérance de vie se situerait à deux siècles. De même, les Massive open en ligne courses (MOOC’s), à savoir les cours des meilleures universités présentés par les meilleurs professeurs gratuitement sur la Toile. C’est enfin l’université de l’abondance avec la convergence entre le savoir, le laboratoire et le capital. Nous allons assister à un changement radical dans la répartition à travers les pays en ce qui concerne les diplômés universitaires de la post-graduation. La Chine se donne l’objectif d’atteindre 20% des citoyens diplômés en post-graduation d’ici 2020. L’Inde projette un taux d’accès à l’enseignement supérieur de 50% en 2030. Le pourcentage des diplômés de post-graduation âgés de 25-34 ans passera de 17% en 2013 à 27% en 2030 en Chine, de 14% à 23% en Inde, et de 14% à 8% aux Etats Unis d’Amérique. D’ici 2030, la Chine et l’Inde devraient fournir plus de 60% de la main-d’œuvre des pays du G20, diplômés en Sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). Le monde est entré de plain-pied dans l’économie du savoir, une économie qui assure une utilisation effective du savoir pour la réalisation du développement économique et social. Les menaces se situent au niveau de la globalisation, la glocalisation et le village global. La globalisation, c’est un programme publicitaire mondial pour unifier le mode de consommation et de loisir de tous les habitants de la planète sur le modèle occidental. En fait, cela prendra du temps, alors patientez et on vous aidera à y arriver ! C’est aussi une compétition féroce entre les trois grandes économies mondiales que sont la Chine, l’Inde et les Etats-Unis d’ Amérique. La Chine s’est déjà classée première économie mondiale en dollar du pouvoir d’achat en 2014. La compétitivité américaine se basera sur la réponse à une demande mondiale dans le cadre de l’unification du mode de consommation et de loisir. Celle de l’Inde se construira sur la formation des meilleurs ingénieurs au monde dans les domaines des TIC et des services. Celle de la Chine se construira sur des prix bas très compétitifs, ainsi qu’une demande interne immense. Le revenu par habitant en Chine est passé de 941 USD en 2000 à 7589 USD en 2014. Il s’est multiplié par huit. S’il se multiplie par quatre dans les dix prochaines années, ce sera un revenu de 30 000 USD sur une population de 1,2 milliard d’habitants ! La glocalisation, c’est l’action à la disparition de l’Etat national actuel et son remplacement par de petits Etats dans le cadre de réseaux plus larges. Pour notre région, c’est le Grand Moyen-Orient qui est proposé. Le village global, c’est ce qui est qualifié de «la dictature scientifique», à savoir la capacité d’influence sur les populations par les réseaux sociaux. Comme il est aisé de le constater, pour se protéger contre les menaces et profiter des opportunités du développement scientifique et technologique le pays a besoin d’un autre profil de dirigeants et d’un autre mode de gouvernance. 2. La nature du pouvoir en place et les conséquences de sa gouvernance sur l’état La nature du pouvoir algérien se caractérise par l’autoritarisme, le patrimonialisme et le paternalisme. L’autoritarisme, c’est le refus de tout contre-pouvoir. Il consiste à vous dire : vous êtes avec moi en applaudissant, sinon vous êtes contre moi et je fais tout pour vous faire taire. Alors, et inévitablement, le pouvoir est très peu informé sur la situation du pays, il s’en détache progressivement au point de ne plus en contrôler les ressorts essentiels. Le paternalisme, c’est l’omniprésence d’un chef qui se comporte comme le père du peuple, avec qui il doit rester en contact direct sans interface aucune. Il considère que les institutions de gouvernance de l’Etat sont des intermédiaires qui gênent sa relation avec son peuple. Alors, il fait tout pour les affaiblir et les cantonner dans un simple rôle de figuration et de trompe-l’œil. Un régime patrimonialiste est un régime qui bénéficie d’une rente confortable qui rassemble autour du «Chef» une faune de courtisans prêts à se distinguer par leur zèle dans l’allégeance et à s’assurer ainsi toutes sortes de gratifications. Pour sa part, la société dans son ensemble demeure écartée des préoccupations du sommet, ses problèmes n’étant guère pris en considération. D’où l’important gap entre gouvernants et gouvernés. Dans la situation de l’autoritarisme, du patrimonialisme et du paternalisme qui ont été érigés en système de gouvernance dans notre pays, le pouvoir devient défaillant et sa gestion chaotique et ruineuse pour la société. La rente et la prédation dans l’utilisation de la rente mènent vers la corruption de l’argent. La défaillance du pouvoir et la corruption de l’argent mènent vers la déliquescence de l’Etat. Un Etat déliquescent se caractérise par : la généralisation de la corruption et la kléptocratie ; l’institutionnalisation de l’ignorance et de l’inertie ; le culte de la personnalité ; la centralisation du pouvoir de décision entre un nombre réduit d’individus en lieu et place des institutions habilitées ; l’émiettement des pôles de pouvoir entre les différents clans à l’intérieur du système. La kléptocratie se définit comme la caractéristique d’un système politique où la haute hiérarchie du pouvoir utilise la corruption à grande échelle pour son enrichissement illicite, notamment à travers l’accaparement de la rente dégagée des exportations des hydrocarbures. Ces critères de définition d’un Etat déliquescent sont apparents dans le mode d’exercice du pouvoir et dans l’ensemble des activités de l’Etat en Algérie. - La situation des populations La population connaît, quant à elle, cinq grands maux : la perte de la morale collective ; la violence qui devient l’instrument privilégié de règlement des conflits entre les individus, entre les groupes d’individus et entre les groupes d’individus et l’Etat ; la généralisation de la corruption ; l’indifférence et le fatalisme. 