Les sept moines français, enlevés à Tibhirine en 1996, ont vraisemblablement été tués plusieurs semaines avant la date avancée dans une revendication d’islamistes algériens. Des experts français sèment le doute sur la version officielle.
Selon une expertise judiciaire dont l’AFP a eu connaissance, seules les têtes avaient été retrouvées et leur analyse évoque l’hypothèse d’une décapitation après les décès qui avaient provoqué une vive émotion en France. Ces révélations coïncident avec la rencontre, hier, du juge français antiterroriste Marc Trévidic, pour la dernière fois, avec les familles des moines assassinés en 1996 pour leur présenter les conclusions des expertises, dont il dispose, menées en automne 2014, relatait hier matin le journal catholique La Croix.
Il devait leur réserver la primauté des résultats censés permettre de faire la lumière sur les circonstances de la mort des sept victimes et partant, écrit notre confrère, «de déterminer l’implication des services secrets algériens», comme cette thèse court depuis des années en France, à l’encontre de la thèse officielle des autorités gouvernementales et sécuritaires algériennes. Cette ultime entrevue avec les familles devait permettre au juge de faire le point «sur les blocages et les avancées de l’enquête».
En quelque sorte, un adieu sur la pointe des pieds, avec plus d’ombre que de lumière dans le travail mené depuis dix ans, bien que le juge aurait aimé aller plus loin. Selon l’AFP donc, qui a rendu publics les résultats de l’expertise dévoilés par le juge aux proches des moines, «l’hypothèse d’un décès entre le 25 et le 27 avril 1996, tel qu’il est évoqué dans une pièce de procédure, apparaît vraisemblable», selon les conclusions de cette expertise datée de lundi.
Lésions
L’AFP rappelle que les auteurs d’un communiqué signé du GIA, rendu public le 23 mai 1996 et daté du 21, avaient revendiqué les assassinats et affirmé avoir envoyé, le 30 avril 1996, «un messager à l’ambassade de France» pour «confirmer que les moines sont toujours vivants», ainsi qu’«une lettre qui précise la façon de négocier». Ces dates ne concordent pas avec l’expertise, dont les résultats ont été présentés hier donc aux familles par Marc Trévidic.
Par ailleurs, les résultats des examens des têtes des moines plaident «en faveur d’une décapitation post-mortem», selon l’expertise. «Les éléments botaniques et la présence de terre différente de celle du cimetière de Tibhirine observés dans et sur les crânes sont en faveur d’une première inhumation», estiment les experts. «En l’absence des corps» qui n’ont jamais été retrouvés, la cause des décès «ne peut pas être affirmée», mettent-ils toutefois en garde. «Il est retrouvé des lésions évocatrices d’égorgement chez trois d’entre eux, égorgement suffisant pour être à l’origine directe de la mort», notent-ils aussi.
En revanche, les têtes ne présentent pas de traces de balles, ce qui fragilise la thèse d’une bavure de l’armée algérienne qui aurait tué par erreur les moines en tirant depuis un hélicoptère sur un bivouac djihadiste. De même, les experts, qui s’étaient rendus en Algérie en octobre avec le juge Trévidic pour exhumer les têtes des moines, n’ont pas relevé «de lésions pouvant correspondre à des coups portés directement par objet contondant».
Audition
Mais, là encore, «en raison de l’absence des corps, il n’est pas possible de dire s’il y a eu (...) des mauvais traitements, coups ou tortures». Les experts regrettent que les autorités algériennes ne les aient pas laissés ramener les prélèvements faits sur place : «La transmission et l’exploitation des prélèvements réalisés lors de l’exhumation sont hautement souhaitables.» Justement, le départ de Trévidic du pôle antiterroriste en septembre pour le TGI de Lille inquiète les familles et leur avocat Me Baudouin, qui se demandent si l’enquête ne va pas de nouveau s’enliser, comme, sur un autre registre, celle de l’affaire Karachi, que suivait le juge, impliquant de hautes personnalités gouvernementales françaises (attentat visant des Français au Pakistan en 2002, devenu un bourbier politico-financier).
Pour Tibhirine, lorsque le magistrat et ses experts français avaient pu se rendre à Alger à la fin de l’année 2014, l’autopsie des corps s’était déroulée correctement, mais les analyses, bien que réalisées en double, n’avaient pas été remises aux autorités judiciaires algériennes, rappelle La Croix. Et Trédivic n’avait pas obtenu de mener librement l’audition de plusieurs personnes sur le sol algérien.
Rappelons que la question du suivi de l’enquête devait être évoquée lors de la visite du président Hollande, à Alger, le 15 juin dernier. Paris ayant préalablement noté que des actes judiciaires ont été réalisés au cours de ces derniers mois et que d’autres doivent être faits encore. Et de souhaiter que la justice puisse faire son travail, ce que les autorités algériennes d’ailleurs n’ont jamais contesté, avons-nous appris de source française autorisée. Une commission rogatoire internationale a été, par ailleurs, délivrée.
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