mercredi 27 janvier 2016

Procès Sonatrach 1 : «L’affaire est le résultat de luttes d’intérêt au sommet de l’état»

Avocats de Mohamed Reda Djaafer Al Smaïl, maîtres Nacéra Ouali, Mourad Abdi, Mustapha Bouchachi, Khaled Dhina et Mohamed Faden ont ouvert l’audience du tribunal criminel d’Alger, où se tient le procès Sonatrach 1 depuis un mois, jour pour jour. Me Nacéra Ouali commence par préciser que les mis en cause ont été déférés devant le juge à 4h, alors que le tribunal était vide de son personnel, et n’ont commencé à être entendus qu’une heure après. Des témoins qui auraient pu être inculpés ont été épargnés pour venir charger les mis en cause. Pour l’avocate, «il n’y a rien de suspect dans le groupe Contel. Les exemples comme lui sont nombreux : Cevital, Tahkout, Maâzouzi, Haddad, tous ont commencé petit avant de devenir grand. Pourquoi lui ne peut être comme eux ? Le problème de Al Smaïl, c’est qu’il a joué dans la cour des grands, contrôlée par les sociétés françaises. Il a gêné des intérêts. Je regrette que dans un dossier aussi technique, le juge nous refuse une expertise. Si Al Smaïl a failli, il doit payer. Mais s’il n’a rien fait, que fait-il ici ?» Me Ouali rappelle qu’hier, le tribunal de Milan «a refusé la constitution de Sonatrach en tant que partie civile parce qu’elle n’a avancé aucune preuve. C’est regrettable de constater que la justice italienne sait bien défendre ses enfants». Elle conteste l’étude comparative des prix sur la base de laquelle son mandant a été accusé de surfacturation, en disant «qu’elle n’a rien d’une expertise». Selon Me Ouali, le ministre de l’Energie «n’a pas menacé» les cadres. «Il ne cessait de mettre l’accent sur l’urgence de telles installations. Je préfère que Sonatrach perde un milliard de dinars qu’elle en perde plus de 7, comme cela a été le cas lors de l’attaque terroriste contre les installations de Tiguentourine. Regardez les sociétés françaises qui ont pris les marchés. Non seulement elles n’ont pas réalisé ces derniers, mais en plus elles ont recouru à l’arbitrage de Paris, où les juges sont Français, les avocats Français et les experts Français, pour sommer Sonatrach à payer plus. Où sont-elles, toutes ces sociétés aujourd’hui ? Elles n’ont jamais été inquiétées. Nous aurions accepté la poursuite si le parquet général nous a reproché une défaillance dans les réalisations de Al Smaïl. Mais qu’il l’accuse de vol, cela est inacceptable.» «L’affaire est le résultat d’une guerre entre la France et les états-unis autour des parts de marché» L’avocate rejette tous les faits retenus contre son mandant et affirme : «Cette affaire est venue rapidement. Lorsqu’on voit que dans le rapport préliminaire de la police judiciaire un passage où il est précisé que les contrats de Al Smaïl ne sont qu’un échantillon parmi plus d’un millier de contrats de gré à gré douteux. Pourquoi alors n’a-t-on pas ramené les autres sociétés ? Pourquoi avoir poursuivi uniquement Al Smaïl ? Pourquoi avoir épargné toute action judiciaire à ses co-actionnaires, puisque même eux ont obtenu des dividendes ? Cela fait 6 ans qu’il est en prison. Il a réussi à passer avec succès trois fois son baccalauréat. Tout le peuple algérien sait que cette affaire n’est pas celle des accusés. Tout le monde sait qu’elle est le résultat de luttes d’intérêt au sommet de l’Etat, mais aussi entre la France et les Etats-Unis qui veulent, chacun, avoir une plus grande part du marché avec Sonatrach.» L’avocate conclut en demandant l’acquittement. Me Mourad Abdi ne lui succède pour évoquer le profil de Al Smaïl, sa carrière et son ambition. Pour lui, «au lieu d’importer des lentilles, Al Smaïl a préféré ramener de la technologie