lundi 9 mai 2016

Rêve national minimum garanti

Conçu dans une démarche participative, le projet «Algérie rêvée» a donné lieu à un sondage lancé il y a quelques mois via internet pour tenter de cerner les aspirations des Algériens pour les prochaines décennies. De quoi rêvent les Algériens ?» Voilà une belle et grande question à laquelle il serait difficile de donner une réponse unanime à moins de ne se résoudre à compiler 40 millions de desiderata. Pourtant, le collectif  Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées (Nabni)n’a pas hésité à mettre les pieds dans le plat et en faire le sujet d’un débat public organisé ce samedi à l’espace Sylabs, à Alger. Résolument «porté vers l’avant», comme on dit dans le foot, le think tank s’est évertué une nouvelle fois à nous tirer vers le haut en ouvrant des perspectives sur le futur à travers un projet audacieux intitulé : «Algérie rêvée», et qui se projette à l’horizon 2030. «Nous avons eu jadis un rêve de liberté, réputé impossible et que nous avons pourtant su réaliser. Un rêve qui a fédéré le peuple et ses élites et inspiré tant de peuples à travers le monde. L’indépendance acquise, le projet d’édification de l’Etat national a constitué un cadre qui a réuni les Algériens jusqu’aux années 1990. Mais depuis, nous sommes dans une sorte d’errance stratégique, sans projet fédérateur», écrivent les initiateurs du projet. «Il nous incombe collectivement, citoyens et décideurs, de dessiner et de faire vivre un nouveau rêve algérien, en phase avec les enjeux du XXIe siècle. Un nouveau rêve qui donnera envie aux Algériens de rester ou de revenir au pays, aux étrangers d’y investir et à tous de bien vivre ensemble. (…) Le collectif Nabni souhaite apporter sa contribution à cet enjeu en créant un espace d’échanges  permettant aux Algériens de réfléchir positivement à de nouveaux mythes fondateurs.» Conçu dans une démarche participative, le projet «Algérie rêvée» a donné lieu à un sondage lancé il y a quelques mois via internet pour tenter de cerner les aspirations des Algériens pour les prochaines décennies. Nous avons rendu compte des grandes lignes de ce sondage dans notre édition d’hier («Nabni : un rêve collectif en construction»). Le think tank compte d’ailleurs reconduire ce sondage très instructif afin d’élargir le champ de la consultation citoyenne sur cette question (aller sur le site : www.nabni.org ou bien sur la page facebook du collectif). Faute d’une boule de cristal pour lire l’avenir, et armé de l’ambition d’esquisser au moins le «brouillon» du futur à défaut de le «décréter», Nabni a invité un certain nombre d’intervenants aux profils et aux trajectoires sensiblement différents, pour échanger avec le public autour de ce fameux «rêve algérien», ce destin national qui reste à écrire. Le premier panel, composé de Nacer Djabi, Louisa Ait Hamadouche et Razika Adnani, avait pour «mission» de poser les jalons sociopolitiques et historiques du débat. «Le grand problème qui se pose, c’est : qui pense en Algérie ? Nous n’avons pas d’institutions à même de proposer des éléments qui permettent de construire des rêves collectifs» est obligé de constater le sociologue Nacer Djabi. «L’Etat algérien ne pense pas l’avenir. Nous procédons d’une façon sectorielle, nous avons des ministères qui élaborent des projets sectoriels, mais nous n’avons pas de vision et de réflexion collectives. Et cela est assez grave. Les institutions centrales de l’Etat ne planifient pas. Alors qui va nous concevoir des constructions théoriques sur lesquelles nous allons bâtir nos rêves ? Nous n’avons pas de grands centres de recherche capables de fournir une projection sur dix ans. Avant, on disait que c’étaient les services de renseignement qui pensaient à tout. Aujourd’hui, qui s’en charge ?» poursuit le sociologue. Nacer