La satire et la dérision sur les chaînes de télévision privées font peur aux tenants du pouvoir. Toutes les émissions critiques sont désormais dans le collimateur de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) qui devient, visiblement, un instrument pour brimer la libre expression.
Cette instance, présidée par l’ancien député du RND, Miloud Chorfi, vient, en effet, de signer son deuxième communiqué, depuis son installation en septembre dernier, pour s’en prendre à trois programmes critiques que l’ARAV juge «attentatoires aux symboles et hauts responsables». Le premier communiqué avait concerné l’émission «El Djazairia Week-end» que diffusait la chaîne privée El Djazairia.
A travers son communiqué, Miloud Chorfi a provoqué la censure de l’émission. C’était, certes, la direction de chaîne qui, de peur de s’attirer les foudres des pouvoirs publics, avait décidé d’arrêter le programme, mais l’élément déclencheur était l’avertissement brandi par Miloud Chorfi. Ce dernier semble vouloir rééditer son «exploit» avec El Khabar TV (KBC).
Il s’en prend, cette fois-ci, à deux programmes qui font le buzz en ce mois de Ramadhan, en l’occurrence «Djornan El Gosto» et «Allô oui». Ces deux programmes, animés par des jeunes acteurs, traitent avec beaucoup de dérision des faits d’actualité nationale. «Djornan El Gosto» en est, pourtant, à sa quatrième saison, puisqu’il faisait partie, durant les trois dernières années, de la grille de la chaîne El Djazairia avant d’émigrer cette année vers KBC.
Deux poids, deux mesures ?
Mais cette satire commence à devenir trop agaçante pour les responsables du pouvoir. Miloud Chorfi avait convoqué, lundi dernier, le directeur de KBC, Ali Djerri, pour lui adresser un avertissement verbal «au motif de dépassements répétés dans les émissions en question», dans lesquelles «des noms et des symboles de l’Etat ainsi que de hauts responsables dans différentes structures et institutions de la République sont systématiquement injuriés et tournés en dérision».
L’instance que préside Miloud Chorfi estime que «ces agissement procèdent d’une violation de la déontologie de la profession et tombent sous le coup des lois sur l’information et de l’audiovisuel». Qu’est-ce qui a motivé cette réaction de l’ARAV ? Y a-t-il des plaintes pour «offenses» ou «outrage» ? Interrogé par nos soins, Miloud Chorfi refuse de commenter : «J’ai fait mon travail et c’est tout. Je ne réponds pas à cette question.»
Mais la réaction de Miloud Chorfi reste étrange. Sélective. Le président de l’ARAV n’a pas réagi quand des chaînes de télévision privées invitaient sur leurs plateaux des cheikhs salafistes qui appelaient au meurtre d’un écrivain et qui qualifient d’apostats tous ceux qui n’épousent pas leur idéologie.
Applique-t-il la politique du deux poids, deux mesures ? Dans sa réaction à cet avertissement, le directeur de KBC, Ali Djerri, affirme qu’il «aurait souhaité que Miloud Chorfi définisse la nature des dépassements». «Cet avertissement ne nous dérange pas et ne signifie pas qu’il y des dépassements dans nos programmes. Il ne faut pas considérer cela nécessairement comme du harcèlement. Mais il faut faire attention contre le recours à cette pratique», explique Ali Djerri dans une déclaration au journal El Khabar.
«Il n’y a pas de violence ni d’apologie du terrorisme dans nos programmes. Il y a seulement de la satire politique et celle-ci a besoin de ce genre de critiques», plaide-t-il. L’intervention de Miloud Chorfi a également suscité des réactions sur les réseaux sociaux, où des internautes algériens dénoncent une «censure déguisée» et une «volonté de fermer tous les espaces de liberté». Toute en affichant leur soutien à l’équipe de «Djornan El Gosto», les internautes répondent également par dérision à Miloud Chorfi. «La France va faire appel à lui pour interdire les Guignols de l’info», écrivent certains facebookers.
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