Militant infatigable et homme politique intrépide, Khaled Tazaghart ne cesse de faire parler de lui à l’Assemblée populaire nationale (APN). Député du Front El Moustakbal (avenir, en français), il crée l’événement avec ses interventions crues à l’intérieur de l’hémicycle. Vous faites le buzz, ces derniers jours, avec vos interventions en tamazight à l’Assemblée populaire nationale (APN). Pourquoi avoir fait ce choix ? Le choix de faire mes discours en tamazight à l’APN est naturel. Il découle de mon parcours de militant du MCB (Mouvement culturel berbère), mais aussi de ma conviction profonde que les choses doivent bouger dans le sens de l’histoire pour que les gouvernants de notre pays décident de cheminer vers l’algérianité. Tamazight est notre langue ancestrale. Elle est la langue de cette terre, de ce peuple qui a défié Rome et tous les envahisseurs qui ont osé s’attaquer à sa souveraineté. Elle est la langue nationale et officielle, après un combat sans relâche de plusieurs générations de militants. Personnellement, je ne crois pas aux demi-mesures, aux décisions non assumées. J’assume entièrement mes engagements politiques. J’assume mes devoirs de citoyen. Je demande au pouvoir de faire de même. Manœuvrer et manipuler pour laisser traîner les choses en l’état afin de voir tamazight mourir à petit feu est criminel. Nous n’allons pas nous laisser faire. Si nous, les Amazighs, hésitons à faire nos discours dans notre langue, qui le fera à notre place. Je suis certain que tous les Algériens me comprennent profondément, car nous sommes tous des Amazighs et parlons tous la même langue, celle du cœur, de la liberté et de l’amour de la patrie. Votre dernière intervention sur la langue amazighe a suscité des réactions étranges de certains membres de votre ancien parti, le FFS, qui sont allés jusqu’à vous accuser de racisme. Qu’avez-vous défendu dans cette intervention ? Qu’est-ce qui justifie, selon vous, cette attitude de vos anciens «camarades» ? Ils sont arrivés jusqu’à demander au pouvoir de me déchoir de mon immunité parlementaire pour «propos racistes», qui sont une menace pour le pays ! C’est vraiment étrange, comme vous le dites, venant de responsables d’un parti comme le FFS ! Des centaines de milliers d’Algériens ont visionné mon intervention, j’ai dit tout haut ce que mes compatriotes pensent tout bas. J’ai dit les vérités telles qu’elles sont. Oui, nous sommes quotidiennement et violemment agressés par la terminologie «baathiste» du pouvoir. Oui, nous sommes bel et bien des Amazighs, des Algériens et non pas des Yéménites ou des Saoudiens ! Personne ne peut affirmer le contraire. Nous ne sommes pas des Occidentaux, mais nous ne sommes pas des Orientaux non plus. Nous sommes une race unique et nous le resterons, comme disait Abane Ramdane, auquel je rends un grand hommage à l’occasion du 60e anniversaire de son assassinat (27 décembre 1957). Nous sommes, nous-mêmes, avec notre substrat «amazigh», enrichis par toutes les réalités de notre identité nationale plurielle. Depuis l’indépendance, le pouvoir a travaillé à façonner l’opinion publique avec l’arabisme le plus extrémiste, ce qui a produit une terrible crise identitaire qui menace le pays dans ses fondements. Je ne pense pas que ces réactions viennent du parti FFS, mais d’un groupe qui n’a pas de liens forts avec la philosophie du Front des forces socialistes historique de 1963 et de Dda El Hocine Aït Ahmed, auquel je rends un hommage très appuyé à l’occasion du deuxième anniversaire de son décès. Ceci dit, je pense que le pays a besoin de tous les partis politiques, des partis capables d’encadrer la société et de faire échec à toutes les manœuvres et manipulations d’où qu’elles viennent. Personnellement, je ne fais pas trop attention à ce genre de procédé qui relève plus de la «haine maladive» qui engendre la cécité politique, la régression et l’agression, que d’autre chose. Vous venez de lancer un appel sur Facebook pour décréter le Nouvel An berbère comme fête nationale. Que comptez-vous faire