Les prix du bois ne cessent d’augmenter. L’interdiction d’importation de certains produits à base de bois n’a pas eu l’effet escompté sur la crise. Les menuisiers tirent la sonnette d’alarme et avouent leur incapacité à poursuivre leurs projets avec les prix actuels. Le ministère du Commerce, lui, affirme qu’il n’existe aucune spéculation et assure que la situation n’est que temporaire. «L’Algérie n’est pas un pays producteur du bois. Il est complètement dépendant de l’importation et des prix de ce matériau à l’international», explique un cadre du ministère du Commerce. 38 pays de par le monde sont sollicités annuellement par l’Algérie. Parmi ceux-ci, on trouve la Tunisie et la Turquie, les pays asiatiques dont la Corée du Nord, la Chine, Singapour et l’Indonésie ; ceux du monde arabe à l’image du Liban, les pays européens, notamment la Finlande qui la plus sollicitée par nos importateurs, les pays d’Amérique latine comme le Brésil, ou ceux du continent africain comme la Côte d’ivoire, le République démocratique du Congo, le Nigeria ou le Cameroun. Mais seules les importations provenant des pays européens, où le bois est franchisé, sont exemptées des taxes douanières et de la TVA dont la première s’élève, selon le même cadre, à 15% et la deuxième à 19%. Quant à celles issues des autres pays hors union européen, elles sont toutes soumises à cette règle commerciale. En 2017, l’Algérie, pays complètement dépendant en la matière, a importé, soit avant l’instauration du système des licences en janvier 2017, plus de 730 000 tonnes de bois. 202 000 tonnes ont été orientées vers la fabrication des meubles. Mais depuis l’instauration de ce système, qui aurait pour objectif de réguler le marché, selon le ministère du Commerce, plus de 90 millions de dollars seulement ont été déboursées. Pour la tutelle, cette quantité reste «insuffisante» car il faut, selon elle, importer encore plus de 210 millions de dollars pour contenter le marché. Mais en attendant, les professionnels du bois, «asphyxiés» par les prix, affirment qu’«ils n’en peuvent plus». Ceux interrogés sur le sujet tirent la sonnette d’alarme et qualifient les prix du bois d’«exorbitants». Certains ont même annoncé «l’arrêt momentané» de leurs projets, et ce, jusqu’à la stabilisation des prix et le retour à la normale de cette situation qui les inquiète, si bien évidemment cette dernière est possible ! Garage Rencontré dans son atelier à Alger où il tient un projet de décoration artistique d’une nouvelle boîte de nuit, Hamma, originaire de Oued Rhiou, de la wilaya de Relizane, qui a l’habitude d’acheter sa matière première de sa région natale, compare la nouvelle grille des prix du bois à celle d’il y a quelques mois : «Une planche (15cm de largeur /2.7cm d’épaisseur, ndlr) qui se vendait à 220 da le mètre est aujourd’hui à 400 Da. Celle de15cm/3.8cm qui était de 310 Da et aujourd’hui à 590 Da. Le madrier que j’achetais avant à 370 Da le mètre coûte aujourd’hui1050 da voir même jusqu’à 1350 Da. Le Bastaing qui se vendait à 380 Da est aujourd’hui à près de 1000 Da. Le contreplaqué (1,22 m/ 2.22m) est de 1100 Da au lieu de 550 Da. Quant au bois Multiplis qui était à 2000 Da, il est à 4000 Da aujourd’hui et j’en passe. Même la fourniture a doublé de prix. Trop, c’est trop !», s’indigne-t-il. Hamma n’est pas seul dans son projet de menuiserie car il est associé à son ami de Oued Rhiou. Si Hamma assure que son business va pour le mieux, celui de son associé, établi encore à Relizane où il tient lui aussi une menuiserie, va de mal en pis. «Je connais beaucoup de menuisiers qui ont vendu leur matériel. Certains ont changé de métier, tandis que d’autres ont carrément quitté le pays. Prochainement, ce sera certainement le tour de mon associé qui ne tardera pas à fermer les portes de son garage. Mais le pire est qu’il n’aura pas de quoi rembourser l’Etat, car c’est grâce à l’Ansej qu’il a obtenu son matériel, contrairement à moi qui ai investi dans le mien. Comment va-t-il faire ?» s’interroge Hamma. Sud Si beaucoup ont déclaré faillite, comment Hamma a-t-il réussi à tenir n? «Si mes projets dans la capitale marchent encore, c’est parce que je ne travaille qu’avec les personnes aisées qui sont les seules à pouvoir se permettre du vrai bois. Sinon, je vous assure que les pauvres et ceux de la classe moyenne, si cette dernière existe encore, ils ne peuvent même pas se permettre de la contrefaçon. Comment veux-tu qu’un journalier m’achète une porte en bois rouge à 33 000 da ? Son prix est peut-être l’équivalent de son salaire ! Les pauvres préfèrent acheter