Le remboursement des antibiotiques par la CNAS semble avoir atteint un niveau ahurissant ces dernières années. Qu’en est-il réellement ? Effectivement, la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS) a remboursé, en 2016, 18 milliards de dinars de traitement d’antibiotiques, soit 57 747 172 boîtes, dont 768 spécialités commerciales délivrées en pharmacie. Ce qui représente 10% de la facture du remboursement des médicaments estimée à 180 milliards de dinars pour la même année. La molécule la plus remboursée dans cette classe thérapeutique est la pénicilline, avec 350 marques commerciales, suivie de céphalosporines (112 marques) et les macrolides et synergistine avec 98 marques commerciales, d’autres antibiotiques et antibactériens sont également portés sur la liste. L’Amoxicilline est la molécule qui se taille la part du lion avec 15 millions de boîtes, suivie de très près de l’Amoxicilline/acide clavulanique (Augmentin) (10 885 355 boîtes). Des chiffres qui illustrent parfaitement le mésusage et la sur-utilisation de ces médicaments dont l’indication est souvent injustifiée. Ces deux molécules sont souvent prescrites pour des infections virales, des mycoses, etc. Ce qui constitue les coûts directs de cette surconsommation aux effets néfastes sur la santé, en l’occurrence l’antibiorésistance. La problématique de l’antibiorésistance se pose avec insistance dans le monde et en Algérie. Quel est votre point de vue en tant que directeur du contrôle ? Il s’agit d’une problématique à multiples facteurs, qui cause énormément de dégâts en matière de santé, d’une part, notamment l’échec des traitements de certaines maladies infectieuses qui entraînent des hospitalisations et les décès, et l’augmentation de la facture du remboursement par la CNAS, d’autre part. Selon les chiffres de l’OMS, 700 000 décès ont été enregistrés dans le monde en 2016 suite à la résistance des bactéries aux antibiotiques, dont 25 000 en Europe. J’ai signalé plus haut que la problématique est multifactorielle, elle représente un réel danger pour la santé. D’abord, il faut préciser que cela est lié au fait que les mesures de prévention sont souvent négligées par les praticiens et les malades, que ce soit en milieu hospitalier, concernant les conditions d’hygiène et le lavage des mains. A cela s’ajoute la surconsommation de façon non médicalisée de ces médicaments. Ils sont prescrits sans preuve d’infections bactériennes. Il y aussi le recours excessif à ces produits à large spectre alors que l’infection bactérienne n’est pas confirmée, le non-respect de la durée du traitement par le malade et le médecin, le non-respect de la posologie qui est normalement de trois prises par jour, au lieu de deux. Tous ces éléments sont justement responsables de cette antibiorésistante tant redoutée. Ce qui va engendrer des coûts indirects très lourds, notamment à travers la prescription de nouvelles molécules onéreuses, des hospitalisations répétées de malades, des examens d’exploration supplémentaires (scanner, radiologie, bilan biologique, etc.) et certains nécessiteraient des appareillages en cas d’ amputation. Cela pourrait avoir aussi un impact sur le travail avec les arrêts maladie parfois de longue durée. L’automédication n’est-elle pas également un facteur qui complique davantage cette antibiorésistance ? Effectivement. Nous sommes aujourd’hui confrontés à ce problème. Nous assistons à un phénomène sociétal. De nombreux malades se font servir des médicaments sans prescription médicale, puis ils déposent des ordonnances de régulation. De nombreux cas ont été constatés au niveau de nos caisses. Mais il faut dire que la responsabilité du pharmacien d’officine est entièrement engagée. La loi est pourtant claire concernant la dispensation de certains médicaments, notamment les antibiotiques. L’automédication est très dangereuse, car elle peut fausser le diagnostic et même compliquer la maladie, surtout dans le cas d’association d’antibiotiques antagonistes incompatibles, alors qu’un seul suffit. C’est tout cela qui a fait que la facture a explosé pour atteindre, en 2016, 18 milliards de dinars, soit 10% de la facture de remboursement de toutes les classes thérapeutiques confondues. Ces chiffres ne représentent que la CNAS, sans compter les dépenses de la Casnos et celles de l’automédication. Quelles sont justement les mesures prises par la CNAS pour réduire ces dépenses ? De nombreuses actions ont été entreprises effectivement afin de sensibiliser les médecins et les pharmaciens. D’abord, nous avons renforcé le contrôle médical a priori et a posteriori pour faire appliquer les dispositions réglementaires, notamment pour certaines molécules soumises à des conditions particulières de remboursement, afin d’éviter le mauvais usage de ces médicaments. Certaines d’entre elles ne sont remboursées que pour des indications bien précises, d’autres sont soumises au tarif de référence ou bien à une prescription uniquement hospitalière. Par ailleurs, dans le volet sensibilisation des médecins, des fiches de renseignement sont envoyées par lettre confraternelle, portant des explications sur certaines prescriptions, en l’occurrence celles frappées de conditions particulières de remboursement établies par le comité de remboursement des médicaments où siègent les différents ministères et des experts cliniques. Nous comptons beaucoup sur l’implication de tous les acteurs, dont le médecin prescripteur et le pharmacien, pour réduire cette surconsommation, qui n’apporte parfois aucun bénéfice, et protéger les malades algériens de cette antibiorésistance qui risque d’être fatale. D’ailleurs, des spécialistes en la matière ne cessent d’avertir que si on continue à ce rythme, dans quelques années la résistance aux antimicrobiens causera plus de décès que le cancer.
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