dimanche 17 juillet 2016

«Erdogan pourrait aller plus loin que la seule répression»

- Vous attendiez-vous à un tel événement ? Qu’est-ce qui a bien pu motiver ce coup d’Etat ? Cette tentative de coup d’Etat est une grosse surprise car, ces dernières années, il semblait que s’était établie une sorte de mariage de raison entre l’institution militaire et Recep Tayyip Erdogan. Les grands procès pour complot (Ergenekon, Balyoz...) s’étaient arrêtés et avaient débouché sur des non-lieux. Recep Tayyip Erdogan avait besoin d’une armée rassurée dans les situations de tension et de guerre apparues au Moyen-Orient, dans le sillage des Printemps arabes, en particulier la crise syrienne. Mais à côté du point de vue de l’état-major, d’autres militaires ont pensé qu’il fallait quand même en finir avec le régime de l’AKP, une bonne fois pour toutes, en recourant au coup d’Etat. Est-ce le baroud d’honneur d’une vieille garde kémaliste, nationaliste et laïque, ou bien est-on en présence d’un autre phénomène plus complexe ? Pour répondre à cette question, il faudra en savoir plus sur la composition du groupe de militaires qui a déclenché ce coup d’Etat et sur ses motivations profondes. - Pourquoi, selon vous, ce coup d’Etat a-t-il échoué ? Pour qu’un coup d’Etat réussisse, il faut que certaines conditions favorables soient réunies, ce que le journaliste-écrivain espagnol, Javier Cercas, appelle (dans son livre Anatomie d’un instant, sur le coup d’Etat du colonel Tejero à Madrid, le 23 février 1981) le «placenta» du coup d’Etat. Afin qu’un tel contexte nourrisse un soulèvement militaire et lui permette de triompher, il faut que les putschistes aient non seulement un soutien dans l’armée et dans l’Etat, mais aussi dans la société. Hier soir, on a rapidement compris que les insurgés étaient isolés. Les adversaires de l’AKP ne sont pas sortis dans la rue pour soutenir l’intervention militaire. Les auteurs du coup d’Etat ont dû prendre en otage le chef d’état-major qui ne les suivait pas. Les partis de l’opposition ont condamné le coup, comme d’ailleurs les organisations internationales (UE, OTAN, ONU) et les principaux alliés de la Turquie (Etats-Unis et Allemagne en particulier). En revanche, Recep Tayyip Erdogan a pu compter sur le soutien d’une partie de ses partisans et de la police. Plus généralement, on peut dire aussi qu’on voyait mal quelles pouvaient être les perspectives de cette aventure et sur quoi elle allait déboucher.... En bref, un gouvernement en place pas assez déstabilisé et un avenir trop incertain pour qu’un putsch réussisse. - D’après-vous, Erdogan profitera-t-il de la situation pour déclencher une nouvelle réorganisation de l’institution militaire ? Il est sûr que ce coup d’Etat est une aubaine pour permettre à Recep Tayyip Erdogan de prendre enfin en main une institution militaire qu’il n’avait jamais réussi à véritablement dominer. On peut donc s’attendre à ce que le président turc aille beaucoup plus loin que la seule répression des auteurs de la tentative de putsch du 15/16 juillet 2016. C’est tellement vrai que certains observateurs, sur les réseaux sociaux, sont même allés jusqu’à dire que le régime aurait organisé en fait cet épisode d’un autre âge aux fins de pouvoir mettre un terme à l’autonomie dont jouissait l’armée dans le système politique turc, en dépit de son recul ces dernières années et de la disparition de son influence politique traditionnelle. - Quelles conséquences faut-il tirer de cet événement ? A quoi faut-il s’attendre maintenant ? Je pense que l’on peut s’attendre également à une forte accentuation de la mainmise de l’AKP sur l’ensemble du système. Le dernier contrepoids majeur aux ambitions du parti au pouvoir ayant disparu, les contre-pouvoirs qui demeurent sont faibles en réalité : la presse d’opposition du groupe Dogan, les mouvements de la société civile, les syndicats, les partis d’opposition (CHP, MHP, HDP). C’est peu au regard des énormes moyens politiques, administratifs, financiers, techniques ou religieux dont disposent désormais le gouvernement et le Président. Certes, des obstacles constitutionnels demeurent sur la voie de l’établissement d’un régime présidentiel, mais Recep Tayyip Erdogan possède de plus en plus d’atouts pour les franchir. Il devra néanmoins veiller à ne pas pousser trop loin son avantage pour ne pas déstabiliser dangereusement un pays divisé, où existent des tensions très importantes. Car dans une région en proie à de multiples conflits et voisin deux Etats en plein délitement (l’Irak et la Syrie), la Turquie a besoin de calme et de sérénité.                                  

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