Le terrorisme islamiste fait toujours parler de lui en Algérie. Il y a une semaine, pas moins de 18 terroristes ont été éliminés par les forces de l’ANP à Médéa, à 80 km au sud-ouest d’Alger. Ce coup de filet n’est pas un fait anodin. Il impose beaucoup de questionnements sur le degré de la menace terroriste qui pèse sur le pays et l’efficacité de la stratégie entreprise jusque-là par l’Etat pour éradiquer ce fléau. Au-delà des louanges faites aux forces de l’ANP, cette opération spectaculaire laisse conclure que la guerre contre l’hydre terroriste est loin d’être terminée en Algérie. Exhibées comme un trophée de guerre, les images des terroristes abattus, publiées sur les réseaux sociaux, rappellent les macabres souvenirs de la décennie noire. Faut-il applaudir les succès de l’ANP, ou bien l’heure est plutôt à la vigilance tant la menace semble toujours là ? Les bilans sont significatifs. Les derniers coups portés aux groupes armés à Sétif et Médéa portent à 99 le nombre de terroristes abattus depuis le début de l’année. Le ministère de la Défense nationale (MDN) fait état de 111 autres terroristes arrêtés et 608 armes saisies, dont 485 kalachnikovs, durant les cinq premiers mois de l’année en cours. En 2015, les opérations menées par l’ANP se sont soldées par la neutralisation de 157 terroristes, soit 37 de plus que l’année précédente. Assiste-t-on à la résurgence des groupes armés ou ces victoires ne sont que les résultats de la lutte sans relâche engagée par l’armée sur le terrain ? Pour Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire (lire l’interview p. 5), «la reprise de la violence, sous une forme ou une autre, est toujours possible en Algérie tant que les causes à partir desquelles elle a surgi n’ont pas été profondément abordées». «Il ne faut pas sous-estimer l’islamisation rampante de la société algérienne. Aujourd’hui, l’islamisme radical semble récupérer idéologiquement des terrains qu’il avait perdus militairement», a-t-il expliqué. Les groupes armés fuient la kabylie ? Longtemps cloîtrés en Kabylie, les groupes armés semblent décidés à s’exporter vers certaines wilayas du pays, notamment celles où la pression de l’ANP n’est pas très importante. Il y a quelques semaines, d’aucuns ne pensaient que les maquis de la wilaya de Médéa abritaient un nombre (18) aussi important de terroristes. Habituellement, on n’entend parler de terrorisme que dans les wilayas de Boumerdès, Tizi Ouzou et Bouira. Mais la donne a complètement changé. Boumerdès qui approvisionnait les maquis en effectifs semble pacifiée et seulement 2 terroristes y ont été éliminés depuis le début de l’année. Les attentats les plus meurtriers de ces deux dernières années ont été commis dans les wilayas de Aïn Defla, Batna, Skikda et Jijel. Idem pour les embuscades et les opérations de ratissage de l’armée, dont les plus importantes ont eu lieu au sud-ouest de Bouira et dans les wilayas du sud et de l’est du pays. Selon nos sources, le dernier attentat commis dans la région de Médéa remonte à avril 2013. Les terroristes avaient alors ciblé le cortège de l’ex-wali, Brahim Merad, faisant un mort et deux blessés parmi les policiers. Même Abdelkader Zoukh, actuel wali d’Alger, avait été ciblé par ce genre d’attaque alors qu’il occupait le même poste à Médéa. C’était en avril 2008, il a échappé à un attentat à la bombe alors qu’il revenait d’un enterrement de quatre gardes communaux assassinés la veille dans la commune de Bouaichoune. Connue pour ses denses maquis, la wilaya de Médéa pourrait servir de point de transit par excellence pour les groupes armés voulant rallier la Kabylie, l’ouest et le sud du pays. Selon nos sources, le groupe décimé à Rouakèche s’apprêtait à organiser un conclave en vue de préparer d’éventuelles attaques. Cependant, l’expérience a démontré que les terroristes deviennent des proies faciles dès qu’ils quittent leurs fiefs traditionnels. Acculés en Kabylie, ils tentent de frapper là où on s’y attend le moins. Cela a été démontré lors des attaques perpétrées à Aïn Defla et à Batna entre mai et juillet 2015. Des attaques intervenues juste après l’élimination de 25 de leurs acolytes à Ferkioua, dans la wilaya de Bouira. Aujourd’hui, d’aucuns s’interrogent sur le nombre de terroristes qui écument encore les maquis à travers le pays. Manque d’effectifs et de financement Certains évaluent le nombre de terroristes à plusieurs centaines, tandis que d’autres estiment qu’ils ne dépassent pas les 300. «Contrairement aux années 2000, les groupes armés n’arrivent plus à capter de nouvelles recrues. Le dernier individu à avoir rejoint les groupes d’Aqmi dans la région l’a fait en juillet 2015. C’est un jeune de Aïn El Hamra, dans la commune de Bordj Menaïel», indique un officier expert dans la lutte antiterroriste à Boumerdès. Selon lui, le tarissement des sources de financement y est aussi pour quelque chose dans la réduction de leurs effectifs. L’argent étant le nerf de la guerre, les groupes terroristes n’arrivent plus à commettre de kidnappings pour renflouer leurs caisses, comme ce fut le cas auparavant. «C’est la lutte antiterroriste qui s’est accentuée, et non pas leur nombre qui a augmenté. Si les forces de l’ANP les avaient combattus avec la même détermination que durant les années 2000, on ne parlerait plus d’eux aujourd’hui», explique l’officier. Pour Tewfik Hamel, «la nouvelle stratégie des forces de sécurité privilégie la manière forte : elle consiste à aller chercher les terroristes là où ils sont, morts ou vivants. D’où le ratissage à grande échelle des régions considérées auparavant comme très risquées». Quid de la filiale Daech en Algérie ? Selon nos interlocuteurs, le groupe Jund El Khilafah qui a prêté allégeance à l’EI n’est qu’une coquille vide, rappelant que même le MDN ne l’a jamais mentionné dans ses communiqués. «Cette phalange n’a pas de chef. Certains parlent d’un certain Abdelhakim, mais on n’en saura rien. Son chargé de la prédication, Abderrahmane Al Motawakil, aurait été abattu en mai dernier à Bouira», précise l’officier. Même Aqmi a perdu ses forces de nuisance. Le gros de ses effectifs est composé de Maliens et de Mauritaniens. «Cette organisation terroriste est divisée, fragmentée et sa direction basée en Algérie ne détient plus le pouvoir de naguère. Sous la pression croissante des forces algériennes, elle a dû se retirer plus au sud, au Sahel», indique M. Hamel. Malgré les divisions et les luttes intestines qui rongent ses rangs, son chef, Abdelmalek Droukdel, a refusé de reconnaître l’EI et a renouvelé son allégeance à Al Zawahiri. Malgré cela, la menace plane toujours. Depuis septembre 2015 à ce jour, pas moins d’une cinquantaine de personnes soupçonnées d’avoir tenté de rallier les djihadistes en Syrie et en Irak ont été arrêtées dans différentes wilayas du pays. C’est dire que le combat idéologique visant à endiguer le mal à la source est loin d’être engagé dans la société. Aujourd’hui, souligne M. Hamel, il est difficile de savoir combien parmi la population algérienne ont été infestés par cette idéologie moyenâgeuse. Les sondages qui pourraient révéler son emprise n’ayant pas été développés dans le pays.
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