L’ombre de Matoub Lounès a plané sur tout Béjaïa dans la soirée du 25 juin. Des hommages ont été rendus au Rebelle dans la ville de Béjaïa avec la même fidélité à sa mémoire que celle du premier anniversaire de son assassinat, il y a 18 ans. Des jeunes de la cité «rebelle» CNS ont dévoilé, vers 23h, un portrait de Lounès représenté sur un grand panneau fait de lico bande et qui reprend l’intégralité de l’illustration du dernier album du défunt barde. Le portrait a été dévoilé sous les airs de Aghuru, l’immortelle chanson de Matoub qui reprend la musique de l’hymne national. Un moment d’une intense émotion pour la foule qui a assisté à la cérémonie commémorative et dont ont fait partie des jeunes de moins de 18 ans qui n’ont pas connu le Rebelle de son vivant. Le panneau est accroché à proximité d’un autre semblable inauguré il y a tout juste une semaine en hommage à quatre victimes du Printemps noir de 2011. Presque en simultané à l’action de la cité CNS, un autre groupe de militants a choisi de rendre hommage au Rebelle par le verbe. Le Café littéraire et l’association Bruits des mots ont consacré la troisième Nuit du livre exclusivement à Matoub Lounès, à travers la déclamation de poèmes et la lecture de textes du défunt ou ceux à son hommage, comme celui de Yalla Seddiki auteur de Lounès Matoub, Mon nom est combat et celui où Saïd Mekbel rend hommage au «fauve indompté». Sur les notes d’une guitare sèche, des voix émues ont lu rien que Pour toi Lounès, les mots qui s’interrogent : «Un poète peut-il mourir ?», sans avoir aucunement le besoin d’attendre une réponse, le poète étant éternel par son verbe. «Lorsque les ténèbres engloutissent la clarté avec la hargne et la boulimie de la bêtise et que l’on assiste, amer, au greffage morbide de l’identité millénaire, alors le mythe devient réalité.» Le texte est repris d’un prélude lu par une voix féminine dans l’album Regard sur l’histoire d’un pays damné et qui finit par cette imploration : «Chante-leur notre soif de justice et de réparation. Chante Matoub, chante, un poète peut-il mourir ?» Dix-huit ans plus tard, l’œuvre, le message et l’idéal de Matoub sont encore là, endossés par une jeune génération qui a la même soif de justice et de réparation. A minuit pile, des dizaines de jeunes d’Ibourassen, à 10 km de la ville de Béjaïa, ont investi la RN12, arrêté pour un moment la circulation, certains drapeau amazigh à la main, pour observer une minute de silence sous les airs de Aghuru. Les chansons de Matoub ont inondé la soirée du 25. Sur la placette de la Liberté d’expression Saïd Mekbel, à Bougie-ville, c’est Boudjemaâ Agraw qui s’apprêtait à rendre hommage au Rebelle, dans le cadre des soirées qu’organise le comité des fêtes de la ville depuis quelques jours. Une dizaine de «riverains» sont venus empêcher le déroulement de la soirée sous prétexte de «vacarme nocturne». «Vers 17h30, ils nous ont empêché d’installer la sonorisation, ont débranché le câble électrique et nous ont menacés de revenir avec des gourdins, mettre le feu au matériel et sont repartis. Il y avait parmi eux des islamistes reconnaissables à leur barbe», affirme, à El Watan, un organisateur rencontré sur les lieux. Vers 22h, le climat était toujours tendu. Pas l’ombre d’un policier en tenue. Un riverain revient à la charge, mais vite maîtrisé par les présents. On a fini par allumer des bougies et tenir le gala jusqu’à minuit. Pour ceux qui ont en mémoire l’empêchement des activités artistiques sur l’esplanade de la Maison de la culture en 2014, il y a derrière cet incident l’ombre des salafistes. Que cela se passe un 25 juin, d’aucuns restent convaincus que Matoub dérange 18 ans après son assassinat. «La confiscation de notre liberté par ces gueux qui nous gouvernent a fait de notre peuple un troupeau malade où les meilleurs ont disparu, isolés ou vaincus, et les médiocres ont pris des allures d’astres scintillants», reprend une banderole pour donner écho aux mots éternels de l’immortel Rebelle.
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