- Le ministre des Moudjahidine est depuis hier en France pour remettre sur la table l’épineux dossier des essais nucléaires dans le Sahara algérien et du coup parler de la possibilité de créer une commission mixte chargée du recensement et de l’indemnisation des victimes de cette tragédie. Que pensez-vous de cette démarche ? Il faut savoir que l’association Taourirt pour les victimes des essais nucléaires à In Eker est un peu en avance dans ce dossier et que plusieurs actions ont été menées pour que les victimes des essais nucléaires, dont même la descendance continue à subir de graves répercussions, soient prises en charge. Nous sommes tout de même favorables à l’idée de créer une commission qui devrait prendre attache avec les associations actives et investir les lieux pollués pour des millions d’années à venir afin de récolter les faits et se rendre compte de la gravité des conséquences de ces catastrophes humanitaires. Avec nos modestes moyens, nous avons pu recenser plus de 500 victimes, y compris les personnes ayant travaillé pour le compte du Commissariat français à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Malheureusement, beaucoup d’entre elles sont mortes des irradiations dans les zones contaminées. Interpellée par l’histoire et la mémoire de ces cobayes qui n’ont pas savouré le goût de notre indépendance, l’association s’est attelé à l’élaboration d’une liste nominative de tous les gens qui ont travaillé à In Eker. J’imagine que les activistes de Reggane (Adrar) ont dû faire la même chose pour recenser le nombre de victimes sans parler des dommages collatéraux produits pendant les explosions. Je rappelle que la liste a même été envoyée au ministère des Moudjahidine ainsi qu’au Premier ministère. - Vous dites que l’association avait déjà fourni aux plus hautes autorités algériennes un dossier relatif à l’indemnisation des victimes. Où en est avec cette démarche ? Laissez-moi vous dire qu’il est difficile d’identifier quelqu’un qui est mort d’un cancer, Dieu seul sait de quel type de cancer il s’agit. Toutefois, toutes les personnes identifiées travaillaient pour le compte de la France, elles doivent être indemnisées à travers leurs ayants droit. C’est une réparation morale à faire. - Peut-on connaître les sources de financement de votre association ? Les moyens de l’association, qui a le sentiment d’être laissée pour compte, sont très limités. Peut-être que c’est un dossier politique qui devrait être traité politiquement. Les autorités, que nous avons maintes fois sollicitées pour nous aider financièrement, ne collaborent pas. Toutes nos demandes de subvention sont restées sans suite. On a voulu consacrer des journées d’étude sur les conséquences des essais nucléaires dans le Sahara, et ce, en faisant venir d’éminents chercheurs universitaires et juristes pour nous éclairer sur certains points et surtout pour nous aider à étoffer un dossier qui va au-delà de la loi Morin qui n’a pas traduit nos soucis. On est animé par l’ambition de constituer un dossier scientifique basé sur des données imposant l’amendement de cette loi qui a été promulguée en 2010 pour disculper la France qui prône les droits de l’homme. Malheureusement, nos demandes sont restées sans suite. On travaille certainement sur un dossier politique que l’Etat préfère traiter politiquement, mais cela n’empêche pas d’exprimer la douleur d’une population qui a subi et continue de subir les affres d’un colon d’une rare atrocité. Nous exigeons une réparation morale et financière des victimes. - A chaque fois qu’on évoque cette tragédie, on ne parle que de Reggane. Nos officiels ignorent-ils l’histoire de ces 13 tirs souterrains effectués à In Eker dans la wilaya de Tamanrasset ? C’est très étonnant. Nous savons tous qu’il y a un dossier saharien et que des essais nucléaires ont été effectués à Reggane et In Eker à Tamanrasset. Les victimes sont toutes sahariennes. Notre étonnement va sur les déclarations faites par le ministre des Moudjahidine à la veille de sa visite en France, où il n’a parlé que des victimes de Reggane. Est-ce que c’est une occultation des faits ou juste un lapsus ou une simple bourde de l’organe de presse qui a mal rapporté les déclarations ? J’aimerai bien que ce soit cette seconde hypothèse parce que la réalité est tout autre. - Revenons au recensement des victimes, le ministre aurait souligné qu’il était difficile de déterminer leur nombre, car l’Algérie était encore sous l’occupation française. Nous avons retrouvé notre souveraineté à partir de 1962 et les essais nucléaires ont été effectués après l’indépendance en ce qui concerne Tamanrasset. Vraisemblablement, il ne parle que de Reggane. Nous exigeons des clarifications officielles, car cela donne sérieusement froid dans le dos. C’est très douloureux d’entendre cela de la part d’un officiel. Nous sommes un seul pays et nous avons vécu les mêmes drames. Qu’on parle de certains et qu’on oublie les autres, c’est un déni de l’histoire. - L’Organisation nationale des moudjahiddine a appelé, lundi, à l’ouverture du dossier sur les graves répercussions des expériences nucléaires réalisées par la France dans le Sahara algérien. Dieu soit loué ! On s’est enfin réveillé. Il est à savoir que ce dossier a été ouvert depuis quelques années au niveau local. Les moyens mis à notre disposition nous ont permis de répertorier pas mal de dégâts qui ont été occasionnés par les essais nucléaires à Tamanrasset. Mieux, notre démarche a été corroborée par des médias français qui ont relayé les conséquences de cette tragédie qui est allée au-delà de l’Algérie pour affecter d’autre pays de l’Afrique subsaharienne et des pays du basin méditerranéen. Nous souhaitons que ce dossier ne soit pas que politique, car il faut qu’il traduise le réel en parlant, à travers des constats de terrain, des douleurs et des conséquences que subit la population de l’Ahaggar après plus d’un demi-siècle d’indépendance. Il est temps de prendre en charge toutes ces doléances à travers les médias nationaux et internationaux. Nous avons un dossier conséquent pour expliquer cette démarche. Mais d’abord il faut déclasser les archives afin de pouvoir identifier les zones d’enfouissement des déchets nucléaires et, par ricochet, envisager les solutions adéquates pour les décontaminer. Je dirai aussi qu’il est plus qu’impératif de mesurer la densité de la radioactivité qui menace des milliers de vies humaines dans cette région du Sud.
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