samedi 12 août 2017

«Après avoir réhabilité tamazight, réhabilitons son onomastique»

Auteur de livres sur l’anthroponymie, l’enseignant universitaire Mohand-Akli Haddadou revient dans cet entretien sur les raisons du refus de certains services d’état civil d’inscrire les prénoms berbères. Il décortique les textes réglementaires qui insistent sur l’utilisation de la «consonance algérienne» et des pièges qui y sont contenus. L’auteur revient sur le travail commandé par le Haut-commissariat à l’amazighité (HCA) (confection d’une liste de 1000 prénoms amazighs adressée à cette institution de la Présidence). Au final, M. Haddadou suggère de ne pas imposer une quelconque nomenclature, mais pour éviter les excès, l’agent de l’APC pourrait demander l’origine ou la signification du prénom pour éviter justement le préjudice à la personne. Des parents trouvent des difficultés pour inscrire les prénoms d’origine berbère de leurs enfants à l’état civil. Des cas sont périodiquement signalés partout à travers le pays, particulièrement dans les régions arabophones. Pourquoi cette situation qui s’apparente à un déni de l’identité d’une partie des Algériens ? Il est regrettable qu’on continue à refuser des prénoms d’origine amazighe. Si le patronyme est hérité, le prénom fait toujours l’objet d’un choix des parents, et ce choix peut revêtir, selon les personnes, des valeurs diverses : dans certaines régions d’Algérie, on reprend le prénom d’une personne décédée – c’est ce qu’on appelle des nécronymes – on choisit le prénom en fonction de croyances religieuses, de tendances idéologiques, par militantisme politique, etc. Dans le cas des prénoms amazighs, ceux-ci fonctionnent comme un identifiant identitaire. Si on appelle son fils Jugurtha ou Koceyla, c’est pour montrer qu’on se rattache, par des personnages historiques, à une histoire et que l’on revendique cette histoire. Vous dites que les prénoms amazighs sont refusés dans les régions arabophones ; en fait, le même déni a eu lieu dans des régions berbérophones, telles la Kabylie ou les Aurès, même s’il s’agit de prénoms figurant dans ‘‘la liste officielle’’. Est-ce le choix d’agents de l’état civil hostiles, pour une raison ou pour une autre, à l’amazighité ? Est-ce le fait que les textes limitant le choix des prénoms soient toujours de vigueur ? Alors pourquoi des prénoms moyen-orientaux, turcs, persans, voire européens, qui ne figurent pas dans ces listes soient autorisés ? Dans une contribution intitulée «Le prénom amazigh en Algérie, de l’interdiction à un semblant de reconnaissance», vous parlez des textes législatifs régissant la question et les «contraintes» qui y sont contenues. Vous parlez, particulièrement, du critère de la «consonance algérienne» prévue pour justifier l’emploi d’un prénom. Dans la réalité, des prénoms d’origines diverses, et même «étrangers et étranges», comme vous les qualifiez, sont autorisés, mais pas ceux d’origine amazighe… La «consonance algérienne» a toujours été brandie dans les textes législatifs sur le choix des prénoms. Dans l’optique de ces textes, il s’agissait de «protéger» l’onomastique algérienne de l’«invasion des prénoms étrangers». Si par «consonance» on entend une affinité de sons, tous les prénoms féminins finissant par la voyelle ‘‘a’’, à l’exemple de Fatma, seraient algériens : Sonia, Nadia, Belinda… Or, tous ces prénoms cités sont ‘‘étrangers’’ et pourtant ils ont été adoptés par les Algériens ! Dans la logique de la «consonance algérienne», peut-on considérer comme répondant à ce critère des prénoms d’origine arabe mais non utilisés dans la tradition algérienne, comme Seif al-dîn al-Islam, Lissaneddine, Boutheina ? «Consonance algérienne» signifierait alors «consonance arabe», ce qui exclut, ipso facto, la dimension amazighe. Aujourd’hui, l’Etat a octroyé à tamazight le statut de langue nationale et officielle aux côtés de l’arabe, cette décision doit se refléter partout : à l’école, dans les médias, l’administration et l’onomastique, elle, doit concerner toutes les régions de la République, sans exception. Le Haut-commissariat à l’amazighité (HCA) vous a confié en 2001 un travail sur une nomenclature des prénoms berbères. En 2013, un décret finit par officialiser une nomenclature de 300 prénoms sur les 1000 proposés par le HCA appelée ‘‘nomenclature des prénoms amazighs’’. Pourriez-vous nous parler succinctement de votre travail publié en 2006 et de la liste adoptée par les pouvoirs publics ? Le travail que j’ai publié au HCA a été réalisé dès 2002, mais il a fallu près de quatre ans pour qu’il voie le jour. Il s’agissait de recenser des prénoms amazighs attestés, de l’antiquité à nos jours, en compulsant plusieurs documents historiques. J’ai utilisé aussi des sources contemporaines (kabyles, chaouies, amazighes…), j’ai aussi tenté, dans la mesure du possible, de donner la signification des prénoms. Des prénoms que j’ai traités ont été effectivement choisis dans mon recueil, mais beaucoup d’autres prénoms ont été ‘‘ajoutés’’, empruntés à d’autres ouvrages souvent fantaisistes. D’ailleurs, j’en fais la critique dans l’article que vous avez cité et dans mon dernier ouvrage, Dictionnaire des prénoms du Maghreb et du Sahara, paru en 2017. Je vous cite des exemples de prénoms prétendus amazighs mais qui ne le sont pas : Dalan, en usage en Turquie, est repris en Europe, il est proche aussi du prénom anglais Dylan. Dana et Danya sont confondus avec Dana, un diminutif de Daniella, forme féminine de Daniel ; Iliz, «contente, satisfaite», se confond aisément avec Elise, diminutif d’Elizabeth, etc. Bien entendu, on peut toujours chercher des rapprochements avec des mots amazighs : ainsi, Dana est rapproché de adden (couvrir, être couvert) (mozabite), avec le sens «celle qui couvre, la protectrice», Illiz, de llez «tirer satisfaction, accepter son sort, oublier après avoir subi une épreuve» (kabyle)… On se demande, après la réunion des documents, de mon recueil et les autres ouvrages comment le choix des prénoms a été fait et par qui ? La liste «quasi officielle», comme vous le dites, n’a finalement rien réglé. Des prénoms y figurant sont rejetés par les agents. En outre, on constate des difficultés dans l’inscription en arabe des prénoms. Pourquoi ? Quelles sont vos propositions pour y mettre un terme ? Il ne devrait pas y avoir de difficultés à inscrire les prénoms amazighs. La «nomenclature» a d’ailleurs proposé trois graphies pour chaque prénom : une graphie latine usuelle, une graphie latine adoptée par les berbérisants et devenue courante en Algérie pour noter tamazight (en tout cas, c’est la graphie officielle du HCA qui, ne l’oublions pas, est une institution d’Etat), les tifinaghs et la graphie arabe. Pour l’arabe, il ne devrait pas y avoir de difficulté, puisqu’il existe une graphie du tamazight en caractères arabes. Pour la graphie arabe, même des prénoms arabes algériens ne sont pas bien transcrits : ainsi, al Gamri, Bouguerra… en l’absence de g dans l’alphabet arabe se transcrit dj. La solution à ces problèmes de transcription, c’est d’adopter, pour l’arabe, un système de transcription des phonèmes arabes dialectaux et amazighs. Quelle est, selon vous, la solution idéale pour régler la problématique du prénom amazigh en Algérie ? Ne plus adopter une nomenclature de référence ? Les pays voisins, surtout le Maroc, ont-ils trouvé une solution qui serait applicable chez nous ? Après avoir réhabilité tamazight, réhabilitons son onomastique. Si on devait interdire un prénom, c’est parce qu’il peut porter préjudice à celui qui le porte (prénoms immoraux, antinationaux, attirant le dégoût ou le mépris…). Et encore, certains prénoms dits conjuratoires, comme Lessoued ou El Khamedj (Le pourri), sont admis par la tradition. L’idéal, c’est de ne pas imposer de nomenclature, mais pour éviter les excès, l’agent de l’état civil pourrait demander l’origine ou la signification du prénom pour éviter justement le préjudice à la personne. Au Maroc, je sais qu’on a aussi une liste officielle, d’ailleurs publiée par l’intermédiaire de l’Ircam, l’organisme officiel. Là-bas aussi, il y a eu des problèmes dans l’application. 

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