samedi 23 janvier 2016

Les avocats parlent de «victimes collatérales d’un règlement de comptes

A la reprise des avocats des plaidoiries, c’est maître Mansour Kisenti, troisième avocat de Chawki Rahal, qui ouvre l’audience et met l’accent sur la carrière «irréprochable» et les compétences «particulières» de l’accusé : «C’est humiliant de traiter de cette manière des cadres de la nation. Ils ont derrière eux 30 à 40 ans d’expérience dans le domaine des hydrocarbures. Ils sont dans le box des accusés au moment où Sonatrach vit une véritable hémorragie de cadres qu’elle a formés au prix fort.» Il revient aux faits en détaillant la procédure d’octroi des marchés d’étude au bureau CAD et de réalisation à Imtech qui, selon lui, a été respectée tout au long du procès. «Quel règlement a-t-il violé», demande l’avocat. Me Kisenti rappelle l’instruction du ministre de l’Energie qui ordonne de poursuivre la procédure liée à la consultation pour la réfection avec deux soumissionnaires, et c’est Imtech qui a été déclarée attributaire. Pour ce qui est des prix, «Rahal n’est pas parti les yeux fermés pour dilapider les deniers publics. Il a fait appel à OHL pour avoir une idée, mais l’étude qu’elle a fournie prévoit des matériaux de moindre qualité que ceux d’Imtech, raison pour laquelle son prix était plus bas. Il a fait appel à une autre société, filiale de Cosider, qui a donné une moyenne de prix qui n’était pas loin que celle d’Imtech. Malgré cela, il a obligé Imtech à consentir un rabais, réduisant le montant de 73 millions d’euros à 64. Il a reçu un mandat pour signer le contrat. Quelle est sa responsabilité pénale ?» Me Kisenti conclut sa plaidoirie en demandant au tribunal de «répondre non à toutes les questions concernant ce fils de chahid». «Ils n’ont fait qu’exécuter les ordres de la hiérarchie» Avocat de Mouloud Aït El Hocine, Mohamed Amine Belabbès revient sur les mêmes faits et indique que la structure chargée du projet de Ghermoul, qui est la SRO (structure responsable de l’opération), est également, dit-il, responsable de la commission d’ouverture des plis. «Aït El Hocine n’a pas de pouvoir décisionnel», déclare l’avocat. Il parle d’une «dissimulation de documents» et précise que Aït El Hocine «ne faisait qu’exécuter les ordres et les instructions de son responsable. Il était le premier à avoir dit que le prix d’Imtech était élevé. Ce qui a poussé le ministre à ordonner la négociation qui a abouti à un rabais de 12%. Il n’a jamais dilapidé mais préservé les deniers publics. Il est toujours cadre supérieur de Sonatrach qui, à ce jour, n’a accepté ni sa démission ni sa demande de mise en disponibilité». Me Belabbès conclut en demandant l’acquittement. Les deux avocats de Mohamed Senhadji, ancien vice-président des activités centrales, Radia Ikdad et Mounis Lakhdari, prennent la parole. Me Ikdad commence par présenter la direction que présidait son mandant, avant d’évoquer l’instruction du ministre sur l’occupation rapide du siège de Ghermoul disant «débrouillez-vous pour ne pas laisser le ministère des Transports prendre le siège». L’instruction, dit-elle, a été confirmée, par le PDG en personne à Mohamed Senhadji. «Il n’a fait qu’exécuter les ordres de sa hiérarchie, comme le stipule le code du travail, d’autant qu’il s’agissait de préserver les biens de la compagnie. La décision qu’il a prise ne viole pas la R15. Finalement, le siège où est-il ? Il est toujours propriété de Sonatrach. S’il avait pris tout le temps pour lancer un avis d’appel d’offres, il aurait perdu le siège. C’est ce que Senhadji vous a dit tout au long du procès.» Abondant dans le même sens, Me Mounis Lakhdari explique que Senhadji, en tant que cadre dirigeant, n’obéit qu’au règlement intérieur, la R15 et la convention collective. Pour lui, l’urgence évoquée pour justifier le recours au gré à gré «doit être bien compris par le juge