Medecins résidents, paramédicaux, commerçants, étudiants, personnel naviguant... Tous ont (ou vont) observé des mouvements de greves cette semaine, plongeant le pays dans une situation de malaise. Aicha à 66 ans. Son médecin traitant lui a prescrit un bilan général à faire. Pour son examen ophtalmologique, elle prend rendez vous, pour le 23 janvier 2018, au niveau du centre de santé Mohamed Bouchnafa d’Alger. Le jour J, la dame se présente. Manque de chance, ca coïncide avec un jour de la grève cyclique entamée par les médecins résidents. Son rendez vous est reporté au 02 janvier 2019, soit une année plus tard. Aicha en colère confie : «Je ne vois pas pourquoi je devrais payer le prix de cette grève. Le citoyen est toujours le premier perdant. C’est lui qui subit les dommages collatéraux. Qui me dit que je serai encore en vie d’ici un an !». Depuis novembre dernier, les médecins résidents ont entamé une grève nationale cyclique de deux jours par semaine, au niveau de tous les centres hospitaliers. Et cette grève n’est pas sans conséquences. De nombreux patients se sont retrouvés avec des rendez vous reportés ou carrément annulés. Mais finalement, quels sont les dommages collatéraux de cette grève sur le secteur de la santé ? Pour Lyes Merabet, Président du SNPSP, le secteur est déjà dans une situation de sinistre profond, incapable de s’émanciper de la pesanteur d’une gestion réformiste qui manque de visibilité et qui le prépare à la privatisation. «Des années durant, des responsables se sont succédés et n’ont fait que mettre un pansement sur un pied gangréné», se désole-t-il. Côté désagréments, la grève en engendre pas mal. Lyes Merabet assure : «Des perturbations à tous les niveaux de l’organisation de l’offre de soins sont constatés et c’est le but recherché. Sa forme et sa durée dépend aussi de la réaction des pouvoirs publics et du niveau de prise en charge de la plate forme objet du litige. Une situation qui n’est jamais facile à gérer car on doit tous veiller à ne pas mettre en péril la santé et la vie des malades». Santé De son côté, le Syndicat algérien des paramédicaux (SAP) a entamé une grève nationale cyclique qui s’est déroulé les 8 et 9 janvier dernier avant de la poursuivre la semaine suivante, durant trois jours. Cette grève qui se poursuit jusqu’à présent, intervient suite au préavis fixé par le Syndicat algérien des paramédicaux à la tutelle pour répondre aux différentes revendications de l’ensemble des catégories du paramédical. Selon un communiqué publié par le SAP, il a également été question d’insister sur celles liées au parcours professionnel des infirmiers. Suite à la non-satisfaction de leurs exigences, les paramédicaux ont décidé de poursuivre leur action. De leur côté, les paramédicaux de Bejaïa, semblent déterminés à poursuivre leur action. En effet, selon le secrétaire général du SAP à Béjaïa, et Rachid Messaoudi, membre du bureau national chargé de l’information et de la communication du même syndicat, le conflit opposant la corporation paramédicale à son ministère de tutelle se corse davantage, les revendications n’étant pas encore prises en charge. Et les grèves ne concernent pas uniquement le secteur de la santé. Air Algérie En effet, le personnel naviguant de la compagnie nationale Air Algérie a déclenché une grève sans préavis dimanche dernier, provoquant l’annulation des vols depuis et vers l’aéroport d’Alger. Résultat : des centaines de passagers bloqués. la greve ayant été suspendue quelques jours, le personnel navigant commercial de la compagnie nationale Air Algérie a entamé une nouvelle fois sa greve hier. Cette nouvelle action, a engendré des perturbations sur tout les vols domestiques et internationaux au niveau de l’aéroport d’Alger Houari Boumediène. Selon des sources proches du personnel navigant commercial, ce mouvement de grève a été déclenché par solidarité avec leurs collègues concernés par les sanctions prises par la direction générale de la compagnie pour incitation à une grève «illégale». En termes de perte, la compagnie en a enregistré pas mal. Entre les pénalités de retard, remboursements des passagers, la note du parking qui augmente, les avions étant restées coulées au sol…l’addition s’avère salée. «Actuellement, on ne peut pas avancer un chiffre précis», assure Mounia Bertouche, chargée de communication d’Air Algérie. Pour l’expert financier Souhil Meddah, il est difficile d’évaluer une incidence financière directe, car les secteurs qui sont concernés par des effets financiers microéconomiques restent les entités commerciales telles que dans l’aviation qui sont lourdement pénalisées d’une façon directe par les couts d’exploitation qui comprennent le stationnement des avions, les couts sur les programmes des vols domestiques ou extérieurs, et aussi les indemnisations, les prises en charges des clients.. etc. «Mais dans ce cas par exemple, malgré que les couts de gestion seront automatiquement touchées, l’influence commerciale en général reste d’ordre temporaire ou passager, car elle s’éteindra quelques heures après la fin de la grève du fait que le risque de grève existe chez toutes les compagnies au monde», explique-t-il. Enseignement supérieur L’expert tient aussi à préciser que l’effet direct commence dans le secteur microéconomique en diminuant les produits et en élargissant les écarts entre produits et charges. Concernant les grèves enregistrées dans le secteur du service public, l’incidence n’est pas perçue directement. Selon l’expert, elles ne peuvent pas influer