jeudi 6 juillet 2017

«L’importation déguisée, c’est fini»

Le ministre de l’Industrie et des Mines, Mahdjoub Bedda, a abordé durant plus d’une heure toutes les questions liées à son secteur, notamment celles liées à l’industrie de l’automobile, le foncier industriel et les mines, qui ont fait l’actualité ces derniers jours. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il lance une véritable mise en garde contre les concessionnaires qui font, selon lui, dans l’importation déguisée et affirme que 52 zones industrielles ont été gelées. - Vous vous êtes attaqué aux concessionnaires automobiles, avez évoqué des défaillances dans ce secteur et promis des mesures. Qu’en est-il au juste ? Un groupe de travail composé d’experts a été chargé de faire l’état des lieux et de comprendre pourquoi la stratégie mise en place pour développer l’industrie automobile n’a pas donné les résultats escomptés. Le premier constat est malheureux… - Mais vous-même en tant que député, président de la commission finances de l’Assemblée nationale aviez soutenu et applaudi la stratégie de votre prédécesseur. N’est-ce pas un changement de position ? Vous le dites bien. J’ai soutenu la stratégie exceptionnelle de l’Etat algérien pour encourager le secteur de l’automobile. Toutes ces aides avaient un objectif précis. Les concessionnaires se sont engagés avec l’Etat de créer et multiplier les sociétés de sous-traitance, booster l’emploi, diminuer la facture des importations, d’exporter à moyen terme et de réduire le coût des véhicules, etc. Or, je n’ai rien trouvé de cela. Les véhicules coûtent plus cher que dans le pays de provenance, l’emploi a diminué par rapport à avant et la pièce de rechange reste onéreuse et indisponible. Je n’ai pas dit qu’il faille tout bloquer. Loin de là. La stratégie est bonne, mais sur le terrain il y a eu des défaillances. Pour remettre tout sur les rails, nous avons décidé d’arrêter l’importation déguisée et tout le monde doit s’aligner sur la nouvelle politique, où chacun aura la place qu’il mérite. Ce qu’il faut retenir, c’est que la politique globale de ce secteur ne fonctionne pas comme convenu. Je ne suis pas venu pour demander des comptes aux gens, ni pour juger qui que ce soit. Je veux donner une nouvelle dynamique au secteur de l’automobile. Celui qui veut investir est le bienvenu. Celui qui voit le marché uniquement que sous l’angle de l’importation et du transfert de devises n’a rien à faire en Algérie. - Si vous parlez de nouvelle politique, cela sous-entend que vous abandonnez celle de votre prédécesseur qui visiblement a été un échec… J’ai précisé qu’il ne s’agit pas d’aller vers une nouvelle politique, mais plutôt de réorienter celle engagée par le gouvernement à travers des mesures concrètes : faire appel à des équipementiers mondiaux sérieux et compétents pour lancer à court terme de petites et moyennes entreprises de production de pièces détachées. Nous avons un marché exceptionnel et très attractif. Nous avons dit aux concessionnaires : l’Etat vous a accordé des avantages, mais vous n’avez pas respecté vos engagements à assurer un retour d’investissement. Nous devons encadrer le secteur et l’encourager pour ramener des marques au label sérieux. C’est dans l’intérêt du pays d’avoir demain un marché où les Algériens peuvent acheter leurs véhicules selon leurs bourses. Nous n’avons jamais dit qu’on allait bloquer le secteur de l’automobile. Mais la première de mes décisions est de faire baisser les quotas d’importation et de conditionner sa reprise à la hausse par le taux d’intégration. A chaque fois qu’un concessionnaire augmente son taux d’intégration, il verra son quota tiré vers le haut. Jusqu’à maintenant, cette production n’a pas évolué d’un iota. Elle est restée stationnaire. Alors, celui qui ne booste pas son taux d’intégration restera au bas de l’échelle et pourra même ne plus avoir de quota. Le message fort que je lance aux nouveaux concessionnaires est celui-ci : si vous ne ramenez pas avec vous d’équipementiers, ce n’est pas la peine de venir. Pour moi, la stratégie du gouvernement est bonne. Mais, elle avait pris une mauvaise voie… - Tout le monde sait que la majorité des concessionnaires ne respectaient pas le cahier des charges et les autorités ont laissé perdurer cette situation d’anarchie. Comment expliquez-vous cela ? Je ne dirais pas que ces concessionnaires ne respectaient pas le cahier des charges. Je dirais plutôt que ce cahier des charges n’existait pas, ou plus exactement il comportait de nombreuses