Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Abdelkader Zoukh, wali d’Alger, revient sur les travaux de sauvegarde de La Casbah et des sites historiques, la réalisation d’une station métro à 34 mètres sous terre, avec un musée archéologique sur deux étages, mais aussi l’exploitation commerciale des voûtes de la place des Martyr, les Promenades de la baie d’Alger, le parc des Grands Vents… - Ils sont nombreux à penser que vous faites dans le rafistolage et le badigeonnage de façades, et d’autres vous reprochent de puiser dans le budget de la wilaya pour réhabiliter des immeubles appartenant aux privés. Qu’en pensez-vous ? Ce n’est pas vrai. La réhabilitation se fait de manière professionnelle. Vous n’avez qu’à voir les immeubles réhabilités. Ces chantiers sont de véritables écoles. Des techniciens supérieurs en réhabilitation, vont sortir incessamment des centres de formation professionnelle, après trois années d’études, pour intégrer les chantiers et encadrer les techniciens en réhabilitation, formés également dans les mêmes centres. Nous avons aussi signé avec l’Epau (Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme) des contrats de soutien. En fait, nous voulons que ces chantiers soient de véritables écoles pour nos jeunes. Donc, ce n’est pas du tout des opérations de rafistolage. Lorsque ces jeunes entrent dans un bâtiment, ils commencent par traiter les parties communes, à savoir les terrasses et les caves, une fois les familles qui y vivaient sont relogées. Ils entament les travaux de réhabilitation de la terrasse, l’ascenseur, des cages d’escalier avant d’arriver aux façades et souvent à l’intérieur même des appartements. En ce qui concerne le volet financier, il faut savoir que la taxe sur l’habitat, imposée à tous les citoyens, contribue quelque peu à cette opération de réhabilitation. En 2017, elle a permis la récupération de 500 millions de dinars. A un certain moment, cette taxe n’était pas généralisée. Elle ne nous rapportait que 200 millions de dinars. Elle a été augmentée en 2015, ce qui nous a permis de collecter 500 millions de dinars durant les deux dernières années. Il faudra, peut-être, penser à une autre hausse, mais progressive, afin qu’elle puisse permettre l’entretien du parc immobilier, après sa réhabilitation. C’est la proposition que j’ai présentée au ministre des Finances. - Pourquoi ne pas mettre en place des administrateurs immobiliers et imposer des charges d’entretien aux résidents, obliger le propriétaire à mener les travaux de réhabilitation, comme cela existe dans tous les pays du monde ? Vous connaissez très bien la situation qui est assez particulière dans la capitale. Quand je suis venu à Alger en janvier 2014, j’ai reçu un ambassadeur d’un pays arabe qui m’avait dit : «N’avez-vous pas d’argent pour repeindre vos immeubles ?» Cette phrase a été pour moi comme un coup de massue sur la tête. J’ai passé une nuit blanche. Malheureusement, il avait raison de poser cette question. En fait, il m’avait bousculé et poussé à prendre en charge cette réhabilitation, devenue un problème de principe. Nous n’avons pas le droit de laisser ce patrimoine, qui appartient à tous les Algériens, sombrer dans la dégradation. Et puis, il n’y a pas que les façades. Il y a un arrêté sur l’installation de paraboles collectives, et dès que le signal sera donné, toutes les assiettes qui enlaidissent les immeubles seront enlevées. Les climatiseurs aussi doivent être bien aménagés. Mais nous ne pouvons pas tout faire sans l’implication de tout le monde, notamment les médias et les intellectuels, qui ont un rôle important à jouer en matière de sensibilisation. Je vous cite, par exemple, le problème du pain qui m’inquiète vraiment. Savez-vous qu’à Alger, Netcom et Extranet ramassent, chaque semaine, 10 tonnes de pain. Cela sans compter la quantité collectée auprès des restaurants, des cantines et ailleurs, par les éleveurs pour en faire un aliment de bétail. L’Algérie importe le meilleur blé au prix fort, qu’elle revend à un prix moindre, en raison du soutien aux produits de première nécessité. Je déplore vraiment ce gaspillage. - Cette réhabilitation a quand même un coût... L’opération n’est pas encore achevée. Pour l’instant, le budget qui lui a été consacré est de 41 milliards de dinars. Elle ne concerne pas uniquement le centre-ville, mais l’ensemble des 57 communes de la wilaya. Il s’agit aussi bien du vieux bâti que des cités et des ensembles datant des années 1970. Le recensement nous a permis d’identifier 14 767 immeubles, avec 184 583 logements. La première tranche des travaux concerne 