directement sur l’aspect financier, «mais causera par contre d’autres effets et d’autres couts qui sont cachés, dans une sorte d’instabilité des autres agents économiques concernes dans leurs activités, leurs revenus et leurs besoins directs». L’enseignement supérieur n’est pas en reste. Ayant entamé une grève il y a maintenant plus de deux mois, les étudiants de l’ENS de tout le pays ne comptent pas s’arrêter là et poursuivent leur mouvement. Leurs principales revendications : le respect de toutes les clauses du contrat signé avant d’intégrer l’Ecole supérieure et leur droit à prétendre au master et au doctorat. A l’Université d’Alger 3, les étudiants en sport maintiennent leur grève, entamée depuis plus de 3 mois. Idem pour les étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure de Tourisme. Seule difference : ces derniers ont repris les cours hier. Les étudiants avaient obtenus des promesses de la tutelle pour l’examen de leurs revendications et l’installation d’un groupe de travail au niveau du cabinet du ministre du secteur, regroupant leurs représentants à titre consultatif. Le secteur de l’éducation n’est pas épargné non plus. Le Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapeste) a annoncé une nouvelle grève illimitée à partir de mardi prochain. Education Leur revendications : le respect des engagements et des promesses contenus dans les différents procès verbaux signés par le syndicat et la tutelle au niveau national ou wilayal et l’annulation des mesures de déduction sur salaire, aléatoires et arbitraires, des jours de grèves. Cette future grève pourrait engendrer un retard monstre dans l’avancement du programme scolaire. Pour Bachir Hakem, enseignant et membre du CLA, les pertes des grèves dans l’enseignement ne peuvent pas être mesurables que ce soit du côté de temps de cours que concentration et de rythme de travail car un simple arrêt de ce rythme de cours et d’exercice nécessite un temps énorme pour reprendre ce même rythme. Donc celles-ci ne peuvent que nuire à ce secteur primordial au développement d’un pays. Ainsi donc, selon le spécialiste, le rattrapage est impossible pour diverses raisons, notamment le niveau des élèves qui ne peut permettre de rattraper les cours sans un minimum d’explication et d’exercices. Selon la même source, en Algérie, «on laisse ces grèves se poursuivre longtemps pour expliquer l’impossibilité de terminer les programmes même sans grève». Aussi selon lui, la ponction sur salaire qui démoralise l’enseignant le pousse à ne faire aucun effort de rattrapage et à la rupture du contrat moral entre l’enseignant et la tutelle et celui de l’enseignant et du parent d’élève et surtout le plus grave c’est celle entre l’enseignant et son élève. Commerçants Car loin de tout aspect financier, s’il n’y a pas de contrat moral entre l’enseignant et son professeur il n’y aura plus éducation. Par ailleurs, les représentants des commerçants de la wilaya de Tizi Ouzou ont lancé, cette semaine, un appel pour une grève générale le mercredi 31 janvier prochain. Un sit-in sera également organisé devant le siège de la Caisse nationale des non-salariés de la ville. Les revendications de l’Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), du Collectif d’appui à la micro-entreprise (CAME) et de la fédération nationale des jeunes entrepreneurs (FNJE), de la wilaya de Tizi Ouzou, tournent autour des cotisations sociales. Avec toutes ces grèves, le pays connaît donc une situation inquiétante et se retrouve presque dans une situation en ‘’stand-by’’. Louisa Dris Hamadache, enseignante à l’Université d’Alger 3 et membre du Cnes, n’est pas de cet avis. Selon elle, un front social en ébullition est une situation on ne peut plus normale dans un pays qui connait une situation économique aussi précaire. «D’une part elle est porteuse de gros risques pour l’avenir et d’autre part elle a déjà des conséquences importantes sur le pouvoir d’achat et la paupérisation», assure-t-elle. A cela s’ajoute une élection présidentielle qui se rapproche à grands pas et dont les acteurs principaux ne sont pas encore désignés. Paix sociale «Ce type d’événement est logiquement propice aux revendications. Dans de telles circonstances, c’est l’absence de mouvements de contestation qui ne serait pas normal», assure-t-elle. Pour elle, le rôle des syndicats, des associations, des médias, des partis politiques est précisément de donner au front social des porte voix et des canaux d’expression pour qu’ils ne se transforment pas en désordre social. «Or, depuis des années, tous ces acteurs ont vu leur marge de manœuvre se rétrécir, sous la contrainte de lois restrictives, d’abus de pouvoir de l’administration, de l’excès de zèle de certains responsables, de dérapages des forces de l’ordre», affirme-t-elle. Tous ces faits qui ont pour but de maintenir l’ordre et la stabilité ont en vérité l’effet inverse. Elles créent de l’instabilité et augmentent les risques des dommages collatéraux. Des solutions en perspectives ? «La paix sociale est un défi que tout gouvernement risque de ne pas relever s’il est perçu dans une perspective sécuritaire et complotiste», assure Louisa Dris Hamadache. Pour elle, on ne répond pas à des revendications socio-économiques et même politiques en réprimant les manifestants et en criminalisant la grève. De même, on ne calmera pas le front social en accusant les contestataires d’être manipulés, commandés et dirigés par de sombres ennemis intérieurs ou extérieurs.
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