vendredi 30 mars 2018

Le poulet de la discorde

«L’électronarcose est pratiquée en Algérie.» Cette affirmation a fait l’effet d’une bombe. La raison : cette pratique, qui a pour but l’étourdissement de l’animal avant l’abattage en vue d’inhiber sa perception de la douleur, est très critiquée. En effet, nombreux sont ceux qui ont crié au scandale, jugeant cette pratique «non hallal». La narcose en abattoir, ou étourdissement des animaux, est une étape indispensable précédant la saignée et permettant de maintenir l’animal dans un état d’inconscience jusqu’à sa mort. Cette méthode consiste donc à faire passer les volailles dans un bain électrifié à 12V pour provoquer une dépolarisation du système nerveux central et une désorganisation de l’activité électrique normale. «Je ne m’en serais jamais doutée», avoue Samia, une mère de famille de 43 ans. «Depuis que cette nouvelle s’est répandue, j’ai de plus en plus de mal à acheter du poulet. Le doute s’est installé. Je préfère donc me rabattre sur les viandes rouges. Tant qu’on ne nous dit pas clairement la nature des aliments qu’on consomme, le poulet se fera de plus en plus rare dans nos assiettes», affirme-t-elle. Idem pour Nora, une mère de famille de 51 ans qui se désole : «De manière générale, c’est à l’étranger que je faisais attention à la provenance des aliments que je mangeais. Apparemment, je dois le faire maintenant chez nous.»   Saignée Pourtant, dans un arrêté ministériel datant du 19 mars 2014, la loi autorise cette méthode. Elle stipule : «Pour faciliter l’abattage selon la religion musulmane, l’étourdissement peut être utilisé, à condition qu’il ne cause pas la mort de l’animal.» Pour Zakia Djitli, vétérinaire, cette question reste complexe. «En l’absence d’études scientifiques réalisées chez nous, par nos soins, je préfère opter pour l’égorgement qui est un geste sanitaire qui garantit la saignée complète de l’animal.» La spécialiste avoue  : «Je ne sais pas si égorger l’animal après électronarcose permet d’évacuer le sang complètement.» Critère imposé par la loi du 19 mars 2014 qui stipule que «le saignement doit être spontané et complet. Le temps du saignement doit être suffisant, pour assurer une saignée complète». La vétérinaire explique les deux méthodes : «Quand on égorge l’animal de manière standard, le cerveau émet des signaux au cœur afin que ce dernier pompe le plus de sang possible. Ceci est directement évacué en dehors du corps. Ce qui permet une saignée complète. Pour ce qui est de l’égorgement après électronarcose, je ne peux établir s’il y a activité cérébrale afin d’évacuer le sang est complètement.» De plus, la spécialiste assure qu’on ne peut pas appliquer un paramètre unique à tous les sujets. «Il est vrai que 12V ne tuent pas l’animal. Mais il faut aussi se référer à la capacité individuelle de chaque sujet. S’il ne tue pas certains, il peut provoquer la mort d’autres.» Fatwa Ainsi donc, il se pourrait qu’il y ait des animaux morts avant même d’être égorgés. «Pour vérifier l’état de l’animal, il suffit de pratiquer le réflexe de la pupille. Faut-il encore que la chaîne d’abattage ne soit pas très longue. Malheureusement, on ne peut pas vérifier chaque volaille», explique-t-elle. Mustapha Zebdi, président de l’Association de la protection des consommateurs (APOC) explique : «C’est suite à la publication de cet arrêté en 2014 que nous avons confirmé la présence de cette pratique en Algérie. Nous avions des doutes quant à son utilisation et l’arrêté n’a fait que confirmer nos soupçons.» La nouvelle s’est ensuite propagée comme une traînée de poudre. Ce qui a poussé le Conseil scientifique du ministère des Affaires religieuses de se réunir en 2014 à Ghardaïa afin de prononcer une fatwa. Celle-ci est sans appel. Cette pratique est bannie par la religion. La raison : la limite entre l’étourdissement de l’animal et sa mort est très réduite. Ainsi donc, cette pratique, qui a pour objectif de tranquilliser les volailles et d’inhiber leur sensibilité à la douleur