Comme chaque année, de nouvelles mesures visant à rassurer les consommateurs sont annoncées. Au delà de l’objectif de stabiliser les prix et d’assurer la disponibilité des produits pendant le Ramadhan, une question se pose quant à l’efficacité de ces mesures tant les décisions prises les années précédentes ont eu peu d’impact. Cette année, ça marchera peut-être. L’Etat s’y est pris à l’avance pour contrer une éventuelle hausse des prix à la consommation avant le Ramadhan. Lors d’une visite de travail dans la wilaya de Skikda, le ministre du Commerce, Bakhti Belaïb, a assuré que les prix resteront stationnaires, sans spéculation et sans pénurie, durant le mois sacré. Possible ? L’économiste Ferhat Aït Ali est sceptique : «La question récurrente des mesures prises chaque année pour juguler la hausse des prix durant le Ramadhan est en elle-même un aveu d’échec car elle démontre clairement que le circuit national de distribution est hors de contrôle efficace le reste de l’année.» El Hadj Tahar Boulenouar, président de l’Association nationale des commerçants, est perplexe : «La disponibilité des produits alimentaires n’a aucune relation avec les mesures prises par le gouvernement. Il existe des facteurs qui influent sur les prix, notamment la production et la demande. Quand le produit est disponible, le prix est bas. Et au contraire, si la demande est forte et l’offre faible, les prix flambent.» L’ingénieur agronome et expert en développement, Akli Moussouni, fait le même constat : «Je ne pense pas qu’on puisse prendre des mesures contre la hausse des prix puisque ces derniers sont libres légalement. Les seuls prix réglementés sont ceux des produits soutenus par l’Etat, notamment le lait en sachet, le pain, la semoule dans une moindre mesure.» Ainsi, pour eux, la mise en place de ces mesures démontre clairement l’absence de politique commerciale. Smaïl Lalmas, président de Algérie Conseil Export, propose : «Il est temps d’agir en profondeur pour redresser, moderniser et réguler le commerce et la distribution en Algérie, en élaborant un plan à terme avec des objectifs clairs, pouvant assurer au citoyen à longueur d’année un produit de qualité au meilleur prix.» S’assurer de la disponibilité des produits La disponibilité des produits sur le marché est un facteur essentiel de garantie de la stabilité des prix durant le Ramadhan. Dans les pas de Bakhti Belaïb qui a assuré qu’«il n’y aura aucun problème dans la disponibilité des produits de large consommation», M. Aït Abderrahmane, directeur général de la régulation au ministère du Commerce, précise : «Il existe un comité de suivi et de facilitation de l’approvisionnement des produits de large consommation qui travaille depuis le mois de janvier sur un programme afin d’assurer la stabilité des prix. Ce comité s’est réuni avec les représentants des différents offices de régulation.» Par exemple, l’Office national interprofessionnel du lait et produits laitiers (ONIL) a prévu les quantités nécessaires de poudre de lait pour alimenter les laiteries durant le Ramadhan ; idem pour l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) qui a prévu un stock suffisant pour cette période. «D’ailleurs, les stocks sont déjà disponibles. C’est prévu dans le cahier des charges de ces organismes : il n’y aura pas de rupture d’approvisionnement», assure M. Aït Abderrahmane. Pour sa part, Smaïl Lalmas n’y croit pas trop : «Comme chaque année, à l’approche du mois sacré, des promesses du gouvernement en direction de la population sont lancées pour rassurer les gens, notamment les bourses modestes. Malheureusement, c’est une musique connue, jouée et répétée chaque année sans résultat probant.» Compter sur la période de récolte Pour tenir ses promesses, l’Etat peut compter sur l’abondance de la production. C’est une chance, cette année, le Ramadhan coïncide avec la «pleine saison» de nombreux fruits et légumes consommés pendant le mois de jeûne. Même les spécialistes le disent : «Il ne pouvait pas mieux tomber.» Tous sont unanimes sur un point : «Il n’y aura pas de pénurie étant donné que c’est une période de récolte.» M. Aït Abderrahmane partage leur avis et rassure : «Le ministère de l’Agriculture nous a assuré qu’il n’y aura aucun problème avec la disponibilité des fruits et légumes. Il est vrai que nous avons subi une période de sécheresse, mais les dernières pluies ont sauvé les récoltes. Nous prévoyons donc que tous les produits de saison seront disponibles. Il y aura même un large choix et les prix resteront stationnaires.» Pour Ferhat Aït Ali, «le mois de Ramadhan tombe à pic. Juin est le mois de toutes les récoltes de maraîchages, il sera donc difficile pour les éventuels spéculateurs de faire de la rétention de produits périssables pour spéculer sans moyens de conservation majeurs». Cette coïncidence devrait jouer en faveur des consommateurs. Du coup, les produits hors saison seront sûrement plus chers. El Hadj Tahar Boulenouar explique : «Il ne faut pas s’attendre à acheter des fèves, des artichauts ou des petit-pois à moindre coût, car ce ne sera tout simplement pas la saison. Par contre, tout ce qui est tomates, pommes de terre, poivrons ou encore haricots seront à des prix raisonnables.» Autoriser l’importation de viandes Pendant le mois sacré, la consommation de viande augmente : celui qui a l’habitude d’en manger une fois par semaine en consomme le double, voire le triple. C’est pour cette raison que la demande sur les viandes augmente considérablement durant cette période. Pour contrer la hausse des prix, Aït