Coup de pied dans la fourmilière ? Le ministre de la Santé bouscule, ces dernières semaines, un secteur diagnostiqué malade. Fermeture d’une vingtaine de cliniques privées dans l’Algérois, abrogation de l’autorisation d’activité complémentaire pour les praticiens, offensives médiatisées contre des services publics défaillants, les actions de Abdelmalek Boudiaf se suivent à une cadence accélérée. Des mesures saluées par les principaux acteurs du secteur.
«Le ministre a pris des décisions régaliennes pour mettre un terme à une confusion qui dure depuis des années», se félicite le Dr Bekkat Berkani, président du conseil national de l’Ordre des médecins. «C’est une décision (fermeture des cliniques privées) salutaire, même si nous ne sommes pas contre les cliniques privées», diagnostique le Dr Lyès Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP). «On attend ces mesures depuis longtemps.
Ce ministre a osé s’attaquer à un problème que certains de ses prédécesseurs ont préféré fuir. Là, il fait face à des lobbys et touche à des centres d’intérêt très puissants», affirme le Dr Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP). Hier, l’information est tombée comme un couperet. Le ministère de la Santé a procédé à la fermeture de 20 établissements de santé privés et adressé plusieurs mises en garde et avertissements à d’autres. «La médecine est une activité qui ne doit pas être exercée comme un commerce.
Il y a la notion de service public et de responsabilité des acteurs, un cahier des charges et des obligations à respecter», précise le Dr Bekkat. La libéralisation brutale et sans garde-fous du marché de la santé, effectuée au début des années 1990, a fait de cette activité complémentaire une hydre qui a nui considérablement au secteur privé. «Rares sont les cliniques qui appliquent réellement la réglementation et le cahier des charges. Si les gérants de ces structures sont des médecins, beaucoup de propriétaires n’ont rien à voir avec la santé. Ils n’assument pas le service public», dénonce le Dr Younsi.
«Il faut mettre de l’ordre dans cette activité, que cela soit pour les cabinets médicaux ou les cliniques. On ne part pas en vacances sans une licence de remplacement, on ne peut pas effectuer des opérations d’extension des spécialités sans autorisation. Où est le sens des responsabilités des praticiens», s’interroge le président de l’Ordre des médecins. L’abrogation de l’autorisation d’activité complémentaire, qui fait suite au gel d’attribution des nouvelles autorisations depuis deux ans, reste la mesure-phare qui fait consensus au sein des acteurs du secteur, y compris, et contrairement aux idées reçues, dans le corps des praticiens.
«On attendait cette mesure depuis une quinzaine d’années.
L’activité complémentaire a cassé le secteur public. Tous les ministres le savent : les détournements de malades, le travail au noir, les lobbys d’intérêt et autres sont les fruits de cette loi», soutient le Dr Yousfi. «C’est une décision que nous réclamons depuis l’époque de Yahia Guidoum, alors ministre de la Santé (fin des années 1990). On avait dénoncé cette loi autorisant l’activité complémentaire. On craignait des répercussions très négatives sur le secteur public. Malheureusement, le temps nous a donné raison», affirme le Dr Merabet.
L’article 4 de la loi 98-09 permettait aux praticiens hospitalo-universitaires de travailler deux après-midi par semaine dans le secteur privé. «Il faut laisser un seul choix au praticien : travailler dans le secteur public ou dans le privé. Mais il y a aussi les infirmiers, les sages-femmes, les chauffeurs et les agents d’administration, eux aussi s’en sont donné à cœur joie dans cette pratique», dénonce le Dr Merabet. «80% du personnel des cliniques privées sont issus du secteur public. Les investisseurs dans ce domaine adoptent la politique du risque zéro. Ils ne mettent de l’argent que dans l’infrastructure et encore, ils le font grâce aux crédits bancaires.
Il ne recrutent que des vacataires, ne les déclarent souvent pas, ne forment pas de personnel et fuient leurs responsabilités. Il y a des royaumes construits dans les cliniques privées», fulmine le Dr Merabet. «Le médecin qui migre fait baisser le niveau des soins dans le service public. Et maintenant que la décision d’abrogation est prise, il faut encore des sanctions contre le médecin réfractaire mais aussi et surtout contre le propriétaire de la clinique», propose le Dr Bekkat.
Un haut conseil de la santé
Pour le Dr Merabet, une autorité autre que le ministère de la Santé qui prendrait en charge les questions liées à l’activité de contrôle et de dispense d’agrément est une condition indispensable. «Un haut conseil de la santé qui soit rattaché à la présidence de la République ou au Premier ministère pour éviter de tomber dans les conflits d’intérêt», prône le Dr Merabet. Mais au-delà de ces mesures, somme toute importantes, le secteur de la santé souffre de défaillances multiples. «On a trop négligé ce secteur de souveraineté en Algérie.
Il faut que la santé soit déclarée priorité politique nationale», recommande encore le Dr Merabet. Pour remettre la santé sur le droit chemin, les acteurs du secteur réclament un conseil de gouvernement consacré exclusivement à la politique de la santé pour mettre en place, en concertation, une feuille de route avec des objectifs et un calendrier clair à court, moyen et long termes. Concernant le projet de la loi qui fait suite aux assises nationales de la santé, le Dr Merabet regrette qu’au niveau pratique, des recommandations importantes ont été laissées de côté. «Il devait y avoir deux commissions, l’une pour l’étude des recommandations et l’autre pour la rédaction du projet de loi.
Or, nous avons été destinataires d’un projet et nous constatons que certains aspects n’ont pas été pris en considération, notamment celui relatif à la carte sanitaire. On n’a commencé à travailler correctement avec cette carte, proposée en janvier 2008, qu’à partir d’octobre 2012. Une autre carte serait une perte de temps et de moyens qui vont encore déstabiliser les citoyens», affirme le président du SNPSP.
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