mercredi 20 janvier 2016

Procès Sonatrach 1 : La partie civile enfonce les accusés

Trois avocats de Sonatrach et deux autres du Trésor public ont tenté, hier, de construire les accusations contre les 19 mis en cause. Tous affirment que la compagnie a subi «un grave préjudice moral et financier». Me Sellini, avocat de Sonatrach, annonce même que le 23 janvier, le tribunal de Milan (Italie) statuera sur la demande de Sonatrach de se constituer partie civile. Le réquisitoire sera prononcé aujourd’hui. Alors qu’aujourd’hui, le procureur général fera son réquisitoire, avant que la défense n’entame les plaidoiries, hier matin, ce sont les avocats de la partie civile qui se sont succédé devant le tribunal criminel d’Alger, où est jugée l’affaire Sonatrach 1. Représentant le Trésor public, maîtres Djamel Oularabi et Mohamed Zouakou vont tenter de défendre leur constitution et de démontrer que les faits ont causé un préjudice à l’Etat. Me Zouakou commence par répondre à ceux qui ont contesté sa constitution en tant que partie civile : «Les 245 000 actions de Sonatrach appartiennent à l’Etat qui reste le seul propriétaire. Toutes les ressources du sous-sol que Sonatrach exploite sont propriété de l’Etat. Cette affaire a causé un préjudice à l’actionnaire principal de la compagnie. Par la force de la loi, l’Etat doit être représenté par l’agent judiciaire du Trésor, dans toutes les actions portées devant l’ordre judiciaire et où il est déclaré créancier ou débiteur.» Sur les faits, il évoque les prix qui, d’après lui, n’ont pas besoin d’une expertise pour être connus : «Nous ne sommes pas devant des faits techniques pour exiger une expertise. Il suffit d’aller sur Google pour obtenir toutes les comparaisons des prix.» Pour l’avocat du Trésor, «il y a eu surfacturation qui a généré un butin, partagé par tous ceux qui y ont participé (...). Ils parlent de la construction d’une usine de caméras en deux ans, est-ce possible ? Je ne le pense pas. Nous sommes devant un mariage de jouissance entre la société allemande et Contel…» A propos du GK3, Me Zouakou parle d’une «hausse terrifiante» des prix, rappelant les propos de l’ex-PDG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, qui disait que «ce gazoduc n’a pas atteint son objectif, puisqu’il alimente à peine la demande locale». Sur le dossier de Ghermoul, l’avocat déclare qu’«il s’agit d’une dépense inutile, de l’argent jeté par la fenêtre (…). A-t-on besoin d’un palais des mille et une nuits ?» Me Oularabi, quant à lui, précise que le PDG de Sonatrach est nommé par un décret présidentiel «qui fait de lui un agent public en vertu de la loi 06/01. Ni Sonatrach ni le Trésor public n’ont besoin de déposer une plainte puisqu’il s’agit de faits de droit commun». «Le géant aux pieds d’argile» Me Oularabi s’étonne que Sonatrach, qu’il qualifie de «géant aux pieds d’argile», puisse avoir une gestion aussi «fragile». Il s’interroge aussi sur les salaires de 30 000 euros perçus par Al Smaïl dans le cadre d’un contrat de consulting, qu’il assimile à de la «corruption» et dénonce le contenu de la R15 qui, selon lui, «contient des défaillances criantes». Pour l’avocat, Funkwerk n’est qu’une Sarl d’à peine une centaine d’actions et d’employés, «comment peut-elle négocier avec Sonatrach qui détient 120 000 actions et emploie plusieurs centaines de milliers de personnes ?» Au nombre de trois, les avocats de Sonatrach — Saïd Abdoun, Djamel Benrabah et Abdelmadjid Sellini — tentent tour à tour de démanteler l’argumentation des accusés, précisant que. Me Abdoun entame sa plaidoirie en affirmant que «Sonatrach n’a jamais dit qu’elle n’a pas subi de préjudice, mais plutôt qu’elle n’a pas pu l’évaluer». Pour lui, tous les contrats, objet de cette affaire, ont été attribués de gré à gré en violation de la réglementation interne de Sonatrach. Il fait le parallèle entre ces marchés et les fonds transférés sur les comptes de Meghaoui El Hachemi et son fils Yazid, Djaafer Al Smaïl et Nouria Meliani. Le dossier de télésurveillance, démarre, dit-il, avec ce