«Dans la nuit noire, tôt ou tard va briller un espoir et germer la victoire», disait Françoise Hardy. Qui aurait pu croire à l’aboutissement du combat amazigh du vivant de beaucoup de ses militants ? Ce combat qu’ils ont hérité de leurs aînés lâchement assassinés, Benay Ouali, M’barek Aït Menguellet, Amar Aït Hamouda et de ceux que la mort a fauchés avec la rage de l’injustice et du reniement au cœur des Khelifati Mohand Amokrane, Ali Laïmeche,Taous Amrouche, Bessaoud Mohand Arab, et j’en passe. Oui, qui pourrait croire que sous le règne de ce même Président — qui a déclaré d’un air arrogant et menaçant que tamazight ne sera jamais officielle — celle-ci serait introduite dans la Constitution en tant que langue nationale et officielle et que Yennayer serait déclaré fête nationale, chômée et payée pour tous les Algériens. Dans ces moments, c’est un vers du grand poète tunisien Abou El Kacem Chebbi qui me vient à l’esprit : «Si un peuple décide de vivre, le destin est contraint de répondre et de se soumettre.» Non, je ne suis pas venu ici pour remercier et applaudir ce pouvoir qui a assassiné de sang-froid 127 Kabyles à la fleur de l’âge, qui a emprisonné et torturé dans ses geôles les meilleurs enfants de cette patrie et qui viole l’enceinte des universités pour déloger et arrêter ceux qui refusent d’être autres qu’eux-mêmes. Ce pouvoir qui a exilé ceux qui ont donné leur jeunesse et sacrifié leurs familles pour cette patrie, notamment Hocine Aït Ahmed et Yaha Si El Hafid. Je suis ici pour saluer et m’incliner devant nos enfants, ces collégiens, ces lycéens et ces étudiants qui ont envahi la rue ces derniers jours pour exprimer leur ras-le-bol sur la négation et le mépris de leur identité et de leur langue maternelle. Ces jeunes qui ont fait sursauter les décideurs qui croyaient que le peuple est acquis en lui greffant l’arabisme et l’islamisme négationnistes. Toutes mes pensées vont vers les élèves du primaire à l’université qui ont boycotté durant l’année scolaire 1994/95 l’école qui a refusé leur langue, leur culture et leur identité. Je viens ici pour m’agenouiller avec respect devant les tombes de ces braves jeunes qui avaient fait face aux balles assassines des gendarmes, qui restent à ce jour impunis, et pour saluer leurs mères qui ont lancé des youyous en mettant la chair de leur chair sous terre et leurs pères sans pairs qui sont restés courageux et fiers devant le désastre et l’amer. Je suis ici pour exprimer mon respect et mon admiration aux militants des années de terreur et de plomb qui étaient à l’origine du Printemps berbère en avril 1980, notamment Mouloud Mammeri et les 24 détenus qui étaient le symbole de cette héroïque lutte. Ces valeureux hommes qui ont éveillé les consciences et enraciné le combat amazigh dans les générations futures. Je ne suis pas venu ici pour rendre grâce à ce pouvoir qui a dérobé notre indépendance et qui a troqué l’authentique identité de toutes nos régions contre celle de l’Orient et la langue de nos mères et de nos pères contre celle du lointain désert et qui nous a fait payer notre refus très cher, mais pour verser des larmes de joie et de peine. Des pleurs de joie pour l’aboutissement du combat des valeureux hommes depuis la crise berbériste à ce jour et les larmes de peine pour la souffrance de ces militants qui n’ont pas pu assister à l’aboutissement de leur combat. Je suis venu pour m’incliner devant la mémoire de ceux qui nous ont quittés et souhaiter longue vie à ceux qui sont encore de ce bas monde qui étaient à l’origine du Mouvement culturel berbère (MCB), cette braise qui était la source du noble combat démocratique et identitaire qui s’est étendu à toute la Tamazgha (l’Afrique du Nord). Je suis ici pour rendre un vibrant hommage à cette glorieuse Kabylie qui a fait face à l’oppresseur colonial et à celui de l’indépendance. Comment cette région rebelle ne peut-elle pas être à l’avant-garde des justes luttes, car c’est bien elle qui a payé le plus grand tribut durant la Révolution en sacrifiant ses meilleurs enfants, dont Amirouche, le lion du Djurdjura, Abane, l’architecte de la Guerre de Libération, Krim, le signataire des Accords d’Evian et tant d’autres. Cette Kabylie qui a fait face aux putschistes Ben Bella et Boumediène sous l’égide du FFS avec ses valeureux hommes et ses 453 martyrs. Cette Kabylie qui a engendré des artistes que Kateb Yacine appelait «les maquisards de la chanson», particulièrement Ferhat Mehenni qui ne chantait pas pour faire vibrer les corps, mais pour réveiller l’esprit qui dort. Matoub Lounès qui a fait de tamazight le combat de son existence, jusqu’à ce qu’il le paye de sa vie, et d’autres tels que Atmani, Sliman Azem, Mohya, Aït Menguellet, Idir, Brahim Izeri, Malika Domrane, Sadoui Salah, Aït Messelayen, Farid Ali… Non, je ne remercie guère le pouvoir d’avoir reconnu ma langue comme nationale et officielle, car je ne l’ai importée ni de l’Occident ni du Levant pour le supplier et le remercier. Mais je l’accuse de tous les crimes moraux et physiques commis contre cette authentique langue. Je ne le remercie point d’avoir déclaré Yennayer fête nationale chômée et payée, car nos enfants l’ont toujours fêté et ils n’ont jamais attendu son accord pour déserter l’école afin de le célébrer. C’est plutôt à lui de demander pardon d’avoir falsifié l’histoire et d’avoir plongé toute une région dans le noir. Je suis heureux de cette décision, mais je ne suis ni dupe ni naïf devant ce pouvoir qui vous caresse d’une main et vous déchire les tripes de l’autre ; sinon, comment le même jour de cette reconnaissance Bouaziz Aït Chebib est convoqué au commissariat, est-ce avec ces agissements malsains et répressifs qu’on apaise les esprits et qu’on montre sa bonne foi envers les militants de cette cause ? Ce que nous pouvons tirer de cet événement, c’est qu’autant que puisse durer la nuit, le jour finit par apparaître et quels que soient la brutalité, la violence, le mépris, l’injustice… des tyrans, la volonté du peuple aboutit toujours même dans la douleur, le sang et les larmes, mais tous les despotes sont de mauvais élèves et continuent dans l’arbitraire et l’injustice. Malheureusement, beaucoup des victimes qui ont subi cette tyrannie ne sont plus parmi nous et ils n’ont pas vu le fruit de leur long combat. Je pense particulièrement à Mohand Ouharoun, L’Ahcen Bahbouh, Mustapha Bacha, Ahcen Taleb, Saïd El Hadj Djilali, Mahdi Siyam, Ramdan Amazigh, Achour le Berbère, Nabila Djahnin, Tahar Oussedik, Tahar Djaout, Saïd Boukhari et à beaucoup d’autres. Je m’incline encore une fois devant les âmes de ces êtres chers jusqu’à toucher la terre, cette terre de nos mères qui couvre les corps de ces valeureux frères. Compagnons de combat ! Reposez en paix, mais surveillez-nous de près pour ne pas baisser les bras devant ces oppresseurs, persécuteurs et brimeurs qui sèment la haine, la discorde, la frayeur et la peur. Citoyens, restons vigilants ! Un proverbe kabyle dit : «Le serpent ne fait pas de bisous.» Par Ali Aït Djoudi Militant de la cause amazighe
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