Voilà dix ans que tu nous as quittés, cher camarade ! L’Algérie en larmes, ce jour du 2 août 2005, te célébrait en te rendant un hommage solennel. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement puisque c’est toi qui as su, au pire moment de son histoire, lui montrer un chemin de lumière.
Mais vois-tu, Hachemi, après ta disparition, l’Algérie n’a pas cessé de compter ses morts. Sa terre est jonchée de cadavres et elle a trop de cimetières. Elle saigne encore et aucune de ses régions n’est épargnée par la violence.
Le terrorisme islamiste vient de faire une hécatombe encore une fois en fauchant la vie, le jour même de l’Aïd Esseghir, à 9 soldats dans la région de Aïn Defla. Il ose se mesurer y compris à des objectifs militaires protégés, notamment des casernes comme il vient de le faire à Batna. Serions-nous revenus à la case départ, 24 ans en arrière puisque cette attaque contre une caserne rappelle singulièrement le coup de Guemmar de 1991 dans la wilaya d’El Oued ?
Le M’zab a été frappé aussi au cœur pendant ce mois de juillet. Ghardaïa est infestée de haine et respire la mort. Le fanatisme religieux a obscurci les esprits car une idéologie totalitaire y a allumé le feu de la discorde, exalté les archaïsmes et les particularismes pour instaurer l’apartheid au sein de ses habitants et désigner les cibles à abattre. Les mains scélérates de l’islamisme politique tentent de casser le creuset de la fraternité dans lequel a été forgée l’unité séculaire du M’zab.
Comme le FIS hier et aujourd’hui Daech, le terrorisme islamiste rackette, brûle et décapite. Il détruit les mausolées et les symboles de mémoire pour déposséder l’Algérien de son histoire, annihiler tout lien qui le rattache à sa terre afin de le soumettre à une idéologie qui nie son identité culturelle et lui imposer une pratique exclusive du culte. Tu ne peux imaginer, Hachemi à quel point, le venin distillé par la «rahma», la «concorde civile» et la «réconciliation nationale» a pourri les valeurs morales de la société et perverti ses comportements : Le sentiment d’impunité s’est largement banalisé, l’éthique a disparu et la corruption est devenue une herbe folle qui a ravagé tout le pays. Quel désastre !
On ne luttera contre le régionalisme et le tribalisme, on n’imposera le holà au racisme et à l’intolérance religieuse que le jour où l’on respectera les minorités culturelles et où l’on cessera d’instrumentaliser l’islam à des fins politiques. De tels objectifs ne peuvent être atteints que si l’Algérie s’inscrit résolument dans une perspective moderniste qui focalise sur l’émergence d’une valeur centrale, la citoyenneté, faute de quoi, une Algérie tiraillée par des contradictions est par définition instable et ne pourra pas survivre à des antagonismes aussi violents. C’est pourquoi, une Algérie engluée dans les archaïsmes est appelée à disparaître.
Dans notre déclaration du 12 juillet, nous faisions ressortir que «l’exercice de la citoyenneté est à même de transcender ces particularismes pour les inscrire dans leur pluralité dans une dynamique nationale et consacrer leur richesse dans le cadre de l’Etat moderne. Or le pré requis de la citoyenneté, c’est la démocratie et sans laïcité, il ne saurait y avoir de démocratie ! » En effet, l’expérience a amplement démontré qu’en mélangeant politique et religion, l’islamisme politique a anéanti la part spirituelle de l’homme et avili l’islam. La pluralité n’est pas une hérésie mais une richesse.
Ce qui se joue au M’zab, se joue aussi dans toute l’Algérie. Le même défi, celui du projet de société moderne, se joue en Tunisie, au Liban, en Irak, en Syrie, au Yémen et dans bien d’autres pays de culture musulmane. Les Algériens veulent vivre leur siècle en symbiose avec les nations les plus avancées du monde. Ils n’ont pas à être des sujets mais des êtres doués de raison, c’est-à-dire des citoyens autonomes, armés de sens critique et capables de réfléchir par eux mêmes pour échapper à toute manipulation.
C’est en s’élevant à la conscience citoyenne, que nous serons en mesure de transcender nos différences pour faire société et donner un souffle nouveau à la voilure de l’Algérie. Ce combat, Hachemi, tu l’avais mené de manière implacable en ne succombant pas aux sirènes des islamo conservateurs.
Tous avaient abdiqué. Tous avaient capitulé. Sauf toi, dernière citadelle de la résistance. Tu as résisté héroïquement dans la solitude de tes principes. Tu ne t’es jamais leurré de la chimère de métisser obscurantisme et modernité. Tu ne t’es jamais égaré à vouloir marier l’eau et le feu. Si la lumière sacrée de la fraternité et du combat ne s’est pas éteinte durant la tempête la plus terrible de notre histoire, c’est à toi que nous le devons.
Hachemi, ta perte est incommensurable. Cette Algérie au flanc ouvert, cette Algérie déchirée, en lambeaux, chancelante et blessée par plus de deux décennies de terrorisme islamiste, sortira t-elle un jour victorieuse du combat que lui livrent des traîtres engraissés au wahhabisme de l’Arabie Saoudite et du Qatar ? Le peuple aigri par des décennies de hogra et de gabegie ne trouve pas grâce auprès d’un pouvoir autiste et corrompu.
C’est à peine si l’on entend sa voix dans le vacarme du mépris et de l’arrogance. Il nous faut sauver le pays des serres de l’islamisme politique, de la dictature d’un système obsolète, le défendre contre les narcotrafiquants, contre la canaille du marché informel et les maquignons du koursi. Nous avions vibré ensemble le 11 janvier 1992 croyant que l’Algérie avait ouvert un viatique à l’avenir. Par le coup d’arrêt au processus électoral, un acte salutaire fermait la porte à une boucherie annoncée et la patrie s’élevait au dessus de l’illusion démocratique.
Les initiateurs de ce mouvement ont laissé l’Algérie au milieu du gué et aujourd’hui le risque est grand de voir le pays emporté par les vicissitudes d’un contexte international particulièrement dangereux. Il est grand temps que ce processus interrompu soit parachevé pour ouvrir la voie à une véritable transition républicaine pacifique. Hachemi, tu as été un éclaireur en des temps désaxés, un phare, une patrie, un horizon mais comme le disait un grand poète : «Celui qui aspire à l’inaccessible est plus fort que le destin.»
L’Algérie ne pourra remonter ses retards historiques et guérir de sa grande anémie que si elle livre en synergie un double combat, contre le système rentier et maffieux et l’islamisme politique, donc en s’engageant dans la double rupture comme tu l’aimais à nous le répéter. C’est ce pas de géant que tu voulais faire faire à l’Algérie, c’est de cette révolution copernicienne dont tu rêvais pour l’Algérie.
Ainsi, les grands hommes sont ceux vers qui la postérité lève les yeux avec respect. C’est pourquoi notre mémoire te sera éternellement reconnaissante. Promesse t’est faite que nous serons fidèles à ton combat. Hachemi, tes camarades et ami(e) s déposeront une gerbe de fleurs sur ta tombe ce samedi 1er août 2015 à 11h à Alger, au cimetière de Miramar (Bologhine).
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