mardi 24 mai 2016

Balise : La guerre cathodique

Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a réagi hier aux graves dérives qu’a connu le champ audiovisuel ces derniers jours où jamais les règles de l’éthique et de la déontologie n’ont été foulées aux pieds avec une telle charge de nuisance qui met à mal la cohésion nationale. S’exprimant hier à Alger, à l’occasion d’un forum sur la contrefaçon, M. Sellal a établi un diagnostic précis et exhaustif des manquements à la loi relevés au niveau de certaines chaînes de télévision privées accusées d’évasion fiscale, de transfert illicite de capitaux, de manipulation, d’exercer du chantage sur les cadres, de pousser le pays à la fitna. Pour qui a suivi l’actualité de ces derniers jours et le traitement cathodique délirant qu’une chaîne de télévision privée, Ennahar en l’occurrence, a réservé au dossier du rachat d’actifs du groupe de presse El Khabar par l’homme d’affaires Issad Rebrab, l’objet du délit visé par les propos du Premier ministre est aisément identifiable. Cette mise en garde de M. Sellal semble être parvenue à ses destinataires avant l’annonce publique faite hier, si l’on se fie au «cessez-le feu» observé subitement par cette chaîne durant ces dernières 48 heures où le thermomètre est retombé subitement à un niveau qui a dérouté les observateurs. La campagne non-stop orchestrée contre Rebrab, Louisa Hanoune et des journaux (El Watan, El Khabar et Liberté) s’est arrêtée dans le déroulé des programmes de cette télévision comme par enchantement. Dans son intervention, le Premier ministre a promis de sévir contre les chaînes de télévision privées ne disposant pas d’agrément, menaçant de leur faire appliquer la loi en les fermant. Tout comme il a promis de mettre un terme à l’agressivité dont certaines ont fait leur credo, au mépris des règles de l’éthique et de la déontologie. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il est heureux que le gouvernement prenne enfin conscience, même tardivement, qu’il y a aujourd’hui un gros problème avec ces télévisions-snipers après tous les dérapages tolérés et couverts, pour ne pas dire suscités et encouragés par calcul politique, depuis leur création, par les pouvoirs publics. Mais connaissant la nature du système, il ne faudrait pas aller vite en besogne et attendre les actes pour juger les intentions du gouvernement. Car si le Premier ministre venait à joindre l’acte à la parole, ce ne sont pas seulement les chaînes de télévision non agréées – la majorité — qui sont appelées à afficher écran noir dans les prochains jours comme s’y est engagé le Premier ministre, mais aussi d’autres chaines, parmi celles disposant d’un agrément, pointées du doigt par M. Sellal pour des violations graves relevant à la fois du délit de presse et du pénal. Franchira-t-on ce pas ? Reconnaître aujourd’hui l’existence d’espaces de non-droit dans le champ audiovisuel qui n’auraient jamais vu le jour et prospérer sans la complicité des pouvoirs publics qui ont laissé faire n’absout pas le gouvernement de ses responsabilités dans ces dérives qu’il dénonce aujourd’hui. Gageons que la sortie de Sellal n’est pas faite uniquement pour calmer les esprits, pour une «espèce de paix des braves». Et que cet engagement du gouvernement de mettre fin à l’anarchie régnant dans le secteur de l’audiovisuel n’est pas une entourloupe pour fermer, dans la foulée, les deux ou trois chaînes de télévision, dont celle d’El Khabar (KBC TV) qui ne sont pas inféodées au système. Et qui ont survécu à la purge ayant déjà broyé El Watan TV et Atlas TV et recadré d’autres chaînes au ton trop libre au gout du pouvoir. On imagine mal face aux échéances électorales majeures qui attendent le pays et dont on a déjà un avant gout de l’âpreté de la lutte pour la course à la succession, à travers les passes d’armes auxquelles on assiste aujourd’hui, avant la lettre, que le pouvoir se fasse hara kiri en brulant ses vaisseaux. En sacrifiant des supports audiovisuels sur lesquels il mise beaucoup pour se maintenir et se perpétuer. Le cahier des charges auxquels seront soumises prochainement les chaînes de télévision existantes pour leur mise en conformité avec la loi n’est pas une garantie suffisante pour que les agréments ne soient pas délivrés à la tête du client. Comme c’est le cas pour les agréments des partis politiques. C’est juste une couverture légale qui ne vient pas conforter les promesses de l’ouverture du champ audiovisuel, mais pour le verrouiller et mieux le contrôler.      

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