au pays. Son tort est d’avoir concurrencé des sociétés françaises». Lui aussi exprime son regret de constater «l’incapacité» du juge d’exiger une expertise, «alors qu’il l’a fait pour Saipem», tout simplement parce qu’il «n’y a pas de préjudice». Abondant dans le même sens, Me Khaled Dhina, avocat de Contel-Funkwerk et de Contel Algeria, entame sa plaidoirie par «la pertinence et l’ambition» de Al Smaïl en disant : «S’il y en avait 4 ou 5 comme lui à travers les 48 wilayas, le pays serait sorti de la crise.» Il revient à la poursuite des sociétés en tant que personnes morales, en disant qu’elles ne peuvent agir sans la personne physique, qui est dans cette affaire Al Smaïl, étant donné qu’il dirige Contel Algeria et Contel-Funkwerk. «Je ne veux pas inciter le parquet général à réagir, mais je tiens à signaler que Saipem a été poursuivie sans que la personne physique, qui était son gérant, ne soit inquiétée.» «Les affaires traitées par le pôle pénal sont nulles et non avenues» Me Dhina s’attaque au réquisitoire du procureur général, en disant : «Al Smaïl habitait un étage dans une villa construite en 1999, alors qu’il ne connaissait pas encore Sonatrach. Il a acheté un terrain de plus de 1000 m2 à Ouled Mendil, non loin d’Alger, en 2001, alors qu’il ne connaissait pas Sonatrach. Contel n’est pas une petite société. Elle n’est pas venue du néant. Elle a des réalisations avec des sociétés étrangères, comme Plettac-France, dépendante de Funkwerk, avant de créer le groupement avec la société mère. Son tort est d’avoir envahi la cour des grands.» Me Faden abonde dans le même sens : «Cette affaire concerne des actes de gestion qui comportent de grandes faiblesses. Elle aurait dû être écartée parce qu’elle intervient au moment où les nouvelles dispositions du code de procédure pénale sont entrées en vigueur et conditionnent les poursuites contre les cadres dirigeants par une plainte préalable qui n’existe pas dans le dossier.» L’avocat s’attaque avec virulence aux pôles judiciaires spécialisés dont la création, dit-il, «est une violation caractéristique de la loi». Ces pôles, révèle l’avocat, ont été créés par ordonnance présidentielle, en violation de la Constitution. «La loi que le Parlement et le Sénat ont votée, faisant état de la possibilité de leur création, avait été examinée par le Conseil constitutionnel, lequel a déclaré certains de ses articles contraires à la Constitution. Contre toute attente, une ordonnance présidentielle valide leur création, foulant aux pieds les décisions du Conseil constitutionnel. Pour nous, toutes les affaires traitées par ces pôles sont nulles et non avenues.» L’avocat fait remarquer que ce dossier «comporte» des faits «touchés par la prescription» et ne repose sur «aucune preuve». Il lit une longue liste de marchés que Contel a obtenus, avant de comparer les réalisations de la société de Al Smaïl à celles de ses concurrents, «comme la française Thales qui a n’a achevé les travaux qu’en 2014, mais avec un contentieux pendant au niveau de l’arbitrage, ou encore sa compatriote Cégélec qui, à ce jour, se bat dans des problèmes de concrétisation de ses engagements». «L’association de malfaiteurs est partout, comme le non-respect des consignes militaires» Me Faden conteste toutes les accusations, qu’il va tenter de casser une à une. Il affirme que l’accusation d’«association de malfaiteurs» est distribuée comme un timbre, au même titre que le «non-respect des consignes de la hiérarchie» au niveau des tribunaux militaires. Il estime que le délit de corruption «ne repose sur rien», au même titre que le «blanchiment d’argent», et conclut en demandant l’acquittement. Mustapha Bouchachi, avocat