samedi 7 mai 2016

Le critique féroce de la société

Il est parti dans la discrétion. Rares sont ceux qui se sont rendu compte de sa disparition tant l’ambiance nationale est couverte par un vacarme ahurissant ; par une violence multiforme qu’il a analysée, décortiquée et dont il a décelé les ressorts notamment dans son ouvrage de référence La Violence sociale en Algérie. Figure universitaire, Slimane Medhar, un des rares spécialistes de la psychosociologie, est décédé mercredi après un long parcours universitaire bien rempli, passé à examiner avec une rigueur scientifique implacable la société algérienne. Le monde universitaire a perdu ainsi un chercheur critique dont les travaux ont souvent porté sur une société fortement marquée par la violence. A contre-courant des mœurs et comportements sociaux dominants et vigoureusement critique à l’égard de la société, individu comme collectif. Son collègue, le sociologue Nacer Djabi, évoque «un universitaire abouti et complet. Il a abordé des questions sensibles. Les mœurs sociales, la famille, les rapports hommes-femmes, la tradition et la modernité, le civisme et la violence sociale en les soumettant à une analyse critique rigoureuse». Le chercheur n’hésitait pas à poser un regard sévère sur la société et ses comportements surannés. Dans La Violence sociale en Algérie, il a soutenu, entre autres, la thèse selon laquelle «les familles et les écoles n'assurent plus une claire transmission des normes et des valeurs. Ces grands appareils socialisateurs sont en panne, en crise. Ils errent à la recherche d'une identité et deviennent ainsi déstabilisateurs». Dans son autre livre Tradition contre développement, il analyse comment le poids de la culture traditionnelle bloque la société dans sa marche vers la modernité. Une dialectique qu’il a abordée de front pour mieux en saisir les interactions. «La dépendance concerne l'ensemble des acteurs sociaux. Le recouvrement de la dépendance économique par la dépendance socioculturelle qui se transforme en une substitution de la seconde à la première au niveau des représentations sociales permet de saisir ce qui est demeuré paradoxal sinon inexpliqué : ceux qui ne produisent plus dominent ceux qui produisent au sens matériel du terme, alors que la subsistance des premiers dépend des activités des seconds», analyse-t-il dans son livre que l’on ne trouve plus en librairie. Celui que le sociologue décrit comme «un vrai universitaire, le plus digne chercheur», l’auteur de L’Echec des systèmes politiques en Algérie s’est employé à déconstruire sans complaisance, tout au long de son parcours de chercheur, la société algérienne dans sa globalité en décortiquant ses aspects les plus éculés. «C’est un universitaire connu pour sa rigueur scientifique, un révolté permanent contre les traditions sociales, ce qui l’a conduit à une confrontation avec sa société. Un défenseur du civisme social et de la modernité», témoigne l’autre sociologue de l’université d’Alger, Zoubir Arrous. Auteur de plusieurs livres et travaux de recherche, Slimane Medhar, dont les écrits ont bousculé et secoué la société algérienne, incarne une figure universitaire atypique. Le pourfendeur d’une société écrasée par le poids de la tradition.

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