pour que cette demande aboutisse ? C’est une revendication classique du mouvement amazigh, qui prend toute sa signification aujourd’hui que tamazight est langue nationale et officielle, en vertu de l’article 04 de la Constitution de 2016. Tous les Algériens fêtent cette journée. Dans ce sens, Yennayer est l’un des fondements de notre unité identitaire et culturelle algérienne. C’est un moment de vie et de communion avec l’histoire que nous partageons avec tous les peuples de l’Afrique du Nord, de l’Egypte aux îles Canaries. D’ailleurs, des intellectuels algériens, de toutes les régions du pays, viennent de lancer un appel pour faire de Yennayer une fête nationale. Il y a un consensus qui se dessine pour donner à cette fête la place qu’elle mérite dans les textes officiels de notre pays. Je suis, en ce moment, en train de travailler à rapprocher les visions de mes camarades députés de tous les partis politiques et de toutes les régions pour saisir le président de la République afin de promulguer un décret présidentiel consacrant le premier jour de l’An amazigh «Amenzu n’ Yennayer», comme «journée fériée et fête nationale» à célébrer au même titre que toutes les autres fêtes nationales et officielles. L’Algérie a tout à gagner à renforcer sa cohésion culturelle indispensable à son unité. Cette décision attendue par tous les Algériens va certainement redonner confiance et réconcilier les populations avec leurs institutions et la nation avec l’Etat. Au début de l’actuelle session du Parlement, vous avez adressé, en compagnie des députés de votre parti et ceux du RCD, une lettre au Premier ministre concernant le blocage des projets du groupe Cevital à Béjaïa. Y a-t-il eu une réaction de la part du premier responsable du gouvernement ? Malheureusement, il n’y a eu aucune réponse à notre demande d’intervention adressée au Premier ministre. C’est un silence coupable et complice sur une politique de deux poids deux mesures contre la wilaya de Béjaïa et la région de Kabylie. Le Premier ministre doit réagir vite et de manière ferme pour débloquer les projets de Cevital et rendre sa place à ce groupe, qui fait la fierté de notre pays à l’étranger. Je rappelle à M. Ouyahia qu’il s’agit là du plus grand investisseur d’Afrique. Son silence ne fera que renforcer les tenants de l’embrasement et aggraver le sentiment de régionalisme et de favoritisme économique. Il est important de rappeler que la question centrale dans ce conflit est la liberté d’investir et de décharger des équipements régulièrement payés par Cevital. Au moment où le directeur général de l’Entreprise portuaire de Béjaïa (EPB), Djelloul Achour, multiplie les blocages des équipements et activités du groupe Cevital à Béjaïa, le port de Djendjen (wilaya de Jijel) décharge les équipements de trituration du groupe Kouninef — à qui je souhaite prospérité et réussite —, destinés pour son usine qui se trouve à l’intérieur même de ce port. Ainsi, Ahmed Ouyahia est plus que jamais interpellé. Son silence risque d’envenimer une situation déjà très compliquée. Les militants de la cause amazighe appellent les autorités à promulguer la loi organique portant promotion de tamazight. Pourquoi les députés n’agissent-ils pas pour faire une proposition de loi ? La mise en œuvre de la reconnaissance constitutionnelle de tamazight comme langue officielle est plus qu’urgente. La loi organique, telle que stipulée par l’article 04 de la Constitution, doit être promulguée impérativement. En tant que député du Front El Moustakbal, présidé par Belaïd Abdelaziz, j’ai entamé des consultations qui seront les plus larges possible pour arriver à un accord de principe avec les autres députés de tous les groupes parlementaires sur cette question. Ce n’est ni utile ni politiquement profitable d’agir individuellement, ou dans la précipitation. La responsabilité, qui est la nôtre, nous impose de réunir toutes les conditions permettant à tamazight d’avancer concrètement d’une manière irréversible.
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