de Al Smaïl, prend le relais et commence par rappeler l’affaire du jeune douanier de Oued Souf qui a alerté les autorités, par écrit, sur l’exportation clandestine de gaz et qui a été radié par l’administration douanière puis poursuivi une première fois, puis une seconde fois pour avoir manifesté contre l’exploitation du gaz de schiste au sud du pays. «Après avoir fait de la prison, il quitte le pays avec son épouse pour rejoindre la Grande-Bretagne. Cette semaine, il m’a appelé pour m’informer qu’il venait de déposer une demande d’asile politique. Est-ce de cette manière que le pays traite ceux qui le défendent ?»  lance Me Bouchachi. Il tient à faire le lien entre les circonstances dans lesquelles a éclaté l’affaire Sonatrach et celles qui ont prévalu en 1998, poussant le président Liamine Zeroual à la démission. «Vous savez tous que cette affaire n’est qu’une lutte entre un groupe et un autre. Comme cela s’est passé en 1998, lorsque le président Zeroual a été sommé de déposer sa démission. Sur les 1345 contrats que Mohamed Meziane a signés, seulement cinq ont fait l’objet de poursuites. Ceux-ci ne sont que des messages codés de la police judiciaire en direction de ceux qu’ils visent. Cette lutte et cette utilisation de personnes comme armes n’ont d’autre objet que de contrôler cette vache laitière qu’est Sonatrach. Et ce sont les cadres émérites qui sont poursuivis. L’année passée, nous avons vécu une autre affaire, celle d’ABM ou Oultache, où 15 cadres de la Direction générale de la Sûreté nationale ont été déférés. Ils ont des compétences inouies. Ce sont Al Smaïl, les cadres de Sonatrach et de la police qui doivent être la vraie ressource du pays et non pas Sonatrach. Est-il normal que celui qui distribuait les logements sociaux aux citoyens devant les caméras de télévision se retrouve, 24 heures plus tard, dans une cellule de la prison Serkadji ? Cet homme qui est là, dans le box, aurait pu installer des systèmes de surveillance au Mali, au Niger et à la Présidence... Mais non, on a voulu le casser et stopper net son ambition. A-t-il commis des crimes ? A-t-il agi contre la loi ? Je ne le pense pas. Il y a une volonté de détruire le pays à travers ses hommes. Au nom de cette stratégie depuis plus de vingt ans, ils ont réussi à casser tout ce qui est algérien. Des milliers de cadres ont été incarcérés depuis une vingtaine d’années. En Tunisie et au Maroc, je n’ai pas connu de procès de cadres ces vingt dernières années. Dans l’affaire Khalifa, on poursuit les directeurs d’agence et on épargne les faiseurs de décision. Si vous avez le sens du patriotisme, vous pouvez agir en préservant le pays. Si vous aviez protégé Khalifa Airways et El Khalifa Bank, Aigle Azur et les banques françaises n’auraient pas envahi le marché pour enrichir la France. Lorsqu’on dit Sonatrach 1, Sonatrach 2, cela porte préjudice à la compagnie. Cette mauvaise image qu’on a donnée à Sonatrach lui a valu des milliards de dollars de pertes.» «Al Smaïl a heurté des intérêts» Me Bouchachi se refuse à s’étaler sur la police judiciaire, en disant qu’il ne s’agit pas d’une police judiciaire mais de plusieurs. «Lorsque le monde lit que la police judiciaire torture, cela porte un grave préjudice à l’Etat. J’aurais aimé que les réformes engagées soient plus importantes pour réveiller la conscience des juges, afin qu’ils prennent au sérieux les déclarations des suspects lorsqu’ils évoquent des mauvais traitements. Qu’on ne nous dise pas que les procès-verbaux sont pris à titre indicatif. L’expérience prouve que c’est sur la base de ces PV que les mis en cause sont poursuivis et condamnés», déclare l’avocat, qui revient sur l’affaire de l’assassinat du