Qu’en est-il de la liberté de culte à Oran ? Les minorités sont-elles respectées ? Les personnes ayant épousé une religion autre que l’Islam peuvent-elles exercer leur culte en toute quiétude ? Il n’est pas une mince affaire de répondre à de telles questions, tant le sujet est alambiqué. A Oran, de l’avis de plusieurs spécialistes, il semblerait que les chrétiens algériens sont divisés en deux catégories : ceux affiliés à l’église catholique, et qui ont le loisir d’exercer pleinement leur culte, et ceux appartenant à l’église méthodiste, ou plus généralement au protestantisme, qui éprouvent, eux, certaines difficultés dans l’exercice de leur foi. Ainsi, Karim S., 47 ans, tenant les rênes de l’église protestante dite l’Oratoire, au centre-ville d’Oran, (celle faisant angle entre la rue Ho Chi Min et le boulevard des Chasseurs), nous parle de la fermeture de 3 églises protestantes le 27 février dernier, respectivement à Oran-centre, Aïn El Bia (commune de Béthioua) et Bouiseville (commune d’Aïn El Turk) . A vrai dire, cette information n’est pas nouvelle, et elle a déjà fait les choux gras de la presse, le début de ce mois de mars. Il faut dire que la fermeture de ces temples a eu lieu le même jour que celles des associations féministes Fard et l’Afepec (pour rappel, ces dernières ont ré-ouvert depuis). L’édifice appelé «l’Oratoire», érigé en 1845, fait office d’église depuis 1915. D’après les dires de Karim S, les autorités sont d’abord allées à l’église de Aïn El Turk, qu’elles ont mise sous-scellés en accusant ses propriétaires «d’imprimer des bibles dans plusieurs langues», ce qui sous-entend qu’ils s’adonneraient à des actions de prosélytisme. «Mais il n’y aucune preuve à cela», argue-t-il. Agrément Après cela, les propriétaires de ladite église ont fait un recours, et ont été reçus par le cabinet du wali d’Oran pour s’insurger contre le motif avancé. «A ce moment-là, dit-il, les autorités nous ont parlé de problèmes d’agréments.» Le mois de décembre qui s’en est suivi, une commission rattachée au ministère des Affaires religieuses, et épaulée par la sûreté de wilaya, s’est rendue au niveau de ces trois églises pour vérifier l’adaptation des lieux, voir s’ils étaient bel et bien conformes à l’exercice du culte. suite à quoi, fin décembre, ladite commission leur a émis une notification, leur donnant un délai de 3 mois pour régulariser leur situation juridique, sans quoi, elle se verra obligée d’actionner la machine répressive, et procéder à leur fermeture. «On nous a demandé de régulariser notre situation juridique alors qu’on avait l’agrément nationale datant du 16 novembre 1974», nous dit Karim en nous faisant part dudit agrément. Et de s’insurger : «On ne peut pas demander l’agrément d’une section locale pour une association nationale», précisant par là que l’église dite l’Oratoire fait partie de l’association nationale des protestants d’Algérie, dont le siège central n’est pas à Oran. «Il est vrai qu’en 2012, avec la nouvelle loi sur les associations, il fallait qu’on s’y conforme. On a déposé un dossier, mais il n’y a eu aucune suite. Même pas un récépissé.» Le même topo a eu lieu à Aïn El Bia, où l’église protestante a été scellée jusqu’à ce jour. «Comme la commission a émis une notification fin décembre nous donnant un délai de 3 mois pour régler notre situation, théoriquement, les autorités ne devaient procéder à la fermeture qu’au mois d’avril prochain. or, elles l’ont fait fin février dernier, sans avancer aucune explication !» Un juriste reconnu sur la place d’Oran, en évoquant ce problème, nous a parlé de la nouvelle loi des associations, celle de 2012, en comparant celle-ci à l’épée de Damoclès. «Cette loi oblige les associations à renouveler leurs agréments, qu’on ne le leur donne pas, cela dit, les autorités les laissent activer, mais fort de cette loi, elles ont le pouvoir, à tout moment, de demander à ces associations d’arrêter leurs activités.» Agrément Enfin, pour avoir une idée plus nette sur cette question, il est utile de se référer à l’ouvrage collectif, paru en 2017 à Casbah éditions, sous la direction d’Issam Toualbi-Thaalibi, qui s’intitule A l’épreuve de la diversité culturelle. Droit société et éducation. Dans un des chapitres qui a pour titre «Les minorités religieuses en droit positif algérien» Zohra Aziadé Zemirli, juriste, doctorante à l’université Paris 1 la Sorbonne, revient sur ce problème : «Même si on ne retrouve aucun recensement officiel de ces minorités religieuses, on retrouve quelques chiffres dans des rapports et articles concernant la liberté de religion en Algérie. Ainsi, selon le rapport de l’US Departement of State de 2013, les estimations officieuses de la communauté chrétienne en Algérie oscilleraient entre 20 000 et 100 000 individus. Il s’agit, bien entendu, d’un chiffre à considérer avec des réserves.» Concernant la communauté protestante en Algérie, elle citera Mustapha Krim, l’ancien président de l’Eglise protestante d’Algérie, rencontré au cours d’un entretien à Béjaïa en juin 2014, qui «avançait le chiffre de 30 000 protestants alors que Mahmoud Haddad, l’actuel président, a préféré éluder la réponse à la question en se contentant d’affirmer que leur nombre allait en grandissant». Et de résumer que «l’église protestante dans le pays ne donne donc aucun chiffre officiel quant à sa présence dans le pays, même si elle évoque plus de 32 lieux de culte». Cela dit, Karim, le représentant de l’église de l’Oratoire, affirme, lui, que l’église protestante recense aujourd’hui non 32 lieux de cultes, mais au moins 45. Evoquant plus loin le régime juridique des minorités religieuses en Algérie, Zohra Aziadé Zemirli écrit : «Le droit individuel au libre exercice du culte semble bien restreint, et la loi de 2012 sur les associations exclut le fait qu’un groupe d’au moins dix personnes non musulmanes puisse se retrouver librement dans un cadre privé pour exercer leur culte. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’article 7 de l’ordonnance de 2006 précise que ‘l’exercice collectif du culte a lieu exclusivement dans des édifices destinés à cet effet, ouvert au public et identifiable de l’extérieur’. Article confirmé par le décret exécutif n°07-135 du 19 mai 2007 dont l’article 2 définit la manifestation religieuse comme étant ‘un rassemblement momentanée de personnes, organisé dans les édifices accessibles au public, par des associations à caractères religieux’.» Dans le même ouvrage, Jean Paul Vesco, l’actuel évêque d’Oran, a également contribué en apportant son témoignage sur l’église catholique à Oran, une église qu’il veut citoyenne et «qui a cœur d’apporter sa part à la vie et à la construction de la société. C’est ce qu’elle s’est efforcée à faire depuis 50 ans en Algérie (…) On ne peut pas vouloir être catholique en Algérie sans aspirer à être pleinement citoyen de ce pays de droit et/ou de cœur».
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