parce qu’il renvoie à la conviction et à la logique». Il rappelle que tous les témoins «ont déclaré n’avoir pas connu l’accusé et même la responsable de CAD vous a affirmé qu’elle n’a jamais traité avec lui». «le ministre de l’énergie avait plus de poids que celui de la Défense» Me Lakhdari affirme que l’accusé a été entendu par le juge quatre fois en tant que témoin et une seule fois, en tant qu’inculpé, alors qu’il n’a jamais été entendu par la police judiciaire. «Il a répondu aux convocations en toute honnêteté. Il n’avait rien à se reprocher», précise l’avocat, qui demande au tribunal de revenir au contexte de l’époque «où le ministre de l’Energie avait plus de pouvoir que celui de la Défense. Il vendait à 120 dollars le baril de pétrole. Ce n’est pas le ministre d’aujourd’hui où le pétrole est à 28 dollars. Personne ne l’écoute.» A propos de son deuxième client, Mustapha Hassani, Me Lakhdari revient sur «une carrière irréprochable» mais aussi sur le contexte de l’époque où le projet de télésurveillance a été lancé. «Rappelez-vous de l’accident de Skikda, qui a fait des morts. Revenez à 2004 et 2005. Qui était sur le terrain ? Des sociétés de gardiennage, qui peut-être voyaient mal la mise en place de systèmes aussi performants», lance Me Lakhdari. Selon lui, les témoins ont bien révélé que l’attributaire du projet-pilote de Hassi Messaoud était déjà choisi avant même que Hassani ne signe le contrat. «En tant que directeur de la production par intérim, il connaissait l’importance de ces équipements pour la sécurité des installations. Il a assumé ses responsabilités et tous les témoins ont reconnu que c’était lui qui avait exigé des négociations autour de la baisse des prix, qu’il a lui-même engagées en dépit du fait que Contel-Funkwerk avait été déjà attributaire. Il ne s’est pas trompé en vous disant qu’il n’a rien fait d’illégal et qu’il n’a jamais entendu parler des enfants du PDG», déclare Me Lakhdari. Abdelhakim Aïnouz, l’autre avocat de Mustapha Hassani, lui emboîte le pas. «Le procureur général a bien dit dans son réquisitoire que Hassani a été trompé et que la direction générale aurait pu annuler les contrats en évoquant même l’erreur involontaire. Je m’attendais à ce qu’il demande l’acquittement. Il nous a surpris avec sa demande d’une peine d’une année de prison», dit-il. Il insiste sur le fait que Hassani «ne pouvait être au courant de la présence des enfants du PDG dans les statuts de Contel, du fait que le dossier lié au contrat a été contrôlé par d’autres services que le sien». Cinq avocats — Amine Boulenouar, Sadek Chaïb, Abdelmalek Menouar, Fatma Zohra Chenaïf, Abed — sans compter le sixième, Me Brahimi, qui avait plaidé la veille, vont se succéder à la barre pour défendre Nouria Meliani, directrice du bureau d’études CAD. Me Boulenouar estime que «la poursuite doit reposer sur un préjudice, alors que tous ici nous savons que Sonatrach n’a pas subi de préjudice». Il exhibe des documents : une lettre du PDG Abdelhamid Zerguine, datée du 12 janvier 2012, où il affirme que Sonatrach n’a pas subi de préjudice en ce qui concerne le contrat signé avec CAD. «Tout le monde sait maintenant que Sonatrach n’obéit pas au code des marchés publics, mais à la R15, qui, elle, exclut de ses prérogatives les services immatériels dont fait partie l’étude d’architecture. Où est donc l’infraction à la législation des contrats ? Cette affaire a démarré sur du faux. Les réserves de la commission technique sont de pure forme. Meliani s’est plainte aux responsables, en vain. Elle s’est retirée. Le bureau CAD a été le premier à avoir affirmé que les prix d’Imtech étaient très élevés.» Me Boulenouar affirme que l’accusée «aurait pu aligner ses prix sur ceux d’Imtech, mais elle ne l’a pas fait, ce qui prouve sa bonne foi». Pour ce qui est du délit de trafic d’influence, l’avocat déclare que ce fait a été lié à sa