mercredi 5 juillet 2017

Passions et polémiques

La polémique ayant éclaté à propos d’un éventuel biopic sur la vie de la grande moudjahida, la légende vivante de la Révolution anticoloniale française, Madame Djamila Bouhired, montre que la fidélité historique est difficile à respecter. La vive protestation et la véhémente opposition de la grande figure révolutionnaire, Madame Djamila Bouhired, à tout film portant sur sa vie est un précédent dans les annales de l’écriture filmique de l’histoire, la résistance, le nationalisme, le militantisme et la Révolution de Novembre 1954 contre l’occupation française. Dans une déclaration datant du 20 juin 2017, Mme Djamila Bouhired s’insurge contre ce qu’elle qualifie de «falsification de l’histoire et de profanation de la mémoire des martyrs…». «Dans un contexte de falsification décomplexée qui tente de tailler une histoire sur mesure à des usurpateurs et des faussaires, cette opération vise, une fois encore, à instrumentaliser la Guerre de Libération nationale à des fins de légitimation de pouvoir… Après avoir manipulé les martyrs, ils revendiquent maintenant le droit d’instrumentaliser l’image des survivants dans des luttes d’arrière-garde. Je prends à témoin mes frères et mes sœurs algériens pour réaffirmer mon opposition à la réalisation de tout film dont je serai le personnage principal, et mon refus de servir de caution à toute opération occulte. Je dénonce avec force l’instrumentalisation de la Révolution et de ses martyrs à des fins de légitimation de pouvoir.» «Des films de commande de l’état, réécris et falsifiés dans les couloirs…» Une réprobation à l’endroit d’une histoire dite «officielle». Mme Djamila Bouhired a eu le mérite de susciter le débat. Et même des réactions en chaîne. Comme le confirme celle du réalisateur et producteur, Bachir Derrais  — dont le film intitulé Larbi Ben M’hidi (grand révolutionnaire et martyr) sortira bientôt —, dans un post (commentaire) sur la page de garde de son compte Facebook, hier après-midi : «Vue sur une chaîne privée : certains profitent de la sortie du Premier ministre sur le cinéma pour se mettre en valeur et déclarent ‘‘qu’en Algérie on a plus de réalisateurs ce qui nous obligent d’importer des réalisateurs du Moyen-Orient’’... Nuance... Ma réponse est la suivante : les réalisateurs algériens — les vrais, ceux qui ont encore de la dignité — refusent de réaliser des films de commande : des scénarios initiés par l’Etat, réécris et falsifiés dans les couloirs et les bureaux des ministères. Des scénarios à sens unique sur mesure selon la ligne éditoriale et de la vision qu’on a voulu donner à la Révolution depuis le 3 juillet 1962... Faire appel à des réalisateurs du Moyen-Orient arrange tout le monde, puisqu’ils ne connaissent rien à notre histoire et ils s’en foutent. Ils viennent en Algérie négocier de bons cachets, généralement 10 fois supérieurs au salaire du réalisateur algérien, se font héberger dans des hôtels 5 étoiles, encaissent leurs chèques, livrent des films bidon et partent... Toutes mes amitiés aux cinéastes algériens qui ont du mal à monter leurs projets dont certains sont très malades et n’arrivent même pas à payer leurs soins et médicaments. Je préfère en rester là. L’histoire jugera les fossoyeurs de notre mémoire et leurs complices.» Un droit de regard «orwelien» «L’effet Bouhired» démontre que le film historique ou de guerre ne peut être unilatéral, propagandiste, prosélyte… Bien qu’un projet de film sur une figure ou un personnage historique de la lutte anticoloniale soit accepté par le ministère de tutelle (de la Culture), il doit être impérativement approuvé par une commission de lecture (du scénario) du ministère des Moudjahidine avalisant la teneur. Un droit de regard «orwelien» (Big brother is watching you, le grand frère te regarde, te surveille) évitant toute «atteinte à une constante nationale». Du coup, avons-nous une vision «angélique», magnanime, manichéenne, lisse, sans aspérité des choses. Un révolutionnaire, un héros, un martyr est un être humain. Le bât blesse au niveau de la dimension humaine. C’est-à-dire à hauteur d’homme. Certes ce n’est pas facile de relater l’histoire objectivement. Le cinéma américain n’abordera la guerre du Vietnam que tardivement. Un sujet «tabou». Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et surtout Platoon d’Oliver Stone, qui s’est démarqué du côté manichéen et a montré qu’une guerre peut être sale. Et puis ses dommages collatéraux. Ou encore le poignant film La Chute du faucon noir (Black Hawk Down) de Ridley Scott (2002), où une opération de routine de marines vire rapidement au cauchemar, lorsque ces militaires sont pris pour cible par les factions armées rebelles et une population, résolument hostiles à toute présence étrangère à Mogadiscio, en Somalie. Ostracisme des réalisateurs algériens Donc, filmer sans complaisance ni compromis avec la contribution agissante, experte et efficiente des historiens. Autres errements toujours dans le contexte portant sur les figures historiques du nationalisme et résistance anticoloniale française, c’est l’ostracisme flagrant des réalisateurs algériens. Les films éponymes, Ahmed Bey, ayant combattu le colonialisme français (1786-1851) est réalisé par le Tunisien Chawki Al Mejri et Ibn Badis par le cinéaste syrien Bassel Al Khatib (avec une équipe de tournage entièrement syrienne). Les techniciens algériens jouissant d’une expérience reconnue se trouvent au chômage. Où est l’encouragement à la création de gisement d’emplois ? Et ce, après le lancement en grande pompe et à coups de millions de dollars du film portant sur le biopic de l’Emir Abdelkader (1808-1883), le stratège militaire, philosophe, soufi, humaniste et poète ayant combattu l’occupation française, qui devait être réalisé par l’Américain Charles Burnett. Le projet a capoté. Charles Burnett s’est «volatilisé». Le financement parti en écran… de fumée. Sans chauvinisme ni nationalisme mal placé ni «xénophobie ordinaire» ou encore faire dans «l’exception culturelle». Il est logique et légitime de se poser ces questions. Car c’est l’argent de l’Etat. Et de s’étonner devant ce choix sélectif au détriment des réalisateurs algériens se sentant victimes d’un ostracisme insidieux ne voulant guère dire son nom. Ils ne demandent qu’à être mis à contribution, associés, encouragés et mis en confiance. Pour exprimer modestement leur acte créatif. Les Lyès Salem, Nadir Moknèche, Merzak Allouache, Abdelkrim Bahloul, Rachid Bouchareb… en sont la preuve patente. Ou alors l’on juge dans les hautes sphères qu’ils sont «incapables et indignes» d’adapter à l’écran des figures historiques de l’Algérie. Amar Kessab, expert en politique culturelle, avait déjà souligné cela en jetant ce pavé dans la mare : «Je rappelle à l’actuel ministre de la Culture l’affaire du film sur l’Emir Abdelkader qui a coûté 18 millions de dollars, dont 13 se sont évaporés sans le moindre tournage, après que le producteur américain du film ait disparu. Dans ses propos, le ministre semble vouloir tourner la page de ce scandale. Or, il n’a pas le droit de balayer d’un revers de la main un scandale éclatant, car l’argent volé appartient aux citoyens algériens et non pas au ministère. La justice doit intervenir, sans tarder, dans ce dossier… Nous avons peu d’informations sur les films financés. Par ailleurs, on ne connaît pas les noms des membres des comités de sélection des films, le nombre de projets financés, les critères de sélection, les montants alloués, etc. Le financement du cinéma en Algérie reste donc complètement opaque…» Djaâfar Gacem passe au grand écran Mais il faut encourager les initiatives et libérer les énergies sans dirigisme. Le film historique demeure un travail de et sur la mémoire. La preuve encore une fois, un autre réalisateur de talent s’y colle. Djaâfar Gacem, l’auteur du feuilleton Achour El Acher sur Echorouk TV durant le mois du Ramadhan (12 millions de spectateurs chaque soir). Il va réaliser un film historique. «C’est pour bientôt. Mais cette fois (rire), je suis très sérieux. Là, je passe vraiment à autre chose. On a écrit un scénario qui s’intitule Héliopolis. Il entre dans le cadre du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie en 2012 et il a été accepté par la ministère de la Culture de l’époque (Nadia Labidi). Donc, c’est trois mois de préparation, trois mois de tournage. Livraison en 2018. C’est un film qui retrace les massacres du 8 Mai 1945. Mais autour d’une fiction se situant à Guelma…»

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