rendez-vous décroché par Al Smaïl Djaafer avec le PDG de Sonatrach, par l’intermédiaire du fils de ce dernier, Réda Meziane, en novembre 2004. «Il fait sa présentation avec la société TVI et après il revient avec Funkwerk sous prétexte que la première société voulait le maintenir en tant que sous-traitant. Il obtient un premier contrat de gré à gré d’un montant 1,97 milliard de dinars, puis quatre autres, pour atteindre un montant global de 11 milliards de dinars, soit 110 millions de dollars, grâce à un montage de sociétés où les actionnaires, comme Meghaoui, perçoivent des dividendes de 50 millions de dinars et son fils 4,5 millions de dinars…» Pour ce qui est du GK3 réalisé par Saipem pour 585 millions de dollars, l’avocat précise qu’il aurait fallu l’annuler. La consultation a fait sortir deux offres : Spie Capeg, «qui dit n’avoir pas les capacités» de réaliser le projet, sort avec une offre de 52 milliards de dinars et Saipem 42 milliards de dinars. «N’y a-t-il pas eu entente tacite puisque Spie Capeg se retrouve bizarrement sous-traitant avec Saipem ?» se demande Me Sellini, qui précise que la R15 stipule pourtant que dans le cas où il y a deux soumissionnaires, il faut annuler la consultation. «Pourquoi avoir continué et négocié un rabais de 3%, puis de 12,5% et de 15% que le PDG a lui-même arraché en se mettant face à une petite société d’une centaine d’actions et d’employés ? Le prix du kilomètre linéaire d’un pipe de 48 pouces vous a été donné par l’ex-PDG, Zerguine. En 2009, il ne dépassait pas les 950 000 dollars. Petrojet avait réalisé le GK1 et le GK2 pour 50 000 DA le mètre linéaire pour le lot 1 et 45 000 DA pour le lot 2, alors que le mètre linéaire de Saipem a coûté 120 000 DA.» Les «scandaleuses» déclarations de Saipem L’avocat trouve «scandaleuses» les déclarations de Saipem, Funkwerk et CAD : «Funkwerk dit avoir perdu 5 millions de dollars, Saipem 150 millions de dollars et CAD 110 millions de dinars. Comment peut-on accepter de travailler avec autant de pertes ? La réponse est dans tous ces mouvements de fonds que les commissions rogatoires ont mis en lumière. C’est une opération commanditée contre Sonatrach et son chiffre d’affaires de 62 milliards de dollars.» Lui emboîtant le pas, Me Benrabah estime que «Sonatrach est là en tant que victime. Vous ne pouvez pas imaginer le préjudice que cette appellation d’ ‘‘affaire Sonatrach’’ lui a causé. Qu’on le veuille ou non, la compagnie est la source des revenus des Algériens». L’avocat répond à ses confrères qui évoquaient la nécessité d’une plainte préalable en expliquant : «Nous sommes très loin des actes de gestion. Est-ce que la corruption, le blanchiment d’argent et l’abus de fonction relèvent des actes de gestion ? Nous sommes en présence d’infractions relevant du droit commun. Sonatrach est en droit de se constituer partie civile. Elle l’a fait le 1er mars 2010. Pour ce qui est du préjudice, elle le quantifiera au moment opportun.» Il insiste beaucoup sur le contenu de la R15 dont «l’esprit a été violé». Lui aussi prend comme point de départ du dossier de la télésurveillance «la société Contel, d’un capital de 100 000 DA, dont le patron Al Smaïl Djaafer a pu accéder à Sonatrach grâce au fils du PDG. Il fait la présentation des produits allemands et remercie le PDG pour son accueil dans une lettre qui sera soumise, pour je ne sais quel motif, au comité exécutif. Il obtient une autre présentation à Hassi Messaoud, puis le fils Meziane devient actionnaire et l’affaire dépasse le cadre de la R15». «Les Allemands ne distribuent pas des sommes aussi importantes par charité» Pour le GK3, Me Benrabah reprend les mêmes argumentations que son prédécesseur et s’offusque contre les propos du représentant de Saipem, qui affirmait avoir perdu 150 millions de dollars. Tout comme il s’offusque des propos du même témoin lorsqu’il a déclaré qu’en cas d’annulation du projet, l’Algérie devrait mettre un bouchon au lot 3 du gazoduc. Il conclut en disant que toute cette affaire n’est que celle de faits délictueux qui sont loin d’être