Pas moins de 5 millions de boîtes de fromage livrées à l’armée ont été restituées à la laiterie pour cause d’avaries. L’affaire a pris l’allure d’un scandale, mais les autorités restent de marbre malgré les dangers qui pèsent sur la santé publique. Tout le monde en parle ces dernières semaines à Boudouaou, localité située à 5km à l’ouest de Boumerdès. L’affaire a pris l’allure d’un scandale, mais les autorités restent de marbre. Les quantités de fromage «renvoyées» à la Laiterie-fromagerie (LFB) étatique pour cause de contamination ou autre défaut de qualité ne sont un secret pour personne. Même les épiciers du coin évitent désormais d’acquérir les produits de cette filiale du groupe Giplait, qui emploie 450 personnes. Connue pour être le seul fournisseur de fromage de conserve aux forces de l’ANP, la LFB a subi des pertes s’élevant à plus de 80 milliards de centimes depuis mars dernier. De quoi réaliser dix écoles primaires en ces temps de crise financière. «L’armée nous a rendu environ 5 millions de boîtes de 200g de fromage, soit 1000 tonnes. On ne trouve même pas où les stocker», dira un employé de cette entreprise. Selon lui, la contamination a touché même des quantités de fromage fondu. Malgré les folles rumeurs qui circulent sur ce sujet et les risques qui pèsent sur la santé publique, l’origine du problème est loin d’être identifiée, pour ne pas dire sciemment dissimulée. Motus et bouche cousue à l’ex-Onalait A la LFB, on semble avoir décidé de ne rien communiquer. Même les syndicalistes ont refusé de parler. Ce qui est intrigant pour une entreprise publique aussi stratégique qui produit 800 000 litres de lait/jour, et qui a dépensé des milliards de dinars ces dernières années dans le cadre de la mise à niveau de ses équipements. Les employés de l’usine, eux, savent tout et rien en même temps. Certains doutent «de la matière première, le cheddar, qui serait périmé ou contaminé», tandis que d’autres soupçonnent «des défaillances dans le système de stérilisation et/ou une rupture dans la chaîne de froid». «Rien n’est encore confirmé pour le moment. Mais si ça continue comme ça, les pertes vont encore augmenter, puisque le fromage contaminé sera incinéré chez le privé à coups de millions de dinars», dira un employé abordé au café du coin. Reconnu grâce à sa tenue de travail, notre interlocuteur note que «les boîtes de fromage livrées à l’armée se gonflent au bout d’un mois, alors qu’habituellement, quand elles sont gardées à bonne température, elles tiennent jusqu’à 18 mois». A l’unité d’incinération d’Ecferal de Si Mustapha, on parle d’une moyenne d’un camion par semaine de l’armée chargé de produits périmés qui est acheminé pour y être brûlés. Mais on ne dit pas s’ils proviennent des casernes, de l’ex-Onalait ou d’ailleurs. Pour un ancien cadre de LFB, le phénomène des contaminations et des péremptions n’est pas nouveau. «En 2016, on avait subi 27 millions de dinars de pertes. A l’époque, c’était le cheddar, acheté chez un privé de Blida, qui en était la cause. Cette fois-ci aussi, d’aucuns incriminent le cheddar. Mais tout doit être contrôlé et soumis aux analyses. Et la LFB dispose d’un important laboratoire mis sous la tutelle de la directrice. Maintenant, est-ce qu’ils ont fait leur travail ? Je n’en sais rien», explique-t-il. Selon lui, une partie du cheddar utilisé dans la fabrication du fromage fourni à l’armée a été achetée chez des importateurs privés algériens, dont l’entreprise Inmat, appartenant à un frère du vice-président du FCE, Mohamed Bairi. Y a-t-il tricherie sur la marchandise ? En juillet dernier, le site électronique Algérie Part rapportait que la laiterie de Boudouaou a passé, en octobre 2016, une commande de 370 tonnes de cheddar à l’entreprise Inmat. Cette dernière aurait, selon le rédacteur de l’article, facturé à 6300 dollars la tonne, soit presque le double des prix pratiqués à l’époque sur le marché. Le journal en ligne révèle une autre transaction conclue fin 2015 entre le groupe Giplait et la société française Fenvia pour l’achat de 500 tonnes de cheddar pour un montant de 1,6 million de dollars. Un contrat qui a été annulé avant d’être confié à l’entreprise Inmat pour un montant de 2,4 millions de dollars, précise le même média. Contacté par téléphone, le gérant de la société Inmat dément ces informations, précisant que les marchés ont été conclus conformément à la réglementation en vigueur. «Le cheddar qu’on leur a fourni était de bonne qualité. Je l’ai importé d’Irlande, le meilleur producteur en la matière. Cela a été prouvé par toutes les analyses et les contre-analyses effectuées par l’acheteur», a-t-il précisé. Selon lui, la quantité de cheddar livrée à LFB représente 2% du marché qui, lui, concerne l’achat de 4000 tonnes du même produit. S’agissant des prix, M. Bairi rappelle qu’ils changent tous les 15 jours, soulignant que l’offre de l’entreprise française est évaluée en dollar et n’inclut pas les droits de douane et autres taxes. «La LFB ne fait pas de cadeaux. Une tonne de cheddar coûtait 2300 euros en 2016, mais maintenant elle fait 4200 euros. Cette affaire a été montée pour nuire à l’image de mon frère alors qu’il n’est même pas au courant de ce que je fais», a-t-il déploré. Et d’ajouter : «Cela fait 25 ans que j’importe les ingrédients laitiers. Je couvre 1% des besoins du marché. Le gros est assuré par l’Onil et Giplait. Je travaille dans la transparence totale. Mes principaux clients sont Candia, Soummam, Hodna, Nestlé, etc.». Négligence Sollicitée pour de plus amples informations sur l’affaire, la directrice de la LFB nous invite par l’intermédiaire des agents de sécurité à nous rapprocher des responsables de sa tutelle, Giplait. Contactée au téléphone dimanche dernier, une employée de ce groupe public qui chapeaute 15 laiteries nous annonce que le directeur est absent. Elle a promis de lui transmettre le message et de nous rappeler dès que possible. En vain. Pour un ancien syndicaliste de la LFB, l’affaire du fromage contaminé n’est qu’«une suite logique du laisser-aller et de la négligence constatés dans la gestion de l’entreprise». Il en veut pour preuve la valse de directeurs (4) et de cadres nommés ou dégommés par la tutelle en l’espace de trois ans. «On a fait des analyses pour déterminer les causes de la contamination. Mais on ne les a jamais communiquéees au public», a-t-il indiqué, soulignant que de nombreux dirigeants de la LFB ont été relevés de leurs fonctions pour avoir refusé de cautionner certaines décisions de la tutelle. Aujourd’hui, la situation de la laiterie n’augure rien de bon pour l’avenir. Les travailleurs interrogés lors de notre passage à Boudouaou réclament la réouverture de l’atelier de fabrication de fromage rouge afin de réduire les importations du cheddar. Certains se plaignent de la détérioration du climat de travail, d’autres dénoncent le favoritisme dans les recrutements et le retour d’une dizaine de cadres retraités dont la plupart assurent des tâches secondaires pendant que des jeunes, bardés de diplômes, rasent les murs de la localité et des villes limitrophes. Ils ont tous réclamé une enquête approfondie pour situer les responsabilités des uns et des autres dans les pertes colossales subies par l’entreprise. Leur vœu sera-t-il exaucé ? L’avenir nous le dira.
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