lors de l’abattage, a été interdite par le Conseil scientifique algérien. Et l’Algérie n’est pas un cas à part. Incapacité En effet, selon le Conseil islamique du Fiqh, qui dépend du Congrès islamique mondial, «il est interdit d’utiliser l’électronarcose pré-mortem pour la volaille, car l’expérience a montré qu’elle provoque la mort dans la plupart des cas». De même pour l’Union des savants de la recherche islamique en Egypte qui a «refusé d’accéder à la demande d’associations internationales de protection animale qui souhaitaient que le Conseil accepte l’utilisation de l’électronarcose». N’empêche, depuis 4 ans déjà, cette pratique, pourtant jugée interdite, continue d’être utilisée dans de nombreux abattoirs algériens. Adda Fellahi, l’ex-conseiller du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs, se désole : «Malheureusement, cette polémique est encore d’actualité même après 4 ans. La raison : le non-respect de la fatwa établie par le Conseil scientifique.» Selon lui, cela reflète l’incapacité de l’institution religieuse à s’occuper des questions qui préoccupent les citoyens dans leur vie quotidienne. Par ailleurs, Adda Fellahi estime que le suivi de cette question n’est pas du ressort du ministère des Affaires religieuses. «De plus, comment voulez-vous que le ministère des Affaires religieuses surveille cette affaire, alors qu’il n’est même pas capable de contrôler le discours religieux dispensé dans les mosquées, dans lesquels dominent une tendance salafiste extrémiste», confie-t-il.   Labellisation Ainsi donc, pour Adda Fellahi, «c’est aux autorités locales et au ministère du Commerce précisément de veiller à ce que les techniques d’abattage soient en adéquation avec les fatwa prononcées. Chose qu’il n’a visiblement pas fait. Il se peut qu’il y ait complicité avec les propriétaires d’abattoirs, car il y a toujours une contrepartie à gagner. Mais en même temps, cela ne dispense pas le ministère des Affaires religieuses de la responsabilité de l’avertissement et d’alerte et de notification», explique-t-il. Pour remédier à tout souci de doute, l’idée de la labellisation et le pictogramme, afin de différencier les volailles, a émergé. «Après un dur labeur de 3 ans, nous avons réussi à établir un consensus. Son but : trouver un terrain d’entente avec l’arrêté ministériel afin de ne pas aller à son encontre ou l’amender. Ce travail a été fait en collaboration avec l’Ianor, l’organisme national de normalisation, qui est chargé notamment de veiller à l’élaboration des normes nationales en coordination avec les autres secteurs», explique Mustapha Zebdi. Ce dernier confie qu’une autorité publique est intervenue par la suite afin de stopper tout le processus et remettre les compteurs à zéro. Pour Adda Fellahi, l’étiquetage halal dans les produits algériens n’est pas logique : «La Constitution est tirée de la religion. Cette dernière interdit tout ce qui n’est pas halal. Il est donc anormal de proposer ce pictogramme.»   Rentabilité Mais concrètement, pour quelle raison cette pratique persiste ? «Les conditions industrielles et le rythme de production effréné rend très difficile la mise en place d’alternatives autre que l’électronarcose», assure un vétérinaire. N’empêche, cela peut s’avérer mauvais en commerce. Souhil Meddah, expert financier, explique : «Le passage par un acte de rentabilité économique suppose une limitation significative des coûts et des sources de coûts visibles ou cachés. Le fait de procéder à ce type d’abattage qui est intimement lié à l’esprit spirituel et de croyance des consommateurs expose son auteur à des risques d’endosser des conséquences fâcheuses sur son business par les actions boycottées, par exemple ou d’autres actions similaires, et aussi des sanctions probables. Le fait de miser sur un acte totalement délibéré sans respecter les règles du marché peut provoquer de facto et à tout moment un risque très significatif d’effet de retour de manivelle.»

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