mardi 15 août 2017

«On doit mettre un terme aux accusations de trahison»

- Des attaques virulentes sont dirigées contre des héros de la Révolution, vivants ou morts. Les réseaux sociaux sont devenus un défouloir privilégié pour de telles attaques. Pourquoi une telle situation ? Il y a, disons-le d’emblée, une guerre des mémoires entre les Algériens, chacun campant sur ses positions. Ce conflit est nourri par la publication des mémoires sur la guerre. Le contenu de ces témoignages obéit à trois critères : régionalisme, idéologisation et hypertrophie du moi. La situation a pris une tournure grave avec l’arrivée du président Bouteflika au pouvoir en 1999. On se rappelle de la polémique engagée par les déclarations de Ben Bella sur El Jazeera sur Abane et le Congrès de la Soummam. Dans son sillage, Ali Kafi s’est attaqué à Abane dans ses mémoires. Mais on peut remonter plus en avant dans notre histoire pour découvrir de telles attaques abjectes, surtout à la polémique déclenchée par Ben Bella, toujours lui, et Boumediène contre le GPRA. La fausse idée de l’existence de clauses secrètes des Accords d’Evian a été lancée par les adversaires du GPRA pour légitimer leur coup de force et ainsi se maintenir sans encombre au pouvoir. Le régime en place a continué dans sa lancée en effaçant des manuels scolaires l’histoire du nationalisme algérien (ENA, PPA, MTLD) et le leader Messali Hadj. Cette situation est visiblement encouragée en sous-main par des parties qui ciblent les symboles de la nation pour permettre l’émergence d’autres individus. Ce qui devait être juste des mémoires à exploiter par les historiens, est devenu le prétexte à des règlements de comptes qui ont choqué les Algériens, qui prennent connaissance de ces conflits chaque matin en consultant la presse. Maintenant, tout cela a pris une dimension religieuse, puisqu’on attaque les personnages de notre histoire récente sur leurs supposées convictions religieuses. La situation a pris une tournure grave avec les réseaux sociaux. - Les mémoires des acteurs ne sont-elles pas une bonne chose ? Effectivement. Nous constatons que depuis la période post-indépendance, il y a la prépondérance de l’histoire officielle. Dans l’école algérienne, l’enfant apprend à sacraliser certains acteurs de la guerre au détriment d’autres. L’enseignement de l’histoire tel qu’il a été conçu n’a pas permis la critique objective de cette période. Aux apprenants, on n’a pas enseigné que les conflits, les contradictions dans une guerre sont une chose saine et ordinaire. Toutes ces raisons ont fait que quand les Algériens apprennent des choses, parfois horribles sur notre histoire nationale, ils sont extrêmement choqués. Nous avons commis l’erreur suprême de ne pas favoriser l’esprit critique chez l’élève, futur adulte. Il faut en convenir, les décideurs ne veulent pas d’un régime démocratique, puisque les contradictions et les conflits sont résolus d’une manière pacifique et donc démocratique. L’écriture des mémoires par des acteurs de la guerre est essentielle. Mais les mémorialistes ne peuvent jamais remplacer les historiens. - Justement, quel est le rôle des historiens ? Les historiens ont totalement été marginalisés au profit d’un discours clivant. Des journaux ont commencé à «faire œuvre d’historien» avec tous les risques sur la vérité historique. Les conflits idéologiques et identitaires prennent le pas sur le discours raisonné. - Que font dans ce cas-là le ministère des Moudjahidine et l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) ? Le ministère des Moudjahidine est une administration dirigée d’en haut. Le système lui a toujours dicté sa conduite. Et le ministère réagit quand on lui dit de le faire. L’ONM est une organisation de masse, aux mains de ce même système. Le chef de gouvernement, le réformiste Mouloud Hamrouche, avait raison de vouloir démanteler le ministère, qui ne devait servir qu’à prendre en charge les invalides de guerre. Le rôle d’écriture de l’histoire doit incomber aux seuls académiciens - Faut-il une loi Gayssot (*) algérienne pour réprimer ces attaques contre les symboles du pays ? Personnellement, je suis pour la liberté académique dans l’écriture de l’histoire. Il faut par contre éviter d’attiser par un comportement régionaliste ou bigot la guerre des mémoires dont j’ai parlé plus haut. Je dois dire que ce qui s’est passé à Ghardaïa est très grave, car il participe de cette guerre des mémoires. A l’origine, le conflit entre Mozabites et Chaâmba était lié aux accusations sur la participation des uns et des autres à la guerre de Libération. Ma crainte est de voir ce conflit gagner le pays. Le grand danger, pour moi, ce sont surtout ces accusations et contre-accusations de trahison. Cela a commencé avec Abane Ramdane et se poursuit encore. Parfois, la bigoterie s’en mêle. - Que doit-on faire ? On doit impérativement mettre un terme aux accusations de trahison. La loi doit s’appliquer. C’est comme le takfirisme (accusation d’apostasie). Un même traitement doit s’appliquer. Il faut l’apaisement des mémoires. On doit sortir du discours de la haine pour éviter la grande fitna (discorde) qui guette le pays.

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