Abderrahmane assure que «les réserves de viandes rouges et blanches sont prêtes en quantités suffisantes». Si les réserves de viande blanche sont issues de la production locale, celles des viandes rouges proviennent en partie de l’importation. El Hadj Tahar Boulenouar explique : «L’Algérie enregistre un manque de près de 200 000 tonnes de viandes rouges, c’est pour cela que l’importation, surtout en cette période de l’année, est indispensable pour combler le manque». Pour la première fois l’Etat a autorisé les privés à importer de la viande. M. Aït Abderahmane affirme : «Il ne devrait pas y avoir de manque de viande étant donné que l’Office algérien des viandes a mis en place un plan afin d’éviter toute pénurie et encourager l’importation. Cela veut dire que les importateurs privés vont aussi ramener de la viande, fraîche ou congelée.» De son côté, El Hadj Tahar Boulenouar assure : «Il n’y aura pas d’augmentation des prix des viandes rouges, peut-être une légère hausse de 40 DA par rapport à ceux des viandes blanches, grâce notamment aux importateurs privés qui augmentent les quantités de viande pour combler la hausse de la demande qui survient lors du mois sacré». Ferhat Aït Ali en doute : «L’autorisation d’importer des viandes n’apportera rien aux prix viandes locales. La viande importée ne cassera pas les prix locaux, mais introduira une concurrence déloyale pour les producteurs qui auraient pu vendre à des prix soutenus durant ce mois de la viande locale de bonne qualité et garder leurs marges tout en évitant l’importation, cela au-delà du caractère discrétionnaire et abusif de l’octroi de ces autorisations qui profitent plus aux fonctionnaires en charge de les octroyer et à leur clientèle qu’aux petites bourses.» Rétablir les marchés de proximité Autre point à même de contrer la hausse des prix durant le Ramadhan : la mise en place de marchés de proximité. D’ailleurs, l’année dernière, des espaces dédiés à la commercialisation des produits locaux ont été aménagés un peu partout dans le pays afin d’assurer un approvisionnement permanent ; ils ont joué un rôle considérable dans la stabilisation des prix. Fort de cette réussite, l’Etat a décidé de renouveler l’expérience. M. Aït Abderrahmane confie : «On va rééditer les marchés de proximité spécial Ramadhan réservés, en priorité, à la vente des produits locaux, notamment agricoles, à des prix préférentiels.» «Une bonne idée», selon El Hadj Tahar Boulenouar, qui explique : «Le secteur du commerce enregistre un manque de 1000 marchés de détail et de proximité. La création de ces espaces de vente temporaires réduira considérablement les prix à la consommation, surtout que nous disposons de nombreux sites inexploités qui peuvent être utilisés à l’occasion». Ces espaces seraient aussi, selon Mustapha Zebdi, président de l’Association de protection des consommateurs, «des surfaces où règnerait la concurrence, ce qui contribuera à faire baisser les prix, surtout dans le cas où l’approvisionnement se fait directement des usines». Cependant, cette mesure ne semble pas enchanter Smaïl Lalmas, qui doute de son efficacité : «Un programme de construction de marchés avait pris forme il y a quelques années pour organiser la distribution via des circuits identifiés, bien visibles, avec des aires de stockage modernes. Mais ce programme est resté sans suite, du moins on ne voit rien venir pour l’instant. L’absence de structures de grande distribution, notamment pour les produits de large consommation, ne facilite pas les choses et est l’un des principaux problèmes du commerce en Algérie.» Sensibiliser et renforcer le contrôle La spéculation est la raison principale de la hausse des prix durant le mois sacré. El Hadj Tahar Boulenouar explique : «Si les prix augmentent autant durant le mois sacré, c’est parce que la demande n’est pas fixe, mais plutôt exagérée. Les Algériens ont tendance à s’approvisionner une semaine avant l’arrivée du Ramadhan. Ils stockent les produits et cela joue sur les prix». C’est pour cette raison que des campagnes de sensibilisation deviennent primordiales. «Les prix étant libres, on ne peut que sensibiliser les commerçants et les convaincre de ne pas les augmenter. Nous lançons aussi un appel aux consommateurs pour leur dire qu’il n’y a pas lieu de s’affoler. Tout est prêt», assure M. Aït Abderrahmane. De son côté, Mustapha Zebdi affirme : «Ce fléau revient chaque année, seule la sensibilisation des commerçants pourrait diminuer cette tendance.» C’est justement pour cette raison que l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) mène une large campagne à travers le pays. Son président, Salah Souilah, affirme : «On a commencé à approcher les grossistes et les commerçants bien avant le début du Ramadhan afin de les mettre en garde contre la spéculation. Nous avons de nombreuses sections installées dans les wilayas qui se déplacent sur les marchés afin de mener des actions auprès des commerçants.» Ferhat Aït Ali estime que «c’est au consommateur lui-même de réguler ses dépenses afin que les prix restent stationnaires. Une baisse de sa frénésie d’achat ou de ses capacités financières sont le meilleur moyen de stopper cette propension à la surenchère de la part des commerçants. Nous l’avons d’ailleurs constaté en 2015, où la hausse n’a pas été exceptionnelle, le climat de crise étant passé par là. Cette année, on aura le même phénomène où le même salaire aura à supporter en même temps le Ramadhan, l’Aïd et le départ en vacances.»
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