défunt Ali Tounsi et ABM qui, selon lui, «incarne celle de Sonatrach en miniature». Me Bouchachi trouve que le point faible de tous les procès est le juge. Malgré tout, il interpelle les magistrats, les exhortant à éviter de se prononcer comme l’ont fait leurs collègues au niveau de l’instruction. Il revient aux faits, qu’il réfute en bloc. Lui aussi insiste : Al Smaïl a «heurté des intérêts» parce qu’il s’est lancé dans le domaine de la télésurveillance, un terrain conquis par d’anciens militaires, policiers et gendarmes à la tête de sociétés de gardiennage. Au procureur général qui trouvait Al Smaïl trop jeune pour s’allier avec Funkwerk, Me Bouchachi répond : «Heureusement qu’Obama ne vit pas en Algérie. C’était un jeune avocat qui s’est retrouvé président des Etats-Unis à l’âge de 45 ans. Pourquoi détruire nos cadres ? C’est cela que j’appelle dilapidation de deniers publics. Visiblement, en Algérie, nous n’avons pas droit à la réussite.» «L’affaire a été mise dans un moule par la police judiciaire» Sur la question de la corruption, Me Bouchachi affirme qu’il y a eu «orientation de l’affaire sur uniquement les enfants de Meziane et la société Contel, parce que sur plus de 1400 contrats de gré à gré signés dans les mêmes circonstances, aucun n’a fait l’objet d’intérêt de la police judiciaire qui a écrit une lettre en février 2010, exigeant du parquet général de geler les comptes des sociétés. Comment peut-on refuser une expertise sous prétexte qu’il n’y a pas de spécialiste ? N’est-ce pas une honte pour le pays, sachant que des étrangers suivent de près cette affaire ? Comment accepter d’entrer dans le moule qu’a décidé la police judiciaire ? Notre mission est plus importante que celle de regarder, silencieux, ces graves dérives. Nous ne pouvons pas continuer dans ce rôle de clown. Il faut dire basta à ces dérives». Me Bouchachi va plus loin : «Lorsque la France coloniale jugeait les dirigeants de la Révolution, Me Vergès disait : ‘Il faut une rupture parce que nous sommes indépendants, il faut faire quelque chose dans ce genre d’affaires qui se comptent par dizaines et ne pas rester indifférents.’» Pour l’avocat, «rien ne prouve une quelconque surfacturation dans la mesure où aucune expertise n’a été effectuée pour l’affirmer». Il se demande comment peut-on corrompre quelqu’un en lui remettant un chèque. «S’il y avait réellement corruption, il y aurait eu des enquêtes en Allemagne, comme cela a été le cas en Espagne, récemment, où une information judiciaire sur des faits de corruption contre les sociétés espagnoles ayant obtenu des contrats en Algérie a été ouverte», conclut Me Bouchachi, en précisant que cette poursuite ne vise pas uniquement les accusés, mais également l’image du pays et de ses institutions. Il clame l’innocence de son mandant et demande au tribunal de décider «en toute sagesse et d’éviter de suivre le travail du juge d’instruction et de la police judiciaire». «Sortez par la grande porte de l’histoire en prenant des décisions équitables !» conclut-il. Il cède la barre à Me Youcef Merah, avocat de Fawzi Bachir Meziane, fils de l’ex-PDG de Sonatrach, qui commence par préciser que Sonatrach «n’est pas financée par le Trésor public mais c’est elle qui alimente les caisses de l’Etat». Pour lui, ce n’est pas Bachir Fawzi qui est l’accusé mais Meziane, «parce qu’il fait partie de cette famille laminée par l’affaire, à commencer par le père qui perd son poste et se retrouve poursuivi, la mère décédée et les deux enfants incarcérés depuis 6 ans». Les deux dernières plaidoiries auront lieu aujourd’hui, avant que l’affaire soit mise en délibéré.          

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