En cette journée de grisaille, six lois sont programmées pour adoption : les deux projets de loi relatifs à l’obligation de réserve imposée aux militaires à la retraite et aux réservistes, le code des investissements, le statut des commissaires- priseurs, la loi sur le règlement budgétaire et celle relative à la relation entre le Parlement et le gouvernement. Dans les couloirs, les discussions vont bon train. Les députés du FLN sont venus en force. Bon nombre d’entre eux, notamment ceux de l’intérieur du pays, ont été sommés de rejoindre Alger. Tous sont là pour faire exécuter les orientations de la «kiyada» (la direction) consistant à voter les lois. Vers 11h, la salle est à moitié pleine. Les sièges du FLN et du RND sont majoritairement occupés. Le débat s’ouvre avec le projet de statut des commissaires-priseurs, une nouvelle profession née durant les années 1990 avec la dissolution des entreprises publiques. Les députés semblent totalement déconnectés, à l’exception de leurs collègues du Parti des travailleurs (PT) qui ont fait de l’aile gauche du président la tribune de la parole. Ils sont les rares à avoir présenté des amendements aux projets de loi et à s’être exprimés sur les dangers et les inquiétudes que ces derniers suscitent. Un à un, Ramdane Taazibt, Djelloul Djdoudi et Nadia Chouitem se sont succédé pour dénoncer le contenu du projet de code d’investissement et défendre la règle des 51/49% qu’ils présentent comme une protection contre les conséquences des crises économiques internationales. Nadia Chouitem n’y va pas avec le dos de la cuillère. Elle dénonce les dispositions «très avantageuses» que prévoit cette loi et lance : «Ce texte n’est qu’un chapelet d’avantages. Nous avons vu les expériences d’avant et leurs conséquences. ArcelorMittal est un exemple d’échec avéré. Cédé à un privé, le complexe d’Erriadh de Corso a été inauguré en grande pompe avant d’être fermé cinq mois après et les installations transférées à l’est du pays. Les initiateurs de ce code veulent brader le pays et siphonner les deniers publics.» Ramdane Taazibt lui emboîte le pas. Il s’adresse aux députés de la majorité : «Ouvrez les yeux, vous légiférez pour la nation. Des crimes sont commis par une poignée d’hommes d’affaires qui se sont enrichis durant la période du terrorisme. Ils se sont constitués aujourd’hui en lobby et font pression pour accaparer les deniers publics. Le gouvernement doit défendre les intérêts du peuple et non de cette mafia, qui, nous le savons, fait pression sur lui pour promulguer des textes qui les arrangent.» «Ouvrez les yeux, vous légiférez pour la nation» Les propos ne plaisent pas aux députés de l’aile centre, occupée majoritairement par le FLN et le RND. Ils chahutent. L’aile gauche ne faiblit pas. Elle a le monopole de la parole, parce qu’elle est la seule à avoir introduit plus d’une trentaine d’amendements. «Nous voulons que ces avantages que prévoie le texte soient accordés surtout aux investissements créateurs d’emplois. Les hommes d’affaires fraudeurs sont nombreux, parce que la fraude est devenue un sport d’élite. Celui qui veut donner l’aumône n’a qu’à utiliser son argent personnel et non pas celui du peuple. Des membres du gouvernement et des députés ont profité de ces avantages pour s’enrichir.» D’une ton coléreux, Taazibt fixe son regard sur l’aile centrale : «Pendant des années, de l’argent a été distribué dans le cadre de l’investissement sans aucun retour. L’Etat a donné des avantages à Carrefour, qui a ouvert une supérette et 3 ans après, il ferme et repart chez lui. Voilà ce dont nous avons peur. La Grande-Bretagne s’est retirée de l’Union européenne, le gouvernement doit s’inquiéter pour l’avenir de l’Accord d’association avec l’Europe. Cet accord n’a jamais été profitable au pays. Il nous a fait perdre un milliard d’euros en 10 ans.» Des propos très graves qui ne semblent pas intéresser l’hémicycle. Les députés n’ont pas la tête à écouter Taazibt. Ils n’attendent que le moment de lever la main pour dire non aux amendements du PT, comme déjà exprimé par la commission sous prétexte «qu’ils touchent aux principes défendus par le texte». De loin, le chef du groupe parlementaire du FLN, Baha Eddine Tliba, ne cesse de gesticuler et de parler au téléphone. Il est le premier à lever très haut la main, comme pour narguer les députés impassibles du PT, qui lui font face. Le code des investissements passe comme une lettre à la poste. Il en est de même pour les deux ordonnances d’amendement des statuts des militaires et des réservistes, relatives à l’obligation de réserve. Et c’est l’aile gauche qui, encore une fois, propose le rajout de deux articles pour préciser que cette obligation doit concerner le secret-défense et toute atteinte à l’unité de l’armée. Avant même que Djelloul Djoudi ne défende sa proposition, la présidente de la commission entame la lecture de la réponse négative de la commission, suscitant la colère du député. Le président s’en excuse et Djoudi donne l’explication. Evidemment, la commission l’a rejetée, sous prétexte qu’elle touche «au fond» du texte. Là aussi les députés du FLN et du RND se sont empressés de rejeter la proposition du PT, tout en levant haut la main, pour valider les deux textes de loi, présentés par une députée qui confond entre ministre du Commerce et ministre de l’Industrie. Frustrée, l’aile gauche vote contre toutes les lois, à part celle des commissaires-priseurs. Elle n’est pas la seule. Les quelques députés du FFS, présents dans cette aile, ont eux aussi rejeté les textes, alors que les islamistes du MSP ont préféré s’abstenir pour certains et s’opposer pour d’autres. Au centre, c’est la satisfaction, même si la tâche n’était pas difficile. Dans une ambiance très lourde, les députés ronronnent. Certains ne cessent de bailler, signe de manque de sommeil. D’autres, surtout de l’aile centrale occupée par le FLN et le RND, préfèrent s’offrir des shows médiatiques dans les couloirs, en passant d’une caméra à une autre. Les lois passent sans grabuge. Les contestataires n’ont pu changer la donne. Avec une majorité FLN-RND, le jeu est plombé. L’Exécutif le sait. Il a le terrain libre pour faire passer les lois les plus liberticides. Pour lui, les outsiders ne font qu’animer la galerie. Triste image de la démocratie parlementaire…
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