des actes de gestion. Me Sellini abonde dans le même sens, relevant que «ceux qui étaient à la tête de Sonatrach ont oublié la période où l’Algérie quémandait des prêts de 10 millions de dollars ; ils ont profité de l’abondance de la rente pétrolière, gaspillant l’argent du peuple, aidant certains à acheter des biens à l’étranger. Le monde regarde l’Algérie parce que Sonatrach, la 11e compagnie pétrolière dans le monde, va mal (…). Comment peut-on dire qu’il n’y a rien dans cette affaire alors qu’en Italie, la justice a poursuivi de hauts responsables dans le cadre de cette même affaire ?» L’avocat revient à Funkwerk, une société d’un capital 50 000 euros, et le groupement Contel avec 10 millions de dinars qui, selon lui, ont fait fusion au mois de mars 2006 pour une durée limitée à 24 mois seulement. Il exhibe le statut du groupement Contel-Funkwerk et affirme que ce groupe a signé un contrat avec Sonatrach le 29 avril 2009 alors qu’il était mort administrativement. «Est-ce normal ? Ce sont des actes prémédités et tous ont des contrats de consulting. Les documents prouvent clairement que les fonds virés sur des comptes privés ailleurs ne sont que le résultat de la corruption, parce que nous ne pensons pas que les Allemands puissent distribuer des sommes aussi importantes par charité.» Me Sellini poursuit son réquisitoire contre les accusés, notamment Mohamed Meziane, El Hachemi Meghaoui et son fils Yazid, Djaafer Al Smaïl et Reda Meziane. Pour lui, le dossier GK3 a causé à Sonatrach un préjudice d’au moins 150 millions de dollars. Il conteste «cette notion d’urgence derrière laquelle se cachent les accusés puisque le projet a mis plus de deux ans pour être réalisé. Le subordonné ne doit pas exécuter un ordre illégal». Il se demande comment une société, Spie Capeg, qui était la plus disante, donc exclue de la consultation, se retrouve sous-traitante de Saipem. «Que Saipem ne nous dise pas que la nature du terrain et le relief peuvent influer sur les prix qui, de l’avis des témoins, sont les mêmes partout. Il y a complicité avérée. Le PDG ne pouvait ignorer que son fils était consultant chez Saipem. Que faisait-il ? Il livrait des informations sur Sonatrach», déclare l’avocat. Et d’ajouter : «Pour 180 km de pipe, Saipem a facturé 585 millions de dollars, soit deux fois et demi le coût du GK1 et du GK2, réalisés par Petrojet. L’écart entre les deux sociétés est de plus 25 milliards de dinars.» Me Sellini s’attaque à l’ancien responsable de Saipem : «Comme il n’avait rien à se reprocher, Tullio Orsi a pris la fuite. Mais il a été rattrapé par la justice italienne et, le 23 janvier, le tribunal de Milan décidera si Sonatrach sera acceptée ou non comme partie civile. Il aurait fallu partager cette affaire en trois dossiers en raison de sa complexité afin d’épargner Sonatrach en évitant de parler du procès Sonatrach.» Pour l’avocat, «connaissant les Italiens qui sont très près de leur argent, il est invraisemblable que Saipem puisse se faire arnaquer». Sur le contrat de Ghermoul, il évoque «un maquillage» du gré à gré par une consultation restreinte. Pour lui, «nous sommes dans une grave affaire de corruption et de dilapidation de deniers publics. Ne dites jamais que nous n’avons pas déposé plainte. Sonatrach demandera la préservation de ses droits au tribunal criminel et réclamera des réparations en temps opportun à tous ceux qui ont recouru à la corruption, accordé des avantages illicites, blanchi des fonds, détourné et abusé de leurs fonctions, qu’ils soient ici ou ailleurs. Je vous demande de rendre justice à tous ces Algériens qui attendent des peines contre tous ceux qui seront reconnus coupables». La plaidoirie de Me Sellini provoque le courroux de la défense qui la qualifie de «réquisitoire». Le président du tribunal met un terme aux échanges de propos acerbes en levant l’audience, après avoir annoncé que le réquisitoire sera prononcé aujourd’hui, au même titre que le début des plaidoiries d’une cinquantaine d’avocats.

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