3. L’économie algérienne d’aujourd’hui et de demain L’économie algérienne a connu une aisance financière exceptionnellement favorable : des réserves de change en devises couvrant plus de trois années d’importations, une dette extérieure presque nulle, un fort excédent budgétaire, un taux d’épargne qui a atteint 50% du PIB, un taux de thésaurisation de plus de 20% du PIB, et une surliquidité au niveau du système bancaire. Quelle opportunité gaspillée ! La gouvernance en place a transformé cette aisance financière en années de disette. Effectivement, la facture d’importation s’est multipliée par cinq, passant de 12 Milliards USD en 2001 à 65 Milliards USD en 2013. Le prix du baril nécessaire pour assurer l’équilibre du budget est passé de 54 USD en 2005 à 115 USD en 2013. Les autorités monétaires annoncent un prix nécessaire supérieur à 112 USD maintenant. Les quantités d’exportations d’hydrocarbures ont baissé de 25,6% entre 2006 et 2011 et continuent de baisser depuis. Quel a été le comportement des autorités budgétaires après le renversement de situation dans les recettes ? Ce comportement s’est caractérisé paradoxalement par plus de laxisme, puisque le budget de fonctionnement de 2011 était en augmentation de 47% par rapport à celui de 2010. C’était une façon d’élargir le cercle des courtisans après les événements de janvier 2011 ! Cette augmentation était de 23% en 2012 par rapport à 2011 ! Après la baisse durable des prix des hydrocarbures à l’exportation survenue dès le deuxième semestre 2014, passant de 115 USD/baril en juin 2014 à 30 USD début 2016, les autorités compétentes ont annoncé dans l’urgence la fébrilité et la précipitation une politique d’austérité budgétaire. Lorsque nous comparons les résultats budgétaires du 1er semestre 2015 par rapport au 1er semestre 2014, nous constatons que la valeur des recettes d’exportations a baissé de - 47% par l’effet de la baisse des prix et - 4,57% par l’effet de la baisse des quantités. Face à cette baisse des recettes, il a été enregistré durant cette même période une augmentation des dépenses budgétaires de + 7,8% avec 158 Milliards DA d’augmentation des dépenses de fonctionnement. En réalité, la politique d’austérité a été réalisée dans l’augmentation des prix de consommation des produits alimentaires importés du fait de la baisse administrée du taux de change du dinar par rapport au dollar. Le volume des exportations algériennes d’hydrocarbures continuera à baisser du fait de la forte hausse de la consommation interne d’énergie de source fossile, de la baisse de production à cause du départ notable de personnel qualifié de Sonatrach, et du moindre intérêt des compagnies étrangères dans l’exploration, la recherche et le développement. Les prix ne connaîtront pas de hausse notable durant la prochaine décennie à cause du rythme d’augmentation de l’offre mondiale supérieure à celui de la demande. D’où l’offre excédentaire et la pression sur les prix à la baisse. La forte augmentation du rythme de croissance de l’offre conséquence, d’une plus grande maîtrise dans l’exploitation des sources non conventionnelles d’énergie, pétrole et gaz de schiste, ainsi que du retour de certains pays dans la production de l’énergie conventionnelle, Iran notamment, ce qui a induit chez les pays producteurs de pétrole membres de l’OPEP l’orientation d’une politique de parts de marché et non de prix. La faible augmentation du rythme de croissance de la demande à l’extérieur s’explique par la transition des économies vers les technologies de l’information et de la communication moins gourmande en énergie, une rationalisation de la consommation des énergies de source fossile dans les pays consommateurs, et une faible croissance de l’économie mondiale dont principalement celle de la Chine qui est passée d’un taux à deux chiffres à celui de 6,7%. Il faut noter que le prix d’équilibre du budget de fonctionnement se situait à 70 USD le baril en 2011. Cela signifie qu’avec les prix actuels entre 30 USD et 40 USD, l’endettement envisagé par le gouvernement irait financer le déficit du budget de fonctionnement, contrairement à la bonne règle qui consiste à utiliser l’épargne pour le financement des équipements et non le fonctionnement. Nous sommes bien installés dans les années de disette ! L’économie de demain dépendra du maintien du pouvoir en place et du personnel dirigeant actuel et ce sera la conjonction entre les menaces de l’environnement international, les maladies de la population et une économie en déficit de sources de financement. Il est alors aisé d’anticiper dans quelle situation se trouvera l’économie algérienne et même la nation algérienne. S’il y a changement de tout le système de gouvernance et non se limiter au changement des personnes, c’est-à-dire un nouveau mode de gouvernance avec un autre profil de dirigeants, alors la route de la marche de l’économie se trace clairement : quitter la rente et la prédation et entrer dans l’économie du savoir. L’économie du savoir est une économie qui s’appuie sur quatre piliers : la promotion économique et la construction institutionnelle, la qualité du système d’enseignement, la place accordée à l’innovation dans la relation, entreprise, université et capital, les technologies de l’information et de la communication en production et en consommation. Les tâches prioritaires concerneront la construction des institutions et l’amélioration des comportements individuels et collectifs. Par : Ahmed Benbitour Ancien chef de gouvernement
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