Djabi impute, en partie, cette absence d’un espoir planifié à la «division des élites». «L’élite politique et culturelle, par le fait même de leurs divisions, n’ont pas contribué à produire un consensus autour de rêves collectifs. Nous n’avons pas de rêves collectifs, nous n’avons que des rêves sectaires», souligne l’auteur de Algérie : Etat et élites. Quand le rêve était «ne pas mourir» Pour sa part, la philosophe Razika Adnani a pointé la fracture que représente la violence politique des années 1990. «La décennie noire n’a pas mis fin aux rêves des Algériens, la décennie noire a orienté leurs rêves autrement. Pour certains, leur projet, c’était d’aller ailleurs pour réaliser leurs rêves, pour d’autres, leurs rêve, c’était tout simplement de vivre en sécurité et de ne pas mourir » dit-elle. Rebondissant sur l’impact du terrorisme de masse des années 1990 sur notre société, la politiste Louisa Aït Hamadouche a plaidé pour un travail de vérité autour de ces traumas collectifs. Or, «on a refusé justement aux Algériens le droit de comprendre pourquoi cela est arrivé et d’en identifier les responsables», relève l’universitaire. «A partir de là tout s’enchaîne. Dès lors que l’on ne comprend pas pourquoi cela nous est arrivé (…), on continue à vivre avec la peur que cela se reproduise.» Le fait d’agiter sans cesse le spectre de la peur, dissèque la politologue, amène les Algériens à revoir constamment leurs aspirations à la baisse. On invoque tour à tour la chute des prix du pétrole, la «violence géopolitique qui nous entoure», les «séparatistes du MAK» et autres «menaces sur la stabilité du pays»… «C’est une manière de signifier aux Algériens : hakda wala ktar ! Ce qu’on a, préservons-le, parce qu’on risque de le perdre», analyse Louisa Aït Hamadouche. Il se produit alors ce qu’elle appelle une «relativisation des rêves». Intervenant dans le second panel, l’architecte et secrétaire général du Synaa, Hasna Hadjilah, a convoqué la puissance mobilisatrice des grands desseins face au nuage de grisaille qui plane sur le pays depuis la dégringolade des cours du pétrole : «On a l’impression que maintenant qu’il n’y a plus d’argent, on ne peut plus rien faire. C’est complètement aberrant. Ce qui fait l’argent, ce sont d’abord les idées.» «La vraie richesse, c’est la ressource humaine», insiste-t-elle. A l’appui, Hasna Hadjilah a mis l’accent sur les enjeux économiques de la création architecturale en citant l’exemple de la ville de Bilbao qui était complètement sur le déclin, et qui a connu un véritable boom en construisant le musée Guggenheim. De son côté, la cinéaste et journaliste Fella Bouredji a posé la question de la gouvernance. A ceux qui répètent : «On demande trop aux pouvoirs publics», elle rétorque (en présence de Abderrahmane Benkhalfa, ministre des Finances) : «Les pouvoirs publics sont là pour prendre en charge les rêves des Algériens.» L’auteur du documentaire  Douce révolte admet avec lucidité que dans les faits, nos «rêves sont pris en otage» par la mauvaise gouvernance qui régente nos vies. Et pour ne pas se démoraliser, Nabni a donné la parole à des créatifs afin de livrer le secret de leur «success-story». C’est ainsi que le public a pu apprécier le témoignage coup-de-poing du trublion Karim Sergoua, l’artiste protéiforme et initiateur du projet «El P.A.P.A» (Plateforme pour des arts plastiques alternatifs), monté «en réponse au MaMa» sourit-il. Citons également les interventions revigorantes de Abdou El Ksouri, guitariste et manager du groupe Djmawi Africa et ses 12 ans de scène, et de Farid Bahloul alias Diaz, rappeur du groupe MBS. Enfin, mention spéciale pour Kheireddine Zetchi, fondateur de l’Académie du Paradou AC, notre future «Masia» qui fait le bonheur de dizaines de gamins.   

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