une porte de très mauvaise qualité et à bon prix ou une porte d’occasion. Donc, ils ne font plus appel aux menuisiers. Si on disait que le bois rouge était celui des pauvres, il demeure néanmoins inaccessible depuis quelques mois car il vaut désormais plus que l’or.» Hamma n’est pas le seul à s’indigner et à exprimer son désarroi sur le sujet. Joints par téléphone, d’autres menuisiers exerçant par exemple dans la wilaya de Bouira pour ce qui est du centre-nord du pays ou les wilayas du sud où les prix sont encore plus chers, compte tenu des frais de transport que les vendeurs répercutent sur le prix du bois vivent la même situation. Les seules questions qu’ils se posent : «Cette situation va-t-elle se rétablir ? Le marché du bois connaîtra-t-il le même sort que celui des véhicules dont les prix ont doublé depuis la ‘‘clanisation’’ de ce marché ?» Absence A la mi-août dernier, le ministre de Commerce a délivré 16 nouvelles licences d’importation de bois, tous genres confondus (rouge, blanc et hêtre). Aujourd’hui, 164 importateurs disposent de ce privilège qui est désormais la seule clé pour pouvoir importer du bois en Algérie. Ces derniers sont, depuis, les seuls maîtres à bord et détiennent à eux seuls l’exclusivité. Sont-ils les responsables de cette augmentation que contestent Hamma et les autres menuisiers ? Le chargé du commerce extérieur au ministère de Commerce, Abderrahmane Benhazil, dément et assure que «ce problème, s’il existe, n’est que temporaire car la situation va vite se régler dès la mise en marche du plan d’importation du bois de 2018 (voir l’interview)». Du côté de l’Est du pays, Lazhar, entrepreneur et menuisier à Batna, confie qu’il vit lui aussi la même situation. C’est lui-même qui fabrique et qui fournit en portes et fenêtres ses différents chantiers, notamment dans sa wilaya. Joint par téléphone, Lazhar déplore les prix du bois en Algérie et regrette l’absence d’une production nationale qui contribuera, selon lui, à la baisse des prix qui deviennent de plus en plus insupportables pour les entrepreneurs du domaine. Il explique qu’il a arrêté son récent chantier où le devis initial arrêté était de 15 millions de dinars de peur de travailler à perte. «Je perdrai trois millions de Da de plus si je réalise mon chantier avec les prix actuels. J’attends donc une hypothétique baisse des prix même si je reste pessimiste car au fond, je sais qu’il sera difficile de changer quoique ce soit devant le monopole exercé par certains importateurs. Les prix ne font qu’augmenter en Algérie», regrette-t-il. Libéralisation Avant l’augmentation des prix, Lazhar posait ses portes avec toute la fourniture qui va avec à 12 000 Da. Aujourd’hui, il avoue que le travail coûtera désormais 18 000 Da. Alors que certains pensaient voir les prix à la baisse depuis l’annonce de l’interdiction d’importation de certains produits d’importation par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, il s’est avéré selon Lazhar que c’est tout le contraire qui s’est passé. Pour rappel, plusieurs produits finis, dont les tables et les chaises fabriqués à base de bois, ont été interdits, selon la liste de près de 1000 produits annoncée par la gouvernement. «Les prix ont augmenté, notamment depuis la récente déclaration de l’interdiction des importations. Et cela n’a pas encouragé les menuisiers à travailler plus. Ce sont ceux qui avaient des stocks qui ont directement augmenté les prix. C’est de la pure spéculation au vu et au su de l’Etat et non autre chose», s’emporte-t-il. Et d’ajouter : «Nous sommes démobilisés. Pourquoi ne pas fabriquer avec du bois algérien afin d’avoir des prix abordables. Ceux qui détiennent l’exclusivité sont comme ceux qui la leur donnent. Ils préfèrent maintenir l’importation à des prix exorbitants et se partager les gains. Ils n’ont aucun scrupule pour le pays, ne parlons même pas des entrepreneurs locaux. Les importateurs sont des suceurs de sang. Ils font comme ils veulent. De plus, ils n’importent même pas de la bonne qualité.» Pour Hamma, il n’y pas de doute, l’importation est derrière l’augmentation des prix. Mais comme Lazhar, il n’appelle pas à la libéralisation du marché mais à l’encouragement de la production nationale, qui est la seule solution qui permettra, selon nos deux menuisiers, d’en finir avec cette crise des prix inabordables. Sauf qu’il n’existe pas de production nationale pour l’instant, vu que l’Algérie ne dispose pas d’une abondance en matière de bois, comme nous l’a indiqué le cadre du ministère du Commerce.
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