relation avec Réda Hemch : «Elle n’a jamais nié qu’il était un ami de sa famille et qu’elle l’a sollicité pour récupérer ses créances non honorées par Sonatrach et qui étaient de plus de 128 millions de dinars». Il rappelle que «la loi 06/01 de la lutte contre la corruption a été inspirée de la convention de Merida signée en 2004 par 149 Etats, dont la version arabe comporte un concept de plus, la dilapidation, qui n’ a pas de définition». Il revient sur les actes de gestion, rappelant les 3000 cadres incarcérés pour des actes de gestion, mais aussi les textes qui ont «permis cette dérive» en disant : «Lorsque la loi n’est pas très explicite, elle ouvre la voie à des dérives. La protection de la société passe par celle des personnes.» «Meliani a fait 20 mois de prison pour la Mercedes et Réda Hemch» Son confrère Sadek Chaïb focalise sur la personne de Mme Meliani, «mariée et mère de trois enfants, la seule femme à avoir été impliquée dans ce dossier. Le juge l’a placée sous contrôle judiciaire avant qu’elle ne sois mise sous mandat de dépôt et incarcérée durant 20 mois dans le cadre de l’affaire Sonatrach 2. Elle est une victime collatérale de cette affaire». Il regrette «l’inexistence» dans le dossier d’une expertise sur l’immeuble de Ghermoul, bâti sur 10 étages d’une superficie de 1100 m2 chacun. Il exhibe le contrat objet de l’affaire et lance : «CAD a soumissionné avec 8 autres bureaux.  Même si la commission d’ouverture des plis avait siégé, elle lui aurait attribué le marché pare qu’il est le seul à avoir respecté toutes les clauses du cahier des charges. Meliani ne savait même pas que la consultation avait été annulée.» Me Chaïb revient sur la plaidoirie de Me Brahimi au cours de laquelle il réclamait la présence de Réda Hemch. «J’ai dit à ma cliente que cette affaire de Hemch est entre les mains du juge de la 9e chambre. C’est l’affaire Sonatrach 2. Si elle parle du dossier, elle sera poursuivie pour divulgation du secret. Elle est restée 20 mois en prison pour cette histoire de Mercedes. Si j’étais présent, je lui aurais dit de demander l’autorisation du juge pour parler de Réda Hemch  parce que l’affaire est frappée du secret de l’instruction», dit-il en remettant un document au tribunal. Celui-ci fait état des demandes du juge de la 9e chambre, des pièces liées aux auditions de Chawki Rahal, Saipem et Meliani Nouria, laquelle audition est liée à Réda Hemch. «Il s’agit justement de cette Mercedes et des deux virements qu’il a reçus. Réda Hemch est poursuivi», dit-il avant que le juge ne l’arrête, en disant qu’il est en train de divulguer des secrets de l’instruction. L’avocat : «C’est important de vous l’expliquer parce que les délits de trafic d’influence, de corruption et de blanchiment d’argent sont en relation avec ces faits. Comment peut-on poursuivre Meliani deux fois pour les mêmes faits ?» Pour sa part, Me Abdelmalek Mnaouer précise que la page 268 de l’arrêt de renvoi «écarte tout lien» entre Réda Hemch et le contrat obtenu par CAD et réaffirme les mêmes arguments avancés par ses prédécesseurs, en s’interrogeant toutefois sur l’absence à ce procès des autres sociétés qui ont bénéficié de marchés de gré à gré, citant au passage le CTC. De son côté, Me Benamar Abed s’attelle à démontrer «la bonne santé» financière du cabinet CAD, mais aussi «les compétences  et le talent» de sa patronne. Pour lui, «il n’y a eu aucun transfert de fonds vers l’étranger et que les biens qu’elle possède sont le fruit de son labeur». Il évoque «un état de très grande fragilisation» de l’accusée qui, aujourd’hui, «est ruinée». Il conclut : «La justice doit comprendre avant de punir (…) Pour abattre un arbre, on a brûlé la forêt. Les arbres, ce sont tous ces accusés. C’est une honte. Osez, Monsieur le président, et faites en sorte que ces gens aient justice !»

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