lundi 29 janvier 2018

Repère : Vivre, quitte à en mourir !

C’est une véritable tragédie humaine qui se déroule sur nos plages où gisent les corps sans vie des «harraga» rejetés par les eaux, alors que d’autres ont disparu à jamais «avalés» par la mer. Elle choque l’opinion au plus haut point et trouble la conscience nationale. Elle est révélatrice d’un désarroi total. Le phénomène des harraga, qui a redoublé d’intensité depuis quelques mois, rappelle si besoin est l’ampleur de l’échec national, poussant ainsi la jeunesse à fuir son pays au péril de sa vie. Le triomphalisme béat des décideurs politiques ne peut résister à la désespérante réalité qui ne cesse de contaminer les familles algériennes. Détresse et frustration sociales, l’ennui au quotidien, horizons bouchés, chômage, dignité malmenée, mépris et humiliation politique sont autant de raisons qui incitent à partir. Aux yeux de beaucoup d’Algériens, c’est la seule perspective qui vaille. Non pas parce qu’ils partent joyeusement à la conquête de l’Eldorado occidental, mais parce qu’ils ne veulent plus d’un pays qui déchante, sans idéal, qui n’offre plus de rêve collectif ni ne permet pas de se réaliser individuellement. Un pays fermé politiquement, appauvri économique et disloqué socialement. Ils fuient une situation qu’ils estiment «invivable». Même ceux qui restent, ils ont la tête ailleurs. Ils veulent vivre quitte à en mourir. Refusant d’assumer leurs responsabilités, notamment celle de leur échec, ceux qui président aux destinées de la nation sont totalement aveuglés par le souci de se maintenir aux affaires. Incapables de discernement, gagnés par la paranoïa, les détenteurs du pouvoir politique vivent sur une autre planète, complètement hors sol. Sinon comment mesurer les propos du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui se demande «pourquoi les jeunes quittent leur pays». Même le drame des harraga et celui de leurs parents ne leur fait pas prendre conscience de l’insupportable mal-être national. Mais en réalité, ils savent bien que tout va mal. Même leurs propres enfants préfèrent d’autres cieux plus cléments. Sauf qu’eux sont des migrants de luxe, confortablement installés dans les capitales occidentales. Cependant, les détenteurs du pouvoir politique ne veulent pas admettre cette cruelle réalité sinon cela reviendrait à reconnaître leur échec, individuel en tant que responsables et collectif en tant que pouvoir. La réalité nationale est sombre, elle n’a pas besoin de «professionnels de la politique» pour la noircir davantage, comme accuse le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa. Les partis politiques de l’opposition, les médias, les acteurs sociaux, les chercheurs et même les rapports des différents services de sécurité ne font que restituer des faits, exprimer des inquiétudes et souvent proposer des voies de salut. Que proposent Mohamed Aïssa et le gouvernement auquel il appartient sinon la répression, l’austérité et l’arrogance politique. Ce faisant, ils aggravent la crise et la rendent inextricable. Le recours excessif aux fatwas des prédicateurs pour décréter haram (illicite) le phénomène de la harga, empruntant au FIS dissous son lexique excommunicateur, illustre de manière éclatante l’irrationnel dans lequel s’est installé le gouvernement. D’évidence, ni les méthodes alarmistes et répressives du gouvernement encore moins les délirantes fatwas d’inspiration salafiste ne vont stopper la fuite générale. Les Algériens ont besoin de vivre heureux et dignement dans leur pays. Ils ont toute la légitimité à aspirer à une existence sociale sûre, sereine et de ne pas s’inquiéter de l’avenir de leurs enfants. Tout comme ils ont l’absolu droit à jouir de toutes les libertés sans distinction. C’est un devoir de l’Etat que de les garantir et de les protéger. Autrement dit, il faut faire tout le contraire de ce qui s’est fait jusqu’à maintenant en termes de choix globaux pour le pays. Il faut réinventer le pays et réenchanter le monde algérien. Ils sont nombreux les Algériens à s’inquiéter de leur présent comme de leur avenir immédiat. Le climat d’incertitudes dominant fait craindre le pire. Les décideurs politiques sont loin de pouvoir rassurer alors que le pays donne l’impression de s’être adossé au vide. Le phénomène de harga ajouté aux multiples maux qui rongent la société algérienne est la résultante d’une impasse totale, d’un échec historique.     

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