failles. Il n’était pas à la hauteur de ce qui était attendu. Le constat a été fait par le groupe de travail qui, je dois le souligner, va revoir toutes les dispositions qu’il contient pour les adapter aux nouvelles orientations. La situation actuelle n’est acceptable pour personne, y compris pour les concessionnaires qui n’arrivent pas à vendre en raison des prix excessifs. - Pourquoi avoir, dès le départ, favorisé le montage au détriment de la fabrication de la pièce détachée qui partout ailleurs est le moteur de l’industrie de l’automobile ? Ne parlons pas d’hier. Aujourd’hui, il est prévu des mesures incitatives pour encourager la création de petites et moyennes entreprises de production de pièces détachées. Nous avons les capacités de le faire et nous ne reviendrons pas en arrière. Ce sont des expériences intéressantes mais qui avaient des insuffisances. Nous nous attelons à les prendre en charge à travers des mesures concrètes. - Il y a quelques années, la SNVI de Rouiba était sur un contrat de production avec un constructeur allemand, mais il a été abandonné. Pouvons-nous avoir votre avis sur le sujet ? J’ai commencé par l’urgent, sans pour autant occulter le secteur public qui doit être impérativement encouragé. Depuis longtemps, ce secteur était «mahgour» (mal considéré). Lors des visites officielles à l’étranger, on invite le privé pour faire partie des délégations, mais pas le public, au point où souvent nos partenaires croient qu’en Algérie il n’y a pas de sociétés publiques. Attention, je ne suis pas contre le privé. Je ferai tout pour l’aider et l’encourager, mais pas au détriment du public, qui lui aussi doit avoir sa place. Il faut une industrie construite sur le partenariat privé-public. Le privé qui vient avec une plus-value est le bienvenu, et nous sommes là pour l’accompagner. Pour revenir à la SNVI, il est anormal que cette entreprise avec son expérience et son capital humain ne soit pas présente dans le secteur de l’automobile. Pourquoi les grandes marques ne signent-elles pas avec la SNVI des contrats de partenariat ? Pourquoi ne sont-elles pas dans les entreprises publiques du secteur de l’agroalimentaire public, qui est présent dans les 48 wilayas du pays ? Nous ferons tout pour généraliser le partenariat public-privé étranger. C’est notre challenge. - Vous avez aussi ouvert le chantier du foncier industriel et décidé de geler de nombreuses zones d’activité à travers le pays. Qu’en est-il au juste ? Là aussi, il faut savoir qu’un groupe de travail interministériel, Finance, Intérieur, et Industrie a été chargé de faire l’état des lieux et actuellement elle est à la fin de sa mission. C’est une initiative du gouvernement. Je tiens à souligner que ces zones industrielles ne sont pas toutes mauvaises, ni toutes bonnes. Le précédent gouvernement a lancé une série de zones à travers le pays. Certaines sont à leur place, d’autres ne le sont pas. Elles ont été installées dans des zones où il n’y a même pas d’industriels. C’est vraiment un gaspillage d’argent. Nous avons pris la décision de geler 52 zones d’activité. Un travail de fond a été fait. Dorénavant, les régions qui méritent de tels investissements seront bien ciblées. Celles qui n’en ont pas besoin bénéficieront d’argent pour construire des infrastructures de base comme les écoles, les centres de santé ou les hôpitaux. Le groupe de travail n’a pas terminé son expertise. Le Premier ministre l’a bien expliqué devant l’Assemblée nationale. Notre credo, c’est la rationalité dans tous les domaines. - Comment se fait-il qu’aujourd’hui, avec toutes les aides de l’Etat pour la construction de nombreuses cimenteries à travers le pays, le marché du ciment n’arrive pas à être régulé alors que les prix sont tout le temps en hausse ? Le groupe de travail qui se penche sur le secteur a déjà rendu ses conclusions. Il est vrai que le secteur connaît de gros problèmes. Dès mon installation, j’ai pris des mesures qui ont permis de faire baisser les prix, et vous pouvez constater cela sur le terrain. Je vous invite le 11 juillet prochain à la cimenterie de Chlef, où une opération portes ouvertes sur le secteur démarrera. Cette cimenterie a été au centre d’une grande spéculation, mais qui a été résolue. Le marché algérien est très prometteur. - Pouvez-vous nous expliquer cette situation paradoxale : d’un côté, le nombre des cimenteries a augmenté, et de l’autre, au lieu que les prix chutent en raison de l’offre, ils ne cessent d’augmenter… C’est la spéculation qui est à l’origine et la raison c’est l’être humain. Je peux vous assurer que je ferai la chasse aux spéculateurs. Nous sommes sur le point d’achever le travail des statistiques sur la production, la demande pour avoir la cartographie précise du marché algérien et de voir aussi le potentiel d’exportation avec les usines qui vont ouvrir, dont celle de Adrar. Nous travaillons sans relâche sur ce secteur, et déjà les mesures prises ont eu des répercussions sur le marché puisque les prix ont connu une baisse par rapport à ceux de la période où je suis arrivé. - Beaucoup vous reprochent vos positions en tant que président de la commission finances durant deux mandats en faveur de la politique de votre prédécesseur et que vous remettez en cause aujourd’hui. Quelle est votre réponse ? J’ai défendu la stratégie du gouvernement pour le secteur de l’industrie et des mines, notamment la loi sur l’investissement et la règle des 59/41%, qui est une décision souveraine de l’Etat et non discutable. Aujourd’hui que je suis ministre, je me rends compte que sur le terrain cette stratégie n’a pas été bien appliquée. La preuve, le directeur général de l’investissement n’est plus là. S’il était encore en poste, vous serez en droit de dire que je ne fais rien. J’étais législateur. Quand je vois une loi porteuse de bonnes intentions, j’approuve et je la défends parce que je veux que mon pays se développe. Mais, lorsque je constate qu’elle n’est pas appliquée sur le terrain, je dénonce. - Faudra-t-il s’attendre à un assainissement du secteur ? Je ne suis pas là pour juger x ou y. Mais je dis que nous sommes dans une nouvelle étape qui demande de nouveaux visages pour rassurer tout le monde, notamment nos partenaires. - Pourquoi, selon vous, le secteur de l’automobile a réussi chez les militaires et pas chez les civils ? C’est un bon exemple de réussite, pourtant ce sont tous des Algériens et ils ont presque les mêmes partenaires. La différence entre les deux est la rigueur. Pas plus… - Très rentable, le secteur des mines a été relégué au second plan et certains partenariats dans l’exploitation de l’or à Tamanrasset ou du phosphate ont été un échec et occasionné des pertes sèches pour le Trésor public. Pourquoi une telle situation ? Moi, je dirais que le secteur des mines aurait pu rapporter au pays ce que lui rapporte Sonatrach et bien plus. Mais, je préfère parler de ce que je compte faire. Des professionnels spécialisés seront sollicités pour nous aider à exploiter ce secteur, notamment en ce qui concerne le phosphate. Un groupe de travail est en train de faire l’état des lieux pour rendre compte de la situation. Il est prévu l’ouverture d’écoles de formation avec des partenaires étrangers spécialisés dans le domaine. Nous allons vers une nouvelle politique qui fera de ce secteur celui de la richesse grâce au partenariat public-privé. Notre stratégie repose sur des priorités et celles-ci concernent le secteur de l’automobile, les mines, le phosphate, l’encouragement des petites et moyennes entreprises et la formation qui est un grand problème. Nous allons prendre les majors de promo des grandes écoles, comme les Ecoles polytechnique, des statistiques, du commerce pour les former et les injecter dans le lancement à moyen et à long termes des petites et moyennes entreprises… - Le Premier ministre a promis de séparer le politique de l’argent ; comment allez-vous faire pour libérer votre secteur de l’emprise de certaines fortunes ? J’ai inventé un concept, «la laïcité économique» et je le défends sans relâche. Lorsque l’Etat décide de nettoyer, tout le monde s’aligne. Nous allons vers la promotion des jeunes entreprises, de la start-up, l’encouragement de la formation, du secteur public, la création d’écoles de formation pour l’économie industrielle, de management, etc. C’est le développement de tous ces segments d’activité qui vont nous permettre d’assainir la situation et aider les jeunes à entrer en force dans le domaine des start-up, des petites et moyennes entreprises, de l’industrie… - Est-il plus facile d’être député ou d’être ministre ? (Rire)… Etre député, c’est avoir beaucoup plus de travail, surtout si on préside une commission des finances. Ce qui n’est pas le cas quand on est ministre puisque on peut se faire aider et assister par des groupes d’experts. Je ferai tout pour honorer la confiance placée en moi, qui suis un jeune de l’Algérie profonde. C’est un secteur très important et je pense pouvoir apporter quelque chose.  

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