A Akbou, à 60 kilomètres au sud du chef-lieu de wilaya, Béjaïa, dans des camps de réfugiés africains qui ont été érigés sur des terrains vagues, des chantiers désaffectés, ou encore dans d’improbables refuges insalubres, des femmes, des hommes et des bébés, que la guerre ou la sécheresse ont jetés sur les routes de l’exil, s’entassent dans de minuscules tentes ou des cabanes de fortune faites de bouts de tôle, de vieilles planches ou de morceaux de couvertures usées. Une fumée âcre vous prend à la gorge dès l’entrée de la grande voûte métallique plongée dans une épaisse obscurité que les deux lampes suspendues au plafond n’arrivent nullement à dissiper. A l’intérieur, au milieu d’une vingtaine de petites tentes serrées les unes contre les autres, des groupes de femmes et d’enfants sont assis en cercle autour d’un feu de bois alimenté par des planches de coffrage glanées dans des chantiers. La fumée pique les yeux, irrite la gorge et rend la respiration pratiquement impossible. L’air empeste. La visibilité est telle qu’on devine plus qu’on ne voit les silhouettes des gens qui se meuvent dans cet espace confiné et malodorant. Impossible d’évaluer le nombre de personnes qui ont trouvé refuge sous cette voûte abandonnée dont la vocation première n’a jamais été d’abriter des êtres humains. Surtout en aussi grand nombre. Dehors, des adultes pataugent dans la boue alors que des enfants jouent dans les flaques d’eau que la pluie, qui tombe sans discontinuer depuis deux jours, forme sur le sol. Nous sommes à Akbou, à 60 kilomètres au sud du chef-lieu de wilaya, Béjaïa, dans un camp de réfugiés africains. Sur des terrains vagues, des chantiers désaffectés ou bien encore dans d’improbables refuges insalubres, des femmes, des hommes et des bébés que la guerre ou la sécheresse ont jetés sur les routes de l’exil s’entassent dans de minuscules tentes ou des cabanes de fortune assemblées avec des bouts de tôle, de vieilles planches ou des morceaux de couvertures usées. Remontant du Sud et arrivés par vagues successives de leur lointain pays, les réfugiés subsahariens ont improvisé des camps de refuge précaires avec les moyens du bord. Sans aide et sans assistance autres que celles que des citoyens altruistes leur prodiguent. Ces camps sont souvent des univers concentrationnaires indignes d’abriter des êtres humains, des cloaques insalubres, manquant des plus élémentaires conditions de vie, comme l’eau courante ou des toilettes. A Akbou, c’est l’ancienne crèche communale qui est devenue un camp de réfugiés surpeuplé et nauséabond. Ils sont quelques centaines à s’entasser là dans une promiscuité écœurante et étouffante, dans des conditions d’hygiène et de vie révoltantes. Dès l’entrée de ce qui a été un jour un joli camp de base fleuri, une odeur pestilentielle et un immense tas d’ordures accueillent le visiteur qui s’aventure dans ce territoire pour des laissés-pour-compte, en marge de la vie. Des vêtements dégoulinant de pluie sont suspendus un peu partout sur les clôtures et les arbres. Même la petite loge du gardien, à gauche de l’entrée, est squattée par toute une famille tout heureuse de s’entasser là. En cette de fin de journée froide et pluvieuse, des groupes de femmes et d’hommes rentrent y passer la nuit après une journée passée sur les routes à demander l’aumône auprès des passants et des automobilistes. Sous un eucalyptus qui a connu des jours meilleurs, un petit groupe d’hommes est réuni autour d’un mauvais feu qui dégage plus de fumée que de chaleur. Non loin, un autre se restaure dans une grande bassine en plastique de la chorba offerte par un bienfaiteur de passage. Quelques chiens faméliques quémandent des yeux un bout du festin rougeâtre qui finit de se solidifier sous le crachin glacial. Ahmed Brahimi, un homme qui se présente comme un simple citoyen de Kabylie, s’entretient avec un groupe de réfugiés dans de grands éclats de rire. Il semble les connaître depuis longtemps. Touché par le sort de ces réfugiés, il a décidé de leur venir en aide en créant une association de bénévoles et de bienfaiteurs chargés de collecter des aides et des dons à même d’améliorer la vie quotidienne dans les camps où ils ont élu domicile. Ahmed cherche à connaître le nombre des hommes, des femmes et des enfants et à s’enquérir de leurs réels besoins. Pour le moment, ils ont surtout besoin de couvertures, de chaussures, de vêtements et d’ustensiles pour faire la cuisine, mais ils manquent tellement de tout que le moindre don est le bienvenu. «Ce sont nos frères et nous devons arriver à organiser un peu plus de solidarité autour d’eux», dit-il. A Tazmalt, les réfugiés ont pris possession d’une partie d’un terrain vague qui sert de marché pour les marchands de fruits et légumes, en plein centre-ville, en face du siège de la mairie. Ils ont confectionné des cabanes de fortune faites de bric et de broc. Ils sont là depuis un peu plus d’une année, mais les arrivées et les départs sont incessants. Des familles ou des individus viennent, restent quelques jours et repartent au gré des relations familiales, des opportunités qui s’offrent à eux ou des conditions de vie. A l’intérieur de ces minuscules taudis, on se serre comme on peut. A peine quatre mètres carrés pour un groupe, dont le nombre peut varier d’une dizaine à une vingtaine de personnes. On y fait la cuisine sur un feu de bois, on y mange et on y dort serrés comme des sardines. Un véritable exploit. Dehors, dans la vaste cour, les enfants jouent pieds nus dans la boue au milieu des immondices et des flaques d’eau. Slimane, qui parle plus ou moins français, affirme que les citoyens leur ramènent tous les jours de la nourriture et des vêtements. A notre arrivée sur les lieux, un homme était d’ailleurs en train de décharger des cageots de légumes. Slimane pense qu’ils pourraient bien améliorer leurs conditions de vie pour peu qu’on les autorise à travailler : «On veut bien travailler mais c’est interdit par la loi», dit-il. Aboubacar est arrivé du Niger en 2004. A pied, comme tous ses frères, car les gens refusent de les prendre en stop. Lui et son ami sont de Zinder, une localité du sud du Niger. Le dialogue avec les réfugiés n’est pas toujours aisé. Certains ne parlent ni le français ni l’arabe, encore moins l’anglais. C’est à peine s’ils connaissent deux ou trois mots dans l’une ou l’autre langue. Le plus souvent, ils ne maîtrisent que la langue de leur tribu, Haoussa, Wolof ou autre. Dans la ville de Béjaïa, c’est un autre chantier désaffecté dans l’ancienne zone industrielle aujourd’hui grignotée par les promotions immobilières qui sert également de camp pour les réfugiés. Près de 400 personnes ont élu domicile dans des tentes de fortune dans cet immense no man’s land ouvert à tous les vents et battu par toutes les pluies. Le courant électrique est fourni par un seul petit groupe électrogène et l’eau est assurée par une association de bénévoles à raison de deux citernes par jour. Ce sont là les seules commodités offertes. Palalou est le chef désigné du camp. «Nous voulons travailler mais il n’y a pas de travail pour nous», dit-il. Quand il y a des malades ou des femmes qui doivent accoucher, c’est lui qui appelle l’ambulance avec son téléphone pour les évacuer vers l’hôpital. «Nous achetons la nourriture avec notre argent et on cuisine nous-mêmes sur un feu de bois car il n’y a pas de gaz ici», explique-t-il. «Nous n’avons aucun problème avec la police. Les gens ne sont pas racistes envers nous et ils nous apportent tous les jours des aides», précise encore Palalou. Ahmed Brahimi collecte encore une fois tous les renseignements dont il a besoin pour la distribution des aides. Si les pouvoirs publics semblent indifférents et insensibles au sort de ces Subsahariens et ont manqué jusqu’à présent à leur devoir d’aide et d’assistance aux réfugiés, ce n’est heureusement pas le cas de la grande majorité des citoyens algériens. Au coucher du soleil, les hommes et les femmes qui ont fait la manche toute la journée sont de retour. La nuit, la pluie mais aussi un froid glacial les accueillent. Des tentes disposées dans la vaste cour montent des volutes de fumée des braseros de fortune. Malgré des conditions de vie extrêmement précaires, les réfugiés ne se plaignent jamais et gardent le sourire. Nous sommes le 21 décembre et l’hiver ne fait que commencer...
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