- La loi de finances complémentaire 2015 prévoit une disposition portant sur la bancarisation des capitaux illicites. Que pensez-vous de cette mesure ?
Le problème qui se pose n’est pas d’ordre de fluidité financière, mais d’ordre réglementaire. A partir du moment où ces capitaux restent en dehors des circuits bancaires, il est difficile de les contrôler en amont et en aval. Donc, il est aussi difficile de contrôler les activités qui génèrent ce genre de capitaux que personne ne voit. En général, une partie de ces activités n’a rien d’illicite.
Le but n’est pas tellement de les fiscaliser dans l’immédiat ou d’alimenter les banques. Le Premier ministre a dit qu’il fallait alimenter l’économie. C’est sa manière de voir les choses. Personnellement, je trouve que tarir la source première de l’informel, qui est son financement en amont, serait déjà une bonne chose.
A propos des fonds informels, encore faudrait-il prouver qu’ils sont d’origine criminelle. Ce n’est pas au détenteur de prouver que ses fonds sont clean. De toute façon, ils ne sont pas clean ! On peut considérer que dans cette sphère-là, tout ce qui a été occulté est délictuel et immoral. Je pense qu’il aurait mieux valu remplacer cette mesure qui exclut les fonds d’origine assez dangereuse par une autre, qui oblige ces fonds à ne plus jamais revenir vers une sphère commerciale intrinsèque.
- L’Etat a-t-il les moyens nécessaires pour drainer les fonds informels vers les banques ?
L’Etat n’a pas ces moyens. S’il les avait, il aurait déjà repéré ces fonds sans qu’ils aient nécessité d’être déposés en banque. Avant de se lancer dans des aventures dont on n’a pas les moyens, il aurait été préférable de récupérer les fonds et de les empêcher de retourner dans la sphère criminelle initiale.
Maintenant, si les individus qui déposent des fonds ont des activités criminelles et qu’il apparaît plus tard qu’ils sont en corrélation avec un crime quelconque lié à l’argent sale, là le problème ne se pose pas et on pourra toujours revenir dessus. Mais on ne peut pas dire de prime abord que nous refusons les fonds d’origine criminelle alors que nous ne pouvons même pas définir la nature de l’argent d’origine criminelle. Il y a deux ans de cela, l’évasion fiscale était criminalisée. Aujourd’hui, elle est traitée en correctionnelle.
Le plus important est que ces dinars puissent circuler dans une sphère positive. Pour ce qui est de l’origine effective de ces fonds, d’autres structures doivent enquêter de manière discrète pour savoir qui est qui. Aujourd’hui, nous n’avons plus les moyens de jouer au pouvoir omnipotent alors qu’on n’a pas pu assumer cette tâche auparavant. Je ne vois pas comment, avec le peu de moyens qu’ils ont, les fonctionnaires mèneraient cette mission. Comme disait Napoléon Bonaparte, quand on n’a pas les moyens de sa politique, on fait la politique de ses moyens.
- La bancarisation des capitaux illicites peut-elle être le prélude à une amnistie fiscale ?
L’amnistie fiscale n’est pas d’actualité. Mis à part la fiscalité ordinaire déclarée qui doit être réglée par les entreprises au 31 décembre 2014, je ne vois pas la rationalité d’une amnistie. Les gens ne l’ont pas contestée et les contentieux sont gérés dans le cadre des procédures ordinaires. D’ailleurs, un échéancier à long terme a été consenti aux entreprises défaillantes qui ne peuvent pas payer leurs impôts.
La plupart des entreprises ont eu droit à un rééchelonnement de leurs dettes fiscales. L’amnistie générale n’est pas possible financièrement et n’est pas morale. Amnistier les revenus, oui ! Mais amnistier des entreprises, non ! Parce que le gros de leur fiscalité a été déclaré et réglé. S’agissant du peu qui reste sur les redressements exceptionnels, si on leur fait bénéficier d’une amnistie, la plupart des entreprises seraient tentées d’attendre la prochaine pour régulariser leur situation. Donc, on aurait un cycle d’effacement de dettes. Si on veut aider les entreprises, il serait préférable de discuter crédit bancaire et effacement des agios.
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