Meriem Tanila a sept mois. Née début janvier à l’hôpital de Annaba, elle est privée de son prénom berbère par la commune de Annaba. En allant retirer son livret de famille, le père de Tanila, Abdelmadjid Labidi, a reçu un refus catégorique de l’agent d’état civil sous prétexte que le prénom «ne figure pas dans le registre algérien». «C’est un prénom chaoui qui signifie colombe», rétorque le père sans réussir à convaincre l’agent. Devant le refus du service d’enregistrer ce prénom, M. Labidi décide d’introduire une requête devant le procureur de la République près le tribunal de Annaba. L’avocat du barreau et membre de la Ligue des droits de l’homme, Kouceila Zerguine, s’est vu notifier un refus au motif que le prénom est «contraire au code de l’état civil, qui stipule que les prénoms doivent être à consonance algérienne», précise la requête dont El Watan détient une copie. Après un recours gracieux auprès du service de l’état civil de l’APC de Annaba, une requête est déposée devant le tribunal administratif contre la commune. Mais là aussi, le tribunal déboute le demandeur. En désespoir de cause, l’avocat a décidé de s’adresser aux rapporteurs spéciaux de l’ONU (Rapporteuse spéciale sur les droits des peuples autochtones, Rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels, etc.) Les cas de refus d’inscription des prénoms berbères ne sont pas rares. Prétexte avancé : la nomenclature officielle n’en fait pas mention. A l’APC de Bir Mourad Raïs (Alger), un père n’a pas pu inscrire son nouveau-né sous le prénom fréquent ces dernières années, celui d’Assalas. «J’ai expliqué à l’agent que le prénom est d’origine berbère et que je connais des gens qui le portent depuis 20 ou 25 ans», raconte-t-il. L’agent, qui n’a rien voulu entendre, a montré au parent une liste où le prénom ne figure pas. «L’agent m’a présenté une photocopie illisible et écornée de prénoms utilisés dans les trois APC de la daïra de Bir Mourad Raïs. Ce qui m’a étonné, c’est que cette liste contient des prénoms à consonance turque que les agents n’hésitent jamais à porter sur les registres, mais pas de prénoms du cru. Le chef de service m’a informé que la seule solution pour moi afin de pouvoir enregistrer mon fils était de déposer une plainte devant le président de l’APC. Ce que je n’ai pas voulu faire», enrage le père qui a fini par retourner à la polyclinique pour changer le prénom en mettant celui de Lounès, porté par le chanteur contestataire kabyle Matoub. Les refus d’inscription des prénoms berbères ne sont pas seulement signalés dans des localités arabophones. A Tizi Ouzou, des parents ont été surpris par les réactions des guichetiers. «Chez nous, on ne refuse jamais les prénoms berbères. Il faut dire que le taux de natalité dans notre commune est très faible : entre 10 à 20 naissances par an», signale le président de l’APC d’Ath Yenni, Smaïl Deghoul. Le jeune président d’APC rappelle les difficultés qu’a rencontrées un parent pour inscrire son fils dans une APC de la wilaya. Dans une question orale au ministre de l’Intérieur en octobre 2015, un député RND, Chabane Belgacem, «interpellé par des citoyens», comme il l’a indiqué à El Watan, a dénoncé «les comportements» de certains chefs de service qui refusent d’inscrire sur les registres d’état civil les noms amazighs, comme Thanina, Kahina. «Il n’y a pas un texte dans la loi qui interdit l’utilisation de ces prénoms. L’interdiction doit concerner uniquement les prénoms portant atteinte à l’ordre public», signale en substance M. Belgacem, qui a demandé au ministre de prendre les mesures qui s’imposent. Note de rappel de Bedoui Le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, a précisé dans sa réponse au député que les cas de refus d’enregistrement des nouveau-nés portant des prénoms amazighs sont «rares». «Il s’agit de deux ou trois cas qui ont été réglés au niveau du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales et à travers les services judiciaires», soutient-il. En matière d’attribution de prénoms, les textes législatifs algériens sont contraignants, précise Mohand-Akli Haddadou, dans une étude (Le prénom amazigh en Algérie, de l’interdiction à un semblant de reconnaissance). Le code civil de 1970 précise : «Les prénoms sont choisis par le père, la mère ou, en leur absence, par le déclarant. Les prénoms doivent être de consonance algérienne ; il peut en être autrement pour les enfants nés de parents appartenant à une confession non musulmane. Sont interdits tous les prénoms autres que ceux consacrés par l’usage ou par la tradition» (art. 64). Le code de 2007 reprend cette contrainte mais en effaçant la mention «consacré par l’usage ou la tradition». Sous Chadli, le décret n°81-26 du 7 mars 1981 établit un lexique national des prénoms. En 2001, le Haut-commissariat à l’amazighité (HCA) a initié dans le cadre d’un consulting confié à Haddadou une nomenclature de prénoms amazighs attestés au cours de l’histoire. Le travail, remis dès 2002, sera publié en 2006, «mais on continuera à interdire des prénoms qui pourtant figurent dans cette nomenclature ‘‘quasi-officielle’’, puisque publiée sous les auspices de la présidence de la République», constate le chercheur Haddadou. Il faudra attendre 2013 pour qu’un décret officialise une liste «nomenclature des prénoms amazighs». Le secrétaire général du HCA s’est félicité de «cette initiative» qui ne l’avait qu’à moitié satisfait : il regrette que sur la liste de 1000 prénoms remise par le HCA, seuls 300 ont été retenus, indique l’auteur (voir entretien avec Haddadou). La mise en place d’une liste unique opposable aux services d’état civil des APC n’a rien réglé : des refus sont annoncés, imputables à des agents zélés. Le ministre de l’Intérieur, M. Bedoui, a estimé que le problème sera réglé par des «directives». «Si de nouveaux cas de refus d’enregistrement de nouveau-nés portant des prénoms amazighs sont signalés, ils seront réglés par de nouvelles directives», indique-t-il, précisant que les «prénoms amazighs des nouveau-nés étaient des prénoms algériens protégés par toutes les lois en vigueur, notamment la Constitution.»
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