3908 immeubles, avec 53 122 logements, parmi lesquels, 1622 immeubles ont été réhabilités. Quelque 83 bureaux d’études et 314 entreprises de réalisation prennent part à cette opération, qui permet la création de plus de 9000 emplois, encadrés par 280 architectes et ingénieurs et 300 techniciens supérieurs. Nous avons commencé par les grands axes, et dès qu’on terminera, on passera aux artères secondaires. Par exemple à Alger-Centre, dès la fin de la réhabilitation des immeubles des grandes artères, nous sommes passés aux petites ruelles, dont la rue Tanger, que tous les Algérois connaissent et apprécient beaucoup. Dans le plan stratégique, cette phase des travaux est celle de l’embellissement, à travers l’enfouissement des câbles, la réfection aussi bien des trottoirs que de la chaussée, l’ouverture des espaces verts et l’aménagement des routes. Il faut savoir aussi que 2343 paraboles collectives ont été installées en remplacement des 25 676 assiettes accrochées anarchiquement sur les balcons. Sur les 580 ascenseurs en panne que nous avons recensés, 220 sont en cours de réparation, alors que 35 sont déjà fonctionnels. Le plan prévoit également 40 projets de route, soit pour les élargir, doubler ou installer des échangeurs. - Justement, Alger étouffe en raison de la circulation automobile, responsable en grande partie de la pollution, mais aussi de l’insuffisance criante en moyens de transport public et en parkings. Comment allez-vous régler ces problèmes stressants pour les Algérois ? Les travaux de route, que je viens de citer, préparent le terrain à la société mixte algéro-espagnole, chargée de la reconfiguration du plan de circulation et l’installation des feux tricolores. Nous agissons sur plusieurs axes, dont le premier est d’élargir les routes, les doubler et de réaliser des échangeurs, lorsque cela est nécessaire, mais aussi des parkings. Nous allons recevoir incessamment le parking d’El Biar, celui de Kouba et deux autres à Sidi M’hamed, sans compter ceux qui existent déjà. Nous avons également donné une douzaine d’autres parkings aux promoteurs aussi bien publics que privés, qui en raison du manque de foncier, peuvent construire en sous-terrain. Maintenant pour le transport, c’est vrai qu’il y a un retard. Mais vous avez les stations de métro de la place des Martyrs et de Gué de Constantine qui ouvriront bientôt et les travaux pour rallier le centre de Bab El Oued ainsi que Baraki continuent. Ils n’ont pas été gelés. Il y a aussi le train électrique et moderne Zéralda-Agha, le tramway qui arrive jusqu’au Café Chergui, sans oublier le renforcement du parc de l’Etusa (Entreprise de transport urbain et suburbain d’Alger). - Une grande partie du quartier de La Casbah est en train de disparaître vue l’absence de politique de préservation de ce site historique, classé patrimoine mondiale. Y a-t-il une place, pour la restauration de ce qui reste, dans le plan d’action des projets structurants de la capitale ? La Casbah prend une grande place dans ce projet. Cela répond à la politique globale du plan de sauvegarde de La Casbah, adopté en 2012, et qui touche 1816 bâtisses, reparties sur une assiette de 105 hectares. Parmi elles, près d’un millier sont des demeures de type traditionnel ottoman, ou mixte. Une enveloppe de 24 milliards de dinars a été dégagée pour la mise en œuvre de ce plan d’action, dont la première tranche concerne 212 bâtisses, mosquées et palais, ainsi que les maisons historiques, mais également 192 habitations privées, qui ont été choisies pour leur vétusté et le fait qu’elles ne sont pas occupées par leurs propriétaires. Vers la fin de 2016, nous avons lancé les travaux de restauration de la mosquée du Dey, des bains des Janissaires et de la Poudrière, de la mosquée El Barrani, avec ses deux dépendances mitoyennes à la citadelle, le palais des Beys, et le palais Hassan Pacha. Il en est de même pour la restauration du palais du Dey, qui a démarré en juillet dernier, après qu’elle ait été confiée à l’entreprise algérienne qui a restauré le palais El Mechouar de Tlemcen. Cette opération est menée par des entreprises et des bureaux d’études algériens. Il faut noter aussi la restauration qui concerne 6 bâtisses historiques, où se cachaient les héros de la Guerre de Libération nationale. Parallèlement, des entreprises sont en train de restaurer le réseau d’assainissement sans creuser. Pour le reste des 112 bâtisses à restaurer, des avis d’appel d’offres, pour les études, ont été lancés concernant 33 lots, dont 7 composés de 4 mosquées et 3 lots de bâtisses privées ont déjà été confiés. En ce qui concerne la station musée du métro, il faut préciser qu’avant les découvertes archéologiques, elle devait être réalisée sur une profondeur de 12 mètres. Mais vu l’importance des résultats des fouilles et des découvertes, tout a été changé. La décision a été prise de faire une extension et de descendre à 34 mètres de profondeur pour réaliser une station métro, avec un musée archéologique à deux étages. Le projet a été mené grâce à la coopération algéro-turque. - Vous venez de lancer un projet d’exploitation commerciale des voûtes de la place du 1er Mai, qui appartenaient, à l’origine, à l’entreprise portuaire d’Alger. Qu’en est-il au juste ? La propriété de ce patrimoine a été transférée à la wilaya par l’Etat. Dans le cadre des grands projets structurants de la capitale, j’ai demandé au Premier ministre, qu’ils soient affectés en concession à des privés. Vous savez que certaines ont leurs propriétaires, et le reste n’est pas exploité depuis des années. Elles constituent une superficie de 2 hectares. Nous sommes en train de préparer la station musée de métro de la place des Martyrs. Dans quelques jours, nous enlèveront la clôture et vous verrez des espaces verts et des jets d’eau. Il faut savoir que la restauration de la mosquée Ketchaoua a été faite par une entreprise turque, grâce à un don, qui n’a pas été épuisé totalement. La société turque en question va utiliser le reste pour aménager tout ce site archéologique de manière à ce que ce soit un musée à ciel ouvert, tout en étant protégé. Vous aurez un centre historique magnifique avec Dar Al Hamra, la mosquée Betchim et la mosquée Ketchaoua. Ce centre aura un lien direct avec les voûtes, qui vont servir de centre commercial moderne ouvert sous la mer, à travers un accès direct tout en ayant un prolongement dans l’histoire à travers la vieille ville. C’est une partie du plan stratégique d’Alger. Le groupe Faderco a présenté une offre technique très intéressante. - Mais ce groupe n’est pas spécialisé dans les grandes surfaces. Comment va-t-il réaliser le projet ? Financièrement, le groupe est très solide. Il a obtenu les voûtes en concession. Il a présenté une étude technique très intéressante, réalisée par un grand bureau d’études français et qui s’est inspiré de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Le travail illustre parfaitement le rôle que l’on veut donner à cet espace, dédié aux loisirs, mais aussi à la culture et à l’histoire. Ce projet fait partie du projet de plan d’aménagement de la baie d’Alger, qui s’inscrit dans la stratégie de redéploiement des activités portuaires et de requalification des espaces du port, de l’esprit d’ouvrir la vie des Algérois à la mer et de reconquérir des espaces pour y implanter de nouvelles activités. Il est important de savoir que la mise en activité du mégaport d’El Hamdania, à Cherchell, mettra fin à l’accès des navires de marchandises au port d’Alger. Un programme de terrasses du port dédié aux activités de loisirs, telles que les commerces et espaces de restauration ouverts ou semi-ouverts, qui offrent de nombreuses liaisons transversales entre la Promenade de bord à quai, le boulevard urbain et les accès à la place des Martyrs. L’aménagement des Sablettes sur 4,5 km constitue d’ailleurs une partie du projet de la Promenade de la baie d’Alger. Un autre pôle de loisir est aussi l’aménagement du parc Des Grands Vents, à l’ouest de la capitale, qui s’étend sur 1059 hectares et passe par 5 communes, Dély Ibrahim, El Achour, Ouled Fayet, Draria et Baba Hassan. Il a été intégré dans la carte de la structure écologique fondamentale dans la zone verte de loisirs et de production, qui a pour but la valorisation et la sauvegarde des grands systèmes naturels. Il constitue la bulle d’oxygène des Algérois, où des milliers d’oliviers et autres arbres sont plantés, où les citoyens peuvent profiter de l’air pur, de la quiétude, mais aussi trouver des sentiers pédestres et cyclables, des structures à usage récréatif et de loisirs, des restaurants, des cafétérias, mais aussi de multiples jets d’eau et des lacs artificiels. Pour rentabiliser les structures, il y aura peut-être des commerces ou des activités payantes à l’intérieur. C’est pour vous dire qu’Alger est aujourd’hui un immense chantier, qui a du chemin à faire avant d’être terminer. Les prémices sont déjà là, à travers la Promenade des Sablettes, la Marina qui se trouve à côté et qui commence à émerger, le port, la place des Martyrs et prochainement les voûtes. Désormais les Algérois ne